Mark Jenkins est un artiste américain né en 1970 à Fairfax. Il vit actuellement à Washington, D.C. Son travail, initié en 2003, s’apparente au street art dans la mesure où la ville inspire ses sculptures éphémères en même temps qu’elle leur sert de cadre. Les personnages qu’il crée et met en scène rappellent des figures typiquement urbaines telles que ces graffeurs au visage caché par une capuche, ces casseurs accompagnés de leurs battes de baseball ou ces mendiants attendant un geste de la part des passants. Si certains de ses personnages adoptent des postures agressives, la plupart semblent être les victimes d’un accident, d’un meurtre ou de la précarité de leur situation. Le spectateur se trouve témoin d’une catastrophe qui vient d’avoir lieu ou qui est sur le point de se produire. Dans un cas comme dans l’autre, les personnages de Mark Jenkins semblent avoir désespérément besoin de l’aide de ceux qui les croisent.
© Mark Jenkins, Malmo, Suède
© Mark Jenkins, Water, Royan, France
© Mark Jenkins, Washington DC, État-Unis, 2006
Sans formation artistique, Mark Jenkins est l’inventeur d’une technique qui lui permet de reproduire de façon très réaliste l’aspect du corps humain. Cette technique consiste à envelopper un modèle vivant d’un film plastique avant de couvrir celui-ci de ruban adhésif. Il découpe ensuite cette chrysalide avant de l’assembler à nouveau. S’il lui arrive de laisser bruts ces moulages, le plus souvent Mark Jenkins les habille de vêtements et les coiffe de perruques. Ainsi recouvertes, ces sculptures sont d’un réalisme confondant.
Ce corps, dont seule l’apparence est humaine, peut être placé dans des situations risquées ou absurdes. Affranchi de son poids et des barrières que lui fixe l’esprit, le corps défie la gravité aussi bien que les conventions sociales.
La technique inédite de moulage auquel à donné naissance Mark Jenkins va donc de paire avec la conception du corps qui se dégage de l’ensemble de son travail. En effet, si l’impression d’être face à un corps humain est bien présente, les situations dans lesquels ceux-ci se trouvent révèlent qu’il s’agit d’êtres inanimés, de simple coquilles vides, sortes de machines capables de se mouvoir au hasard jusqu’à tomber en panne à des endroits inattendus. De l’être humain il ne reste que l’apparence. Le corps se mue ainsi parfois en objet, mi-homme mi-plante verte. Inhabité, le corps se comporte comme un parfait imbécile, totalement indifférent aux dangers qu’il court.
© Mark Jenkins, Winner Takes All, 2009, Car Michael Gallery
© Mark Jenkins, Sweeper, 2010, Car Michael Gallery
© Mark Jenkins, Fern Girl, 2011, Car Michael Gallery
© Mark Jenkins, Spokes, 2010, Car Michael Gallery
Ce réalisme des corps allié à l’aspect invraisemblable des situations font se rencontrer, en plein coeur de la ville et aux yeux de tous, le banal et l’extraordinaire. Face à de telles mises en scène, les attitudes des passants peuvent se faire très différentes. Mark Jenkins s’intéresse aux réactions que suscitent ses installations et en garde des traces grâce à des captations vidéo ou à des photographies. Mise à part une indifférence glaciale, l’une des réactions les plus évidentes est celle de la stupeur. Le passant hésite entre une explication rationnelle ou magique de la situation. En immiscent ainsi l’impossible dans le quotidien, les installations de Mark Jenkins peuvent créer une inquiétude profonde. Le quotidien perd son aspect rassurant et devient le lieu de tous les possibles.
Cependant, une fois perçues comme de simples moulages, ces corps mis en scène prêtent à sourire. Même si l’humour noir n’annule pas totalement l’aspect angoissant qui s’en dégage, le rire fait aussi partie intégrante du travail de Mark Jenkins.
Dans l’angoisse, le rire ou l’indifférence, l’installation ne se limite pas à l’objet créé par l’artiste. Les éléments architecturaux aussi bien que les passants se trouvent involontairement engagés. Même si le passant cherche à garder ces distances par rapport à la scène, il participe lui aussi de l’installation. L’étrangeté des personnages de Mark Jenkins se diffuse à ce qui les entoure.
Mais le ridicule aussi est communicatif car ces installations peuvent fonctionner comme un piège à double entrée. Celui qui croit à un accident, aussi bien que celui qui préfère détourner le regard ne peut s’empêcher de voir son propre reflet dans ces personnages qui, souvent, se passent tout simplement de tête.