L’histoire de Mike Brodie, ou comme il préfère se faire appeler, « Polaroid Kidd », est celle d’un ado artiste sans le savoir. À 16 ans, il déménageait à Pensacola avec sa mère, pour fuir un père sortant tout juste de prison. À 22 ans, il décidait de devenir mécanicien spécialisé dans les trains. Entre temps (2004-2008), il a parcouru les États-Unis en passager clandestin, sautant dans des wagons quand ceux-ci ralentissaient au détour d’un virage, mitraillant ses voyages au moyen d’un vieux Polaroid. Dans cette histoire, tout tient au hasard, à l’instinct et à la liberté…
© Mike Brodie.
Un beau jour, Mike emprunte à un ami son Polaroid SX-70, inutilisé et trainant à l’arrière d’une voiture. Il achète la pellicule la moins chère, part à vélo et appuie sur le déclencheur en pédalant. Émerveillé par le résultat, par les couleurs de son cliché, le virus de la photographie le prend. Il s’essaiera également au 33 mm, avec le même talent. Et puis, quelques temps plus tard, c’est sa petite amie, Savannah, qui titille sa curiosité en lui racontant les aventures de jeunes vagabonds hipsters parcourant le pays à dos de train. Mike décide alors de se fondre dans cette communauté, pendant un temps. À 17 ans, il saute dans un train transportant du jus d’orange et atterrit à Jacksonville. C’est le début d’une épopée de quatre années à travers l’Amérique, de la Floride à la Louisiane en passant par l’Arizona. Ses aventures, entrecoupées de retours au bercail, seront soigneusement documentées par ses clichés. En effet, pour Mike, l’un ne va pas sans l’autre. S’il voyage, c’est parce qu’il peut faire des photos. Les deux se nourrissent mutuellement, chaque escapade donnant naissance à d’étranges tirages.
© Mike Brodie.
© Mike Brodie
© Mike Brodie
© Mike Brodie
Polaroid Kidd est pourtant l’opposé d’un photographe traditionnel: il utilise un polaroid, pour ne pas avoir à développer ses photos (ça ne l’intéressait pas), achète la pellicule la moins chère du marché et ne se sert que du mode automatique. Quand Polaroid cesse de fabriquer ses pellicules, c’est à contrecœur qu’il passe à l’argentique. Et enfin, il raconte qu’il photographiait pour s’amuser, et que cette « petite manie » a fini par lui passer. Et pourtant, ses photographies, récompensées du prix Baum de l’artiste américain le plus prometteur en 2008, ont la patte des grands photographes. Cadrage, couleur, originalité… tout y est. Peut-être est-ce d’ailleurs cela le secret: ne jamais faire de la photographie une chose sérieuse, ne s’en servir que comme un outil, comme un jeu nous accompagnant. L’instantané est alors le médium parfait, alliant facilité et rapidité. Mike Brodie était poussé par la curiosité, l’envie de découvrir le monde et d’y jouer. La photographie entrait alors naturellement dans cette perspective et n’était qu’un heureux incident de plus dans son existence mouvementée.
© Mike Brodie
© Mike Brodie
© Mike Brodie
Et pourtant, après avoir mis ses photographies sur Internet, le succès rattrape Mike. Il enchaine les expositions, à Los Angeles, San Francisco, New-York… et gagne assez d’argent pour vivre de ses œuvres. Il est même exposé au Louvre pendant Paris Photo en 2006. Mais là n’est pas son but et jamais il ne deviendra officiellement photographe. Il préférera arriver au vernissage de ses expositions en costume non lavé depuis deux ans, envoyer l’argent de ses travaux à sa mère, puis finalement aller étudier la mécanique à Nashville en Californie. Aujourd’hui, il est mécanicien sur des trains et pense avoir un enfant dans quelques années, après s’être acheté un camion. Sa philosophie, c’est celle du « keep moving »: se fixer de petits objectifs, et les changer régulièrement, pour toujours avancer dans la vie. La photographie n’était ainsi qu’une phase de son existence tumultueuse.
© Mike Brodie
© Mike Brodie
Au fil de ses voyages, Mike nous laisse pénétrer un monde que l’on ne connaît pas mais qui fascine: des jeunes plus ou moins perdus, errant de ville en ville, avec une carte ou sans idée d’où le wagon dans lequel ils ont sautés va les emmener. Photojournaliste inconscient, Mike Brodie, en mitraillant ses amis, nous décrit une sous-culture américaine vivace, toujours sur le fil, et en mouvement perpétuel. Ces jeunes ne sont pas des vagabonds mais des voyageurs sans attaches, avides de sensations et de visions nouvelles. Authentiques et spontanés, les clichés capturent une ambiance, un regard, un bout de vie. Vêtements sales, squats divers et galères en tous genres peuplent les tirages. Accompagnés de sourires, tatouages, coiffures punks, levés de soleil sur les rails et toujours cette même sensation de vitesse. Le spectateur n’a alors qu’une envie: sauter à l’arrière d’un train de marchandises et commencer son périple.