À en croire la plupart des australiens et les touristes amoureux de cette terre rouge, Melbourne serait la ville la plus européenne du pays. L’une des possibles explications de cette affirmation serait l’existence dans la ville, aux quatre saisons, de multiples ruelles dévolues au street art.
Tout a commencé il y a une dizaine d’années, quand une bande de jeunes graffeurs, sous la tutelle d’Adrian Doyle, s’installèrent dans un entrepôt abandonné et y créèrent 22 studios, regroupés sous le nom de Blenders Studios. L’idée était de prêter ces ateliers à des artistes volontaires puis de colorer les murs de la ville d’œuvres originales, belles et souvent engagées. En effet, le boom de ce mouvement eu lieu en 2001; le street art était alors un moyen pour une partie de la jeunesse de Melbourne de faire entendre sa voix dans une société qui, d’après elle, ne l’écoutait plus. Comme le criaient leurs slogans, ces jeunes peintres prétendaient envahir la ville comme le gouvernement envahissait l’Irak. L’art de rue envisagé comme guérilla symbolique.
Les relations avec les autorités seront par la suite toujours ambigües, le gouvernement peinant à mettre en place une politique claire et constante à l’égard de cet art de rue. Ainsi, en 2004, toutes les œuvres sont effacées à l’approche des jeux du Commonwealth, et il faudra attendre 2007 pour que les studios ouvrent à nouveau leurs portes. En 2006, le gouvernement sponsorise un livre sur le street art, mais vote en 2008 une loi anti-graffiti et la possession de sprays est interdite. Cédant encore à la contradiction, les autorités effacent une œuvre de Banksy 2010, après en avoir protégé une autre du même artiste en 2008.
Pour leur défense, les artistes clament que leur art n’est pas du vandalisme, n’a rien à voir avec les graffitis, mais contribue à la renommée touristique de Melbourne, à son dynamisme culturel. Ainsi, aux débuts du mouvement, le médium utilisé était majoritairement le pochoir au spray, à l’instar des artistes britanniques du tournant du siècle. Cependant, les tags à proprement parler furent toujours très mal vus par les artistes de Melbourne.
Aujourd’hui, les Studios Blenders ont acquis davantage de maturité, les artistes composant ce groupe étant plus âgés et pensant davantage leur art. Le pinceau est plus présent dans leurs créations. Les installations et les papiers dessinés ou peints apportent une plus grande diversité et une créativité accrue à cette pratique. Le sens de la communauté est très important dans ces ateliers (toute personne invitée dans le studio devant être présentée à tous les artistes par exemple), et le studio se considère comme une véritable fabrique d’art, ayant même vocation à former de jeunes artistes. Plusieurs projets annexes ont également été créés, comme une galerie, le Melbourne Propaganda Window ou les Melbourne Street Tours qui proposent des ballades parmi les oeuvres de rue.
Une particularité intéressante de ce studio est qu’il regroupe à la fois des artistes de street art et d’autres qui ne sont pas originellement liés à ce domaine. Cela crée un bouillon de création où les différents artistes s’entre-influencent et s’inspirent. Banksy, Ha-ha ou la française Fafi, pour n’en citer que quelques uns, sont ainsi passés par les rues de Melbourne pour y laisser leur empreinte.
Adrian Doyle, Te thin red line, 2009 mixed media on canvas 150x150cm, courtesy Michael Koro Galleries.
Adrian Doyle, Hanging out, 2009 mixed media on canvas 150x150cm, courtesy Michael Koro Galleries.
© Adrian Doyle Living in Paradise, 2009 mixed media on canvas 150x150cm, courtesy Michael Koro Galleries.
Adrian Doyle, There’s no swimming pool, 2009, mixed media on canvas, 320x160cm, courtesy Michael Koro Galleries.
Au final, ces œuvres de street art donnent à la ville de Melbourne une identité, un souffle qui lui est propre. Multicolores, drôles, finement réalisées, elles font songer le flâneur urbain. Elles donnent un sens nouveau à la ville, poussant l’individu à marcher le nez en l’air, à réellement regarder ce qui l’entoure, à chercher telle ou telle ruelle au coin d’une grande avenue. Errer et se perdre devient alors le meilleur moyen de découvrir les œuvres qui jonchent les murs de la ville.
Adorées par les touristes, ces ruelles ont l’énorme avantage de se transformer constamment, au gré de l’inspiration des artistes. Il est ainsi impossible de retrouver, d’une visite sur l’autre, exactement la même rue.