La céramique est le terrain privilégié de Marion Chambinaud. Elle la teste, l’observe, l’expose à l’eau, à la fumée, au feu, sans chercher jamais à la dominer, à la contraindre. En présence de ces éléments actifs, ses gestes et ses formes laissent s’échapper la poétique brute des propriétés de ce matériau.
La céramique se montre nue, sans apprêt d’émail, dans lequel on verrait son reflet derrière la vitre d’un vaisselier. La terre est sous nos yeux pour ce qu’elle est.
Marion Chambinaud moule, tourne, sculpte, décomplexée de la rigidité des protocoles d’un savoir-faire artisanal. Elle le met à l’épreuve, cherchant le point de rupture qui laissera entrer son propos. Chaque pièce, en terre crue ou cuite semble être un vestige d’un autre temps gardant les stigmates de l’élément qui l’a traversé, activé, fait réagir.
Si la céramique est son terrain privilégié, elle use aussi du ciment, du plâtre, du verre pour (nous) les révéler.
Il pourrait être vain de chercher à maîtriser l’eau. Marion Chambinaud tire partie de cet élément dans « In situ » et « Les pots qui transpirent ». Dans cette dernière pièce, de l’eau dans des pots en terre traverse la paroi de son contenant laissant petit à petit apparaître les traces de calcaire, de minéraux, les empreintes de doigts, traces de la fabrication. Un tel phénomène ne se prévoit pas. Le pot est un réceptacle et en devenant défaillant en tant qu’objet usuel, ses efflorescences le rendent actif. L’eau agit comme un révélateur permettant à la pièce d’atteindre une autonomie et de raconter son histoire. La plupart des pièces de Marion Chambinaud fonctionnent sur ce principe actif « d’autogénération » de changements et de transformations dont elle est l’attentive instigatrice.
Le foyer est l’un des épicentres de son travail. Il est le lieu qui accueille le feu, recueille la suie et évacue une chaude fumée. Dans « Cheminées » et « Extensions d’un four », Marion Chambinaud « met en travail » ses productions, selon l’expression de George Didi-Hubermann, en y allumant un feu à l’intérieur. Les fours (construits du soubassement aux tuyaux d’évacuation) se cuisent eux-même. Autrement dit, elle fabrique son outil de travail, qui devient une pièce à part entière. Le feu n’est plus là, à proprement parler, dans les pièces finies. En revanche, qu’il ait pérennisé ou fragilisé la pièce, il a prit corps par les poussières, la suie, la cendre qui se sont déposées en creux au plus près des irrégularités, des rugosités de la matière.
Les résidus ne sont pas considérés comme des rebuts. Si « Tuyau » semble rouillé, c’est bien la cuisson qui a commencé à le calciner. La poussière et les résidus sont des preuves, car sous nos yeux a opéré/opère une évolution dont ces reliquats sont la nouvelle peau.
Poussières, suies et cendres, ne sont pas présentes pour parler de l’absence, ce sont des fragilités que Marion Chambinaud récolte en tant que nouvelle matière à explorer, à exploiter. À l’image de cet aspirateur dans « Insuffler, expirer, cracher » qui semble avoir amplement saupoudré tout l’espace du tas de poussière qu’il devait capturer. L’aspirateur semble avoir perdu le contrôle et permet à la poussière blanche de s’emparer du lieu en aillant l’air de le figer.
À n’en pas douter, avoir des pieds d’argile peut être une force.