Un entretien Boum! Bang! 

« Peindre! Peindre jusqu’à ce que mort s’en suive! ». Acharné et réfléchissant toujours à sa peinture, Michel Suret-Canale dessine de bon matin, accompagnant son café de croquis rapides en techniques sèches sur papier, insufflant ainsi l’inspiration à sa journée; il crée quotidiennement. Les thématiques abordées sont vastes. Tantôt représentant des paysages urbains, tantôt peignant des fronts de mer où une silhouette humaine est la seule âme qui vive, donnant un aspect tout philosophique à sa peinture. Il est aussi attaché aux nus et aux sujets classiques de l’histoire de l’art. Le tout avec un trait et une pâte reconnaissable au premier coup d’œil. Un peu « anar’ », il s’est émancipé des sentiers battus du marché de l’art et s’est créé une clientèle fidèle et internationale à travers internet. Philanthrope, il entretien une relation privilégiée avec ses collectionneurs. Sa longue carrière dans l’enseignement lui confère aussi un grand savoir pédagogique et en bon humaniste, il n’hésite pas à prendre de jeunes artistes sous son aile en leur confessant que malgré les difficultés, la vie d’artiste est la plus belle façon d’emplir son existence de mille rencontres.

Autoportrait à l'atelierAutoportrait à l’atelier, 2014 © Courtesy de l’artiste

B!B!: Quelles sont tes origines et ta formation?

Michel Suret-Canale: Paris! Mon père était prof de fac, historien-géographe, ma mère était journaliste et poète, féministe et engagée. Un monde d’intellos. J’ai fait un doctorat en art et science de l’art à la Sorbonne, une thèse intitulée « D’un atelier à l’autre, au regard des faits ». J’ai aussi passé le CAPES d’arts plastiques. J’ai le statut d’enseignant-chercheur.

B!B!: Qu’est ce qui t’a mené à la peinture?

Michel Suret-Canale: J’ai décidé d’être peintre à 16 ans, il y a beaucoup d’artistes dans la famille. Mais ils n’étaient pas théoriciens, ils étaient artistes. J’ai voulu réunir la pratique et la théorie. Voir ce qu’il y avait à l’intérieur de la peinture.

B!B!: Quelle est ta vision de la pédagogie artistique?

Michel Suret-Canale: Je n’y crois plus,  j’y ai trop cru et c’est fini: ça ne m’intéresse plus après 25 ans d’enseignement. C’est si délicat, parfois j’avais l’impression d’être plus néfaste pour les élèves en leur bourrant le crâne de programmes et autres poncifs. J’aime l’enseignement, la maïeutique mais je suis devenu allergique à la scolastique. La vraie maïeutique est trop subversive, le système éducatif est trop rigide, je refuse de faire du dressage. Pour moi l’enseignement avec toutes ses lettres de noblesse s’arrête avec le Bauhaus, ce souffle de liberté n’a pas duré. L’inter-disciplinarité est désormais cloisonnée, restreinte, on emprisonne!

Michel Suret-Canale, Les voiles et le selMichel Suret-Canale, Les voiles et le sel, huile sur toile, 190×130 cm, 2010 © Collection privée, France
Michel Suret-Canale, MasterpieceMichel Suret-Canale, Masterpiece, huile sur toile, 60×45,5cm, 2009 © Collection privée, France
Michel Suret-Canale, Le petit peintreMichel Suret-Canale, Le petit peintre, huile sur papier 78,5×56,5cm, 2011 © Collection privée, France
Michel Suret-Canale, Arthur RimbaudMichel Suret-Canale, Arthur Rimbaud, huile sur toile, 30×30 cm, 2010 © Collection privée, France
Michel Suret-Canale, Le pont des ArtsMichel Suret-Canale, Le pont des Arts, huile sur toile, 50×60 cm, 2009 © Collection particulière, France

B!B!: Quelles sont tes références?

Michel Suret-Canale: Eugène Delacroix pour sa vie et sa virtuosité. Boris Taslitzky, parce que je l’ai connu, c’était un grand peintre et une grande âme, il a traversé le 20ème siècle en humaniste et anarchiste, mon respect est sans fin. Antoine Bourdelle. Enfin, Patrice Lelorain, écrivain inconnu mais de grand talent et pour son livre « Revenants ».

B!B!:Parles-nous de ton iconographie?

Michel Suret-Canale: Comme disait Rodin : « ce n’est pas le beau qui manque à nos yeux c’est nos yeux qui manquent aux choses ». Je suis dans une démarche de sublimation. En même temps je suis passé par tant et tant de phases, j’ai fait de l’abstrait, j’ai même peint sous hypnose. Je fais des études rapides, tous les matins avec le café et en même temps je peux passer quatre ans sur une grande toile comme celle de Venise, paysage urbain complexe et sublime. Ma thématique privilégiée est le Sublime dans le quotidien. Mais les grands thèmes classiques aussi reviennent souvent: les baigneuses, les coquettes… Dans les années 90 j’ai aussi fait des portraits robotiques, le début de l’art numérique. J’ai fait les portraits de Pierre Soulages et de Maurice Blanchot avec lequel j’avais un contact épistolaire.

Michel Suret-Canale, Le Grand Canal à Venise et la Salute, vue du pont de l’AccademiaMichel Suret-Canale, Le Grand Canal à Venise et la Salute, vue du pont de l’Accademia, huile sur toile, 120×150 cm, 2012-2014 ©

B!B!: Parles-nous de ta technique?

Michel Suret-Canale: La ligne et le dessin avant tout. L’improvisation sur des thèmes nourrie par le dessin d’observation, « la nature est le plus grand dictionnaire formel » disait Eugène Delacroix,  même si l’imaginaire prend le relai à un moment ou à un autre; ce fameux « filtre » de l’artiste. Pour ce qui est de la pâte, je suis aussi spécialisé dans la peinture à l’huile, dans la technique de superposition des glacis, les techniques des 16ème, 17ème et 18ème siècles. J’aime les techniques picturales, j’aime les étudier dans leurs pratiques et déconstructions théoriques.

B!B!: Quelle est ta vision du monde?

Michel Suret-Canale: Tu poses cette question à un grand paranoïaque! On vit dans un système pervers et narcissique. Sortons des institutions! Il faut que l’humain réapprenne la nature, le monde animal qui a tant à nous apprendre. L’histoire de l’homme s’est construite d’inventions et d’accidents qui en découlent sauf que désormais les accidents risquent d’être irrécupérables. Notre société se base sur la plus-value de tout, ça nous mène droit dans le mur et il semble qu’il n’y a pas de frein. On scie la branche sur laquelle on est assis! Bref, on vit dans la pire des dystopies! Du pain et des jeux et vogue la galère, c’est de l’esclavage moderne parce qu’on ne nous laisse pas le choix et on nous sommes tous complices. J’admire beaucoup les « jusqu’au boutistes » qui refusent tout cela et vivent en ermites.

Michel Suret-Canale, Le ciel à ses piedsMichel Suret-Canale, Le ciel à ses pieds, huile sur toile, 50×61 cm, 2011 © Collection privée, France
Michel Suret-Canale, La PassionMichel Suret-Canale, La Passion, huile sur toile, 2009 © Collection privée, Afrique du sud
Michel Suret-Canale, NarcisseMichel Suret-Canale, Narcisse, huile sur toile, 40×30 cm, 2009 © Collection privée, France

B!B!: Quels sont tes projets à venir?

Michel Suret-Canale: Peindre jusqu’à ce que mort s’en suive! Ne plus perdre de temps et être au cœur de mon travail après tant de circonvolutions, souvent inutiles, en périphérie.

B!B!: Donnes-nous ta définition d’un artiste?

Michel Suret-Canale: C’est la rébellion! Mais c’est un avis récent, j’ai longtemps pensé que « artiste » c’était un métier, presque « comme les autres ». Mais l’artiste est et doit être un emmerdeur! L’art a un pouvoir même si il a souvent été réquisitionné pour en servir un autre.

B!B!: Quelle est ta vision du marché de l’art et parles-nous de ta démarche de vente sur internet?

Michel Suret-Canale: Internet est désormais une extension de mon atelier et d’un point de vue pécuniaire ça m’évite de faire trop d’expos dans les instituions. Il y a ainsi une relation à l’autre, au collectionneur, ce dispositif me permet une liberté spirituelle et plastique qu’une galerie ne m’offrirait pas. Je suis autant subversif qu’ordinaire, l’art doit rester accessible aux plus grand nombre. La technologie est sur ce coup-là bien salutaire et appréciable. J’ai 600 clients à travers toute la planète, certains me suivent et soutiennent mon travail depuis des années.

Michel Suret-Canale, Nu rougeMichel Suret-Canale, Nu rouge, 2011, huile sur toile, 61x 46 cm © Collection privée, France
Michel Suret-Canale, Nu bleuMichel Suret-Canale, Nu bleu, huile sur toile, 2012 © Collection privée
Michel Suret-Canale, La criqueMichel Suret-Canale, La crique, huile sur toile, 76×76 cm, 2009 © Collection privée, France
Michel Suret-Canale, BretagneMichel Suret-Canale, Bretagne, huile sur papier, 2008 © Collection privée, France
Michel Suret-Canale, Paysage misanthropeMichel Suret-Canale, Paysage misanthrope, huile sur toile, 40×40 cm, 2011 © Collection privée, France
Michel Suret-Canale, Le voyage d’OrionMichel Suret-Canale, Le voyage d’Orion, 2009 ©
Michel Suret-Canale, HypnoseMichel Suret-Canale, Hypnose, huile sur toile, 80×80 cm, 2011 © Collection privée, France

B!B!: Tu es friand de citations, peux-tu en citer quelques-unes qui reflèteraient, tes pensées, ta vie, ton art?

Michel Suret-Canale: Jean-Baptiste Camille Corot: « Le plus difficile dans le paysage c’est de s’asseoir ». Roland Barthes: « Le système s’emploi à confisquer toutes jouissances pour en faire des plus-values ». Eugène Delacroix: « Il faut prendre la forme par le centre, si le ton est juste la forme se dessine d’elle-même ». Pierre Francastel: « La peinture n’est pas un langage c’est un système de signification. L’art n’est pas un reflet de la réalité, mais un outil d’institution de valeurs nouvelles ».

B!B!: En quoi voudrais-tu te réincarner?

Michel Suret-Canale: En Eugène Delacroix.

B!B!: Une œuvre d’art?

Michel Suret-Canale: Un petit dessin à la sanguine de Michel-Ange.

B!B!: Une femme célèbre?

Michel Suret-Canale: Camille Claudel.

B!B!: Un personnage de l’histoire?

Michel Suret-Canale: Robespierre.

B!B!: Une maladie?

Michel Suret-Canale: La bipolarité.

B!B!: Une chanson?

Michel Suret-Canale: Lou Reed & The Velvet Underground avec « Take a walk on the wild side ».

B!B!: Une qualité?

Michel Suret-Canale: Le talent!

B!B!: Une aversion?

Michel Suret-Canale: Le mensonge et l’injustice.

B!B!: Une façon de mourir?

Michel Suret-Canale: Tout sauf un accident, rien de soudain, avoir le temps de vivre sa mort.

B!B!: Si tu pouvais inviter 10 personnes, mortes ou vivantes à dîner, qui seraient-elles?

Michel Suret-Canale: Eugène Delacroix, Nicolas Poussin, Pierre Bonnard, Stéphane Mallarmé, Arthur Rimbaud, Louis-Antoine de Saint-Just, Karl Marx, Lénine et Jacques Chirac.

B!B!: Si je te dis « Boum! Bang! »que me réponds-tu?

Michel Suret-Canale: Gong (le groupe de musique).