Attirante autant qu’elle dérange, l’œuvre de Margaux Laurens-Neel happe. Elle nous emmène doucement mais fermement dans un univers dont la violence est recouverte d’un enrobage sucré. Troublé, le spectateur avance dans ce cauchemar coloré sans pouvoir détourner le regard.

Margaux Laurens-Neel, WTF, huile sur toile, 100x100cm, 2018 ©

Car sous l’amoncellement de chair fruitée et affable, de pétales roses, de fourrures onctueuses, de formes luxuriantes et débordantes dans lesquelles le regard s’enfonce progressivement, naît l’angoisse.  Que ce soit l’absurdité ou le cynisme des compositions, la violence morbide de l’ambiance, l’omniprésence de ces yeux qui nous fixent avec agitation ou l’exposition ostensible et crue de la sexualité, l’image provoque.

Margaux Laurens-Neel, fraichement diplômée des beaux-arts de Paris et déjà bien entourée par des maîtres comme Joann Sfar ou Eric Poitevin, mobilise tant la peinture que la photographie et le dessin. Bestiale et charnelle, son œuvre est un voyage autour de l’interdit, une évocation constante de la transgression… Et de la sexualité. Omniprésente dans son travail, elle est aussi bien suggérée qu’affirmée avec provocation, dans une rhétorique choc et crue qui crie ouvertement son refus des codes édifiés par la société comme morale, bon goût, norme et tabous. L’érotisme y est ainsi constant. Que ce soit par le biais des symboles qui ponctuent l’œuvre (du fruit défendu1 à Vénus2, déesse de l’amour et de la séduction, au choix des animaux comme la pieuvre, le cochon, le chat, ou le lapin, en passant par celui des végétaux et des fruits3 comme la pivoine, la grenade ou le raisin) ou par le biais des couleurs et des tons – roses, puissants ou pastels, gourmands, parfois acidulés ou fermentés. Le nu y est évidemment partout et les corps que nous livre l’artiste nous offrent un tumultueux mélange des genres.

Et, quoi de mieux que les récits biblique et mythologique pour parler de la tentation et du désir de l’interdit, où le divin et le luxe côtoient l’inatteignable. Bon nombre des peintures et photographies de Margaux Laurens-Neel invoquent ces références : celle du fruit défendu, du paradis, de la madone, de la déesse Vénus et de son amant Adonis, des statues grecques que le dessin et la pose des corps masculins rappelle, ou de Bacchus, dieu du vin, symbole du mystère et de la débauche interdite, que l’abondance des fruits et des tons pourpres évoque avec insistance…

Cet univers à la fois morbide, sensuel et mystique, tout comme l’utilisation massive des symboles, parait être un hommage au symbolisme, mouvement littéraire puis artistique de la fin du XIXe. En peinture, ce courant qui naît en réaction notamment au naturalisme (qui veut représenter la réalité), cherche à montrer ce qui n’est pas directement visible, faisant ainsi appel à l’imagination, au rêve et à la spiritualité, aux symboles qui se cachent derrière les personnes ou les objets. Certains de ses membres utiliseront la parodie, la satire et la dérision, tout comme le fait Margaux Laurens-Neel dans son travail, notamment avec sa série Thinkin’ about you dont l’exagération des traits rappelle la caricature, mais aussi et surtout avec ses chats. Surreprésentés, avec leur pelage soyeux, affublés de nœuds roses, placés dans des positions ridicules et mélangés aux compositions florales, les félins nous toisent en louchant d’un œil tour à tour désabusé, indigné ou ahuri.

Les compositions sont souvent grotesques, ultra kitsch. L’association des couleurs flashy à l’esthétique 80-90’ de ses séries photo, le tout hyper sexualisé, a presque un petit côté Jeff Koons époque « Made in Heaven ».
Le travail de Margaux Laurens-Neel est une suite de décalages et d’ambiguïté. Outre le détournement des codes de la peinture classique et de ses plus célèbres tableaux8, l’œuvre met en balance le fond et la forme. Elle est à la fois débordante – de symboles, de sujets – et très maîtrisée ; elle associe anticonformisme et décadence à une esthétique à la fois enfantine et branchée, presque pailletée, qui la rend déconcertante.

Margaux Laurens-Neel nous livre ainsi un univers dont les chats, le rose, la jeunesse des visages et des corps rappelle l’enfance et font contraste avec la dureté et la violence du propos. La plus que terrifiante série des Horror Rabits illustre parfaitement cette dualité. Cette confrontation entre la pureté et la transgression, la douceur et la violence, comme un passage agité et cauchemardesque au monde adulte, rappelle les univers ambigus et animaliers des controversés Lewis Carroll et Balthus.

Une œuvre déjà foisonnante et intense, qui paraît grandir avec son auteure. A suivre donc…

Margaux Laurens-Neel, A l’origine – The fall of mankind !, huile sur toile ©
Margaux Laurens-Neel, Fleur de chaire ©
Margaux Laurens-Neel, PUDENDUM MULIEBRE ©
Margaux Laurens-Neel, Canard ©
Margaux Laurens-Neel, VENUS 2 ©
Margaux Laurens-Neel, Ismael en parure de sauvage ©
Margaux Laurens-Neel, Margaux XIV, huile sur toile, 165x125cm, 2021 ©
Margaux Laurens-Neel, The Nightmare, huile sur toile, 140x170cm, 2019 ©
Margaux Laurens-Neel, We are puss’, huile et acrylique sur toile, 135x135cm, 2021 ©
Margaux Laurens-Neel, Thinkin’ about you, huile et acrylique sur toile, 2021 ©
Margaux Laurens-Neel, Piggy jelly willies, huile sur toile, 2020 ©
Margaux Laurens-Neel, Lollipop, huile sur toile, 80x80cm, 2021 ©

1 A L’ORIGINE, The Fall

2 VENUS

3 PUDENDUM MULIEBRE ; FLEUR DE CHAIRE

4 L’enlèvement des sabines