Il y a des artistes de rue qui transforment les balades en ville en joyeux spectacles, où des humains sortent de l’architecture comme par magie et arrivent comme une blague impromptue au milieu d’une conversation sérieuse. Banksy est certainement l’exemple le plus connu de cette pratique d’un street art astucieux et piquant, qui utilise la figure humaine pour arrêter le regard du badaud et questionner son quotidien. Mais ce n’est pas au mystérieux artiste anglais – connu pour dissimuler son visage coûte que coûte – que nous allons consacrer ces quelques lignes, mais à un jeune artiste parisien nommé Levalet.
Si vous vous baladez dans le 11ème arrondissement de Paris, disons rue de la Forge Royale, vous serez peut-être étonnés d’apercevoir dans la vitrine du 12 des personnes endormies, mais alors endormies comme on aimerait dormir, d’un profond sommeil. On s’arrête, on s’intrigue, tiens! Mais que s’est-il passé? Y a-t-il une fée qui a endormi tout le monde pour cent ans, comme dans « La belle au bois dormant »? Encore une histoire de princesse et de quenouille!? Eh non, il s’agit d’une exposition de Levalet (jusqu’au 9 mars 2013), ce très joli artiste qui fait s’endormir ses modèles sur les murs de Paris. Ses personnages se calent parfaitement bien dans les recoins de la galerie, l’un assis sur l’étagère, l’autre s’appuyant dans un coin de mur… Et il est amusant de regarder les mille et unes positions qu’invente Levalet à ses dormeurs, utilisant le sommeil non comme endormissement de l’individualité des personnages, mais comme rêve heureux réinventé par chacun. Il faut aussi l’imaginer in situ, dans la vraie rue, là où de vraies personnes sont obligées de dormir dans le froid ou la chaleur et bien souvent dans l’indifférence. Il est peut-être possible de passer devant un homme endormi sur un banc sans le voir, mais il est impossible de rater une des œuvres de Levalet, parce que c’est drôle et mignon; ainsi, en interpellant le passant et peut-être malgré lui, Levalet parle à demi-mots d’une poésie de la rue qui la fait exister et qui la sort du quotidien. Alors, on la re-regarde, et on les voit, les vrais dormeurs. Sans être politique, cet artiste met en évidence l’existence de la rue comme support esthétique et comme espace de vie. Il séduit le passant en faisant d’un trajet quotidien un spectacle, ou d’une balade dominicale une farce burlesque. Une farce oui, puisque ses œuvres hormis les dormeurs montrent des personnages maladroits, qui tombent par terre, qui se boxent, qui se mettent KO, qui papotent, qui se prennent la tête, tout un petit monde charmant et presque un peu rétro, façon Charlie Chaplin.
© Levalet au Cabinet d’amateur, 2013
© Levalet, Dormeurs
© Levalet, Dormeurs
© Levalet, Eternel combat
© Levalet, La file
© Levalet, La fuite
© Levalet, La fuite
© Levalet, La pianiste
© Levalet, Le guichet
© Levalet, Le guichet
© Levalet, Le seuil
Levalet repère un endroit, le mesure, puis imagine un personnage et l’adapte aux dimensions de l’architecture: en s’adaptant aux bosses et aux détours des murs, il fait l’amour à la rue et lui crie « je t’aime », car il la prend dans ses bras avec tous ses défauts et ses failles. Il étend la réalité au burlesque et à l’intriguant, il nous interpelle et nous chuchote des calembours; on aurait presque envie d’être un passe-muraille comme le personnage de Marcel Aymé pour rejoindre ce petit monde et entrer dans leur danse.
Pour conclure ce texte, associons à ce poète des rues qu’est Levalet un autre poète, Raymond Queneau, qui joue lui aussi avec Paris pour le rendre un petit peu plus rigolo:
La tour Eiffel dans la brume
Joue un petit air de marteau
Elle a pris pour enclume
Le soleil dans son bateau