Une journée, c’est le temps que s’octroie Lynette Yiadom-Boakye pour réaliser l’une de ses peintures. Cette artiste et écrivain d’origine ghanéenne, née en 1977 à Londres, exécute en effet ses toiles figuratives dans ce laps de temps car, selon elle, il lui permet de conserver intacts et frais les personnages issus de son imagination. Ainsi, même si ceux-ci donnent parfois l’impression d’avoir longuement posé dans son studio, ils n’existent pas. Ses femmes élégantes, ses chasseurs, ses danseurs sont tous des inventions composites que cette jeune femme fabrique à partir de dessins et d’images trouvés ou puisés dans son esprit. Dans sa démarche, une grande place est donc laissée à l’improvisation et comme le dit l’artiste, il est impossible de savoir comment va évoluer sa création au cours de son élaboration et quel sera le résultat final.
Lynette Yiadom-Boakye, Obelisk, 2005, oil on canvas, 240 x 200 cm © All rights reserved – The Saatchi Gallery – London Contemporary Art Gallery
Lynette Yiadom-Boakye, Grammy, 2003, oil on canvas, 280 x 180 cm © All rights reserved – The Saatchi Gallery – London Contemporary Art Gallery
Lynette Yiadom-Boakye, Diplomacy II, 2009, oil on linen, 190 x 250 cm © All rights reserved – The Saatchi Gallery – London Contemporary Art Gallery
Sa galerie de portraits grandit donc de jour en jour en suivant non pas une, mais plusieurs progressions. L’artiste produit en effet à la fois des ensembles d’œuvres intégrant des narrations, mais travaille également à différentes échelles, en effectuant des choix de cadrages et de formats de toiles différents. Du plan très serré sur un visage au portrait de groupe traditionnel en pied, ces personnages ont par contre tous un point commun: celui d’appartenir à la fois au passé, au présent et au futur. Ce flou temporel, Lynette Yiadom-Boakye l’entretient de plusieurs manières: ses décors sont minimalistes, voire quasi inexistants, ses modèles s’habillent de vêtements eux-mêmes intemporels et ne portent pas de chaussures, accessoires qui selon l’artiste donneraient trop d’indices au spectateur. À lui donc de compléter les histoires initiées par ces peintures, à lui de donner à ce ou ces personnages une identité, un statut et d’inventer toute la vie qui va avec.
Alors, si les contours de son travail ne sont pas totalement clairs, Lynette Yiadom-Boakye semble cependant fortement s’inspirer des codes du portrait traditionnel, en donnant à ses personnages des regards perçants et des poses rappelant celles des bourgeois et des têtes couronnées. Ainsi, en observant ses créations, peut-être aurez-vous l’impression d’avoir sous les yeux comme une sorte de deuxième version d’une toile de Whistler, Manet ou Velázquez. Une mécanique de parodie picturale donnant parfois à ces personnages, semblant appartenir à un milieu modeste, une sorte de préciosité, de raffinement et de fierté contrastant fortement avec l’aspect brut et spontané de l’exécution des toiles.
Lynette Yiadom-Boakye, vue de l’exposition « Any Number of Preoccupations » – The Studio Museum Harlem – New York (11 novembre 2010 – 13 mars 2011) © 2009-2013, Jack Shainman Gallery, Inc. Some rights reserved
Lynette Yiadom-Boakye, vue de l’exposition « Lynette Yiadom-Boakye : All Manner of Needs » – Jack Shainman Gallery (13 septembre – 13 octobre 2012) © 2009-2013, Jack Shainman Gallery, Inc. Some rights reserved
Lynette Yiadom-Boakye, A Consideration Like No Other, 2011, oil on canvas, 70 7/8 x 78 3/4 inches © 2009-2013, Jack Shainman Gallery, Inc. Some rights reserved
Lynette Yiadom-Boakye, Watcher, 2011, oil on canvas, 78 3/4 x 51 1/8 inches © 2009-2013, Jack Shainman Gallery, Inc. Some rights reserved
Lynette Yiadom-Boakye, Trawler, 2011, oil on canvas, 98 3/8 x 78 3/4 inches © 2009-2013, Jack Shainman Gallery, Inc. Some rights reserved
Alors pourquoi avoir fait ces choix? Pour renouveler un genre maintes et maintes fois vu peut-être ou, en y réfléchissant plus attentivement, pour surprendre notre regard en remplaçant les sujets blancs des toiles historiques par des sujets noirs et nous faire faire un voyage dans le temps? Peut-être cherche-t-elle à nous faire prendre conscience que cette couleur de peau a été totalement oubliée par les peintres à quelques exceptions près (Marie-Guillemine Benoistet son « Portrait d’une négresse » ou Charles Cordier et ses Vénus africaines). Peut-être sommes-nous alors en présence d’un travail, plus engagé qu’il n’y paraît, cherchant à critiquer cette omniprésence du blanc dans le portrait. Se verrait-elle comme en mission pour redonner leur place à ces personnes oubliées? À vous d’esquisser votre propre opinion sur la question.
Les travaux de Lynette Yiadom-Boakye sont actuellement présentés à Venise dans le cadre de l’exposition principale de la Biennale 2013 « Il Palazzo Encyclopedico » ainsi qu’au Palazzo Contarini Polignac dans le cadre de l’exposition du PinchukArtCenter « Future Generation Art Prize ». En France, ses toiles ont notamment été présentées à la Sucrière lors de l’édition 2011 de la Biennale de Lyon.
Lynette Yiadom-Boakye est actuellement représentée par la galerie new-yorkaise Jack Shainman. Elle a récemment été nominée pour le Turner Prize 2013 aux côtés des artistes Laure Prouvost, David Shrigley et Tino Sehgal.