Un entretien Boum! Bang!
Il semble logique à chacun de fuir à la vue d’une tempête météorologique menaçante pouvant s’avérer dévastatrice, et rare sont ceux qui s’en approchent. Le photographe américain Mitch Dobrowner, né en 1967, fait cependant partie de cette seconde catégorie. Imprudent certes, mais son travail n’en est que plus incroyable. Vainqueur de l’Iris d’or aux Sony World Photography Awards en 2012, ses photographies ont fait l’unanimité parmi plus de 100 000 images. Et pour cause, ce passionné de phénomènes climatiques et de paysages capture les bouleversements imprévisibles de Mère Nature avec une grande beauté. En photographiant uniquement en noir et blanc, Mitch Dobrowner livre des clichés intenses, et parfois surréalistes, de la force des éléments qui nous entourent.
B!B!: Quel est votre parcours artistique?
Mitch Dobrowner: J’ai grandi à Long Island (Bethpage, New York) et je me sentais totalement perdu durant mon adolescence. J’étais impliqué dans une bonne quantité de problèmes. J’ai commencé par duper les gens pour des médicaments et des motos, et mes parents étaient inquiets pour moi. J’étais tout sauf un artiste à l’époque. En désespoir de cause, mon père m’a donné un vieil Argus pour tenter de me dévier du chemin que je prenais. Il ne savait pas que ce geste allait être important et révélateur pour moi. Une fois que j’ai commencé à shooter, je suis devenu accro à la photographie. Puis je suis tombé sur les images de Minor White et Ansel Adams. Cela m’a conduit à travailler dans la sensitométrie et à assister les photographes Pete Turner et Hashi à New York. Je me suis ensuite mis à voyager à travers le pays pendant quatre ans en me concentrant principalement sur la photographie d’Ansel Adams, vivant hors de ma voiture. Cette expérience, ainsi que le travail avec des appareils photos 4×5 et 8×10, des imprimantes à lumière froide et la chambre noire humide (produisant des impressions d’argent) ont été précieuses pour moi. Aujourd’hui, mes appareils photos agissent comme une extension de mon esprit, des yeux et des mains. Je ne pense pas à ces membres et les considère comme un outil, comme un peintre avec son pinceau. Je vois aussi mes tirages comme mon art, et non les images que les gens voient sur Internet. Pour moi tout culmine en tant qu’artiste à mes tirages. Ils sont mon art.
B!B!: Quelles sont vos sources d’inspirations?
Mitch Dobrowner: J’adore les travaux d’Ansel Adams et de Minor White. Outre ma famille, ils sont mes plus grandes influences et sources d’inspiration. La première fois que j’ai vu les travaux d’Ansel Adams et Minor White j’ai été terrassé. Cela peut sembler un peu cliché, mais ces images ont laissé un impact majeur sur ma vie et sa direction. Ayant grandi à Long Island, je n’avais jamais rien vu de tel dans ma vie. Les livres d’Ansel Adams sur la photographie, le tirage et le négatif sont mes bibles encore aujourd’hui. À côté de cela, je ne veux pas regarder beaucoup d’autres travaux artistiques… Je ne dis pas qu’ils ne sont pas merveilleux, mais je trouve simplement cela écrasant à certains moments. Je sens que je dois beaucoup aux grands photographes du passé pour leur dévouement à l’artisanat. Ce sont eux qui m’ont inspiré à la fin de mon adolescence. Leur dévouement, leur détermination, l’artisanat et leur vision m’inspirent encore. Bien que je n’ai jamais eu l’occasion de les rencontrer, ils m’ont aidés à déterminer le cours de ma vie.
B!B!: Les paysages et les tempêtes sont vos thèmes de prédilection. Parlez-moi de ce leitmotiv dans votre travail.
Mitch Dobrowner: J’ai toujours aimé les paysages et la manière imprévisible dont Mère Nature produit les scènes les plus étonnantes et belles. La manière dont la roche s’érode, la façon dont la lumière frappe la terre, la puissance et la majesté de la météo… Ainsi que toute l’imprévisibilité qui accompagne la vie sur cette planète. Je veux capturer autant d’elle que j’en ai été témoin. Je me sens béni que d’autres semblent aimer mon travail et la manière dont je vois notre planète.
B!B!: Vos photographies sont toutes en noir et blanc. Expliquez-moi ce choix esthétique.
Mitch Dobrowner: Je photographie en noir et blanc parce que le travail de la couleur me semble tout simplement trop réel et « quotidien ». Je le vois tout le temps à travers mes yeux. Le noir et blanc interprète la réalité et le sens dont je « vois » les choses. Et d’ailleurs, ma femme (qui est designer et peintre) dit que je suis daltonien. Mais je ne le suis pas – je sais juste le nom de toutes les couleurs. Et la seule fois où je « vois » en couleurs est lorsque j’écoute de la musique. Je vois la musique et les orchestrations dans leurs différents tons. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est ce que je vois. C’est un peu difficile à décrire, mais le mieux que je puisse faire est de dire que le noir et blanc me permet d’exprimer en tant qu’artiste la façon dont je vois et ressens le monde.
B!B!: Comment votre travail a-t-il évolué? Et comment le décririez-vous?
Mitch Dobrowner: Les images ont toujours été réalisées avec la lumière naturelle. Mon objectif principal a toujours été de photographier des paysages. J’ai toujours aimé être simplement assis dans la nature, entendre le vent souffler et regarder les changements de luminosité. J’étudie la lumière et vois la photographie comme l’exercice de peindre avec la lumière et les ombres. Quand je suis là-bas, résonne toujours en moi le mantra dit par Edward Abbey, « Notre travail consiste à enregistrer, chacun à sa façon, ce monde de lumière, d’ombre et de temps qui ne reviendra jamais exactement comme il est aujourd’hui ». Je vois mon travail comme ma propre évolution en tant que personne. Quand je cesserai de croître et d’évoluer, il sera temps pour moi de mourir. La façon dont je voyais le monde il y a dix ans est différente de la façon dont je vois le monde d’aujourd’hui. Ce changement de vision est ce sur quoi je souhaite réfléchir par le biais de mes images.
B!B!: Vous partez shooter avec Roger Hill, un « chasseur de tempêtes ». Comment vous organisez-vous?
Mitch Dobrowner: Je suis sorti plus de quinze fois avec Roger Hill depuis 2009. La plupart du temps, nous sortons à une date pré planifiée. Parfois, les visites sont prévues un an à l’avance, parfois sur un laps de temps bien plus court si un événement météorologique est en préparation. J’ai fait près de 100.000 miles avec Roger Hill à l’heure qu’il est. Il est toujours à courir après le climat. Nous avons voyagé en commençant par le Dakota du Sud, puis nous avons pris tout le chemin vers le bas dans le Nouveau-Mexique et au Texas. Nous sommes ensuite remontés dans le Minnesota, le Montana, puis de nouveau dans le Dakota du Sud. Les road trips et nos aventures sont tout aussi passionnants que les tempêtes que nous rencontrons.
B!B!: Quels sont vos futurs projets?
Mitch Dobrowner: Outre ma série « Storms », je veux continuer mon travail dans le Sud-Ouest américain, en particulier dans le Sud de l’Utah, au Nouveau-Mexique et en Arizona. J’adore les déserts. Il y a beaucoup plus que je ne voudrais dire à propos de cette série de photographies. Je tiens à réaliser une série sur les volcans, en sommeil comme actifs – j’espère être aussi chanceux! Je veux aussi continuer à avoir des aventures photographiques en compagnie de mon plus jeune fils, qui vient avec moi. Je veux qu’il ait des souvenirs du temps passé ensemble, parce que notre temps ensemble semble limité.
B!B!: Donnez-moi votre vision du monde.
Mitch Dobrowner: Si je pouvais faire un time lapse d’une ville comme Los Angeles, nous verrions que tout ce que nous avons est juste temporaire. Nous verrions que le paysage lui-même ne serait pas changé, mais que seule l’humanité construit au-dessus monterait et descendrait. Nous sommes ici temporairement. Nous pensons que nous possédons la terre, alors que nous ne faisons que l’emprunter. Pour être plus précis en ce qui concerne Los Angeles – qui est ma maison –, j’adore la ville. J’adore les paysages urbains que l’homme a construits. Une de mes premières expériences à Los Angeles dont je peux me rappeler était de regarder vers le bas de la vallée de San Fernando au-dessus de l’autoroute 405. J’en avais des frissons parce que je pensais que c’était l’un des plus beaux paysages que je n’avais jamais vus. Cette observation de l’humanité qui construit sur le paysage est ce que j’ai essayé de capturer avec ma série « Urban ».