Lionel Jusseret est un jeune photographe belge qui se glisse dans l’intimité d’enfants autistes et immortalise ces instants dans le documentaire photographique Kinderszenen. L’immersion est longue, huit années, où il capture des images de ces oubliées en narrant leur enfance particulière entre violence et douceur. En avril 2020, le projet se présentera sous forme d’un ouvrage de photographies accompagnées des textes de la poétesse Babouillec et de l’écrivain-philosophe Josef Schovanec.

Sans titre, photographie © Lionel Jusseret
Sans titre, photographie © Lionel Jusseret
Sans titre, photographie © Lionel Jusseret
Sans titre, photographie © Lionel Jusseret

B!B! : Peux-tu te présenter aux lecteurs de Boum! Bang! ?

Lionel : Lionel Jusseret, 30 ans, photographe mais cinéaste de formation. J’ai étudié cinq ans à l’INSAS, une école réputée pour son approche exigeante du cinéma du réel. La notion d’imprévisibilité a toujours été au centre de mes questionnements concernant le récit. Je veux dire, l’imprévisibilité en tant que matière pour enrichir la narration. Je suis quelqu’un d’intuitif. Mais très méthodique. Visuel aussi. J’aime la légèreté. Donc la photographie est arrivée dans ma vie plutôt naturellement.

B!B! : Peux-tu nous parler de ton projet Kinderszenen ?

Lionel : Kinderszenen est une longue série de photographies sur l’autisme et l’enfance. C’est le fruit d’un travail de presque huit ans qui donne à voir une dimension narrative à la fois féérique et dramatique des nombreux enfants dit autistes que j’ai eu la grande chance de rencontrer. C’est un conte moderne.

B!B! : Comment le projet est-il né ?

Lionel: Il a commencé en parallèle à la fin de mes études entre 2010 et 2012. J’avais découvert de cinéma de Fernand Deligny, cinéaste-éducateur, son approche alternative avec les enfants autistes dans la nature des Cévennes des années 1960. Une amie m’avait proposé d’aller travailler et rencontrer ces gamins-là dans une association française J’interviendrais qui se positionne dans la filiation de Deligny : des petits centres souvent en pleine campagne. La première semaine a leur contact a été éprouvante mais m’a marqué à jamais.

B!B! : Pourquoi se présente-t-il sous forme de chapitres et comment as-tu choisis l’ensemble des titres ?

Lionel : Les titres, je les ai emprunté à Robert Schuman. J’ai joué du piano pendant longtemps et beaucoup persévéré sur l’une des pièces des Kinderszenen (scènes d’enfants) nommé Traumereï (rêverie). Au départ, la série portait ce nom, puis d’autre images sont apparues avec d’autres tonalités et humeur. J’ai décidé donc d’assembler les 13 chapitres des Kinderszenen qui ont été mon fil d’Ariane pendant toutes ces années. Trouver une idée, c’est un cadeau mais une bonne idée de structure, c’est une vrai fête ! J’ai pensé que ces chapitres allaient disparaître avec le temps. Finalement ils structurent le livre qui paraîtra aux éditions Loco en avril 2020.

B!B! : Quels sont les artistes qui influencent ta démarche artistique ?

Lionel : Les cinéastes Robert Kramer, Shirley Clarke, Jean Rouch, Johan Van der Keuken, Vitali Kanevsky et Robert Flaherty bien sûr. Tous travaillent en immersion, dans la durée et chacun à leur manière, en quête d’imprévisibilité. Je leur dois toute ma méthode de travail. Chez les photographes : Jane Evelynn Atwood en particulier et les coloristes Harry Gruyaert, Dolores Marrat, Alex Webb, Lars Tunbjörk pour ne citer qu’eux.

B!B! : Peux-tu nous parler de la rencontre avec ces enfants ?

Lionel: C’est très difficile à raconter. On dit qu’il y a autant d’autistes que de formes d’autismes donc chaque rencontre est fondamentalement différente. L’idéal est d’abandonner tout ce que l’on pense savoir et se laisser guider par l’enfant. Dans la limite que nous leur proposons bien sûr mais surtout dans celle qu’ils nous imposent. La rencontre peut se faire ou ne pas se faire. On cherche, à tâtons. Dans une temporalité qui est propre à chaque enfant et qu’il nous impose aussi, encore une fois. A vrai dire, j’ai rapidement eu le sentiment de voyager. En Autistan pour citer Josef Schovanec.

B!B! : Qu’est-ce qui t’as profondément marqué durant ces huit années de travail ?

Lionel : La douceur et la violence. La vie fois cent. Avec eux tout est très intense. Il arrive souvent que ces enfants soient en grande souffrance et l’expriment de façon très violente. Nous cherchons à comprendre le pourquoi du comment mais tout est si complexe. La violence et la souffrance est très marquante, c’est sûr. J’essaye de l’exprimer en image par un aspect sombre et dramatique. La fiction rachète tout et je tiens à rester universel dans les émotions que je veux raconter.

Et de l’autre côté, c’est la douceur. Leur fantaisie est inexprimable par les mots. Et les images, même les plus colorés et solaires que j’ai pu réaliser sont en deçà de toutes réalités qu’on pourrait vivre avec eux. Des moments de pure magie.

B!B! : Qu’as-tu appris dans le fait de travailler avec des enfants autistes ?

Lionel: L’autisme n’est pas une maladie, c’est un état. Chaque enfant est une culture en soi. Certains parlent, d’autres pas. Et parfois, certains parlants communiquent bien moins bien que ceux qui ne parlent pas. On s’interroge vite sur la notion de langage, de morale. Le mensonge n’existe pas. On remet en question nos codes sociaux. Les photographies arrivent bien après toutes ces questions, dans le temps présent. Il y a souvent ce moment magique dans la relation. Extrêmement éphémère. A ce moment là, il y a parfois une photo, oui. Mais cela exige de s’impliquer. Avec eux, on ne peut pas faire semblant.

B!B! : Quelles sont les photographies et/ou le chapitre que te touchent le plus dans ce projet ?

Lionel: Difficile à dire. Pour moi, c’est un tout. Un poumon qui respire.

B!B! : Un projet en cours ? 

Lionel: Je suis actuellement sur un nouveau travail ayant pour sujet la vieillesse. Ou tout du moins, les communautés qui se créent en dehors du monde dans les maisons de retraite. A nouveau, c’est un voyage, mais cette fois, c’est entre les quatre murs des institutions.

Lionel Jusseret, Babouillec, postface de Josef Schovanec, Kinderszenen, Paris, éditions Loco, 2020, 198 pages imprimées en quadrichromie, environ 120 reproductions, couverture reliée plein papier avec jaquette.
Précommande : http://www.editionsloco.com/Kinderszenen

Sans titre, photographie © Lionel Jusseret
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Sans titre, photographie © Lionel Jusseret
Sans titre, photographie © Lionel Jusseret
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B!B! : Les chroniqueurs de Boum!Bang! ont pour habitude de terminer leurs entretiens par une sélection de questions issue du questionnaire de Proust. En voici quelques-unes librement adaptées :

B!B! : Ton état d’esprit actuel ?

Concentré.

B!B! : Si tu devais changer de métier, lequel choisirais-tu ?

Marathonien.

B!B! : Ton héros dans la fiction ?

Raspoutine. En tout cas le personnage présenté comme tel dans le film Agonie de Elem Klimov.

B!B! : Un photographe préféré ?

Jane Evelyn Atwood.

B!B! : Un objet fétiche ?

Mes lunettes.

B!B! : Quel serait ton plus grand malheur ?

Perdre ceux que j’aime.

B!B! : Un artiste que tu souhaites rencontrer de son vivant ?

Johan van der Keuken. Il est mort, je sais.

B!B! : Quel don aimerais-tu avoir ?

Voler.

B!B! : Un peintre favori ?

Otto Dix.

B!B! : Comment souhaiterais-tu mourir ?

Comme je l’aurai décidé.

B!B! : Ta chanson du moment ?

L’album Talker de US Maple.

B!B! : Et pour terminer, si je te dis Boum! Bang!, tu me dis ?

Fletch !

Sans titre, photographie © Lionel Jusseret
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Sans titre, photographie © Lionel Jusseret
Sans titre, photographie © Lionel Jusseret
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