Si vous connaissez Kenya Hara, c’est probablement par le biais de la marque MUJI, dont il est le directeur artistique depuis 2002. Graphiste très influent au Japon, il a travaillé à bien d’autres projets visuels, tous marqués de sa poésie paisible. Petit tour d’horizon du travail d’un designer qui est aussi, d’abord, un penseur.
S’il n’est pas toujours pertinent d’évoquer la biographie des artistes avant d’entrer dans leur œuvre; dans le cas de Kenya Hara, il paraît pourtant difficile de ne pas mentionner le double héritage d’un père à la fois homme d’affaires et prêtre shintoïste dans le Tokyo des années 1960. Du shintoïsme et de sa philosophie, Kenya Hara a gardé bien des préceptes pour son activité de designer. Son travail est guidé par une véritable éthique de la patience, de la lenteur; à contre-courant total de la course effrénée vers la nouveauté de notre époque ultra-technologique. Au contraire, Kenya Hara prône la forme mûrement réfléchie, solide par sa simplicité et un caractère qui puisse évoquer à la fois un rapport au passé et au futur.
Pour l’image de marque de MUJI, Kenya Hara a travaillé sur l’idée de « marque anonyme », le refus de l’ « image » de marque. Rien de visuel dans l’identité de MUJI mais du texte composé en Helvetica (pour l’alphabet latin – et son équivalent pour les caractères japonais), une police réputée pour sa transparence, son absence totale de connotations. Le seul caractère distinctif de la marque est peut-être la couleur bordeaux, que l’on retouve en fin liseré sur les étiquettes (vêtements, flacons, emballages) et dans le design numérique de l’application Ipad. MUJI semble vouloir se présenter comme la marque « basique » par excellence. Il ne s’agit pas, comme l’explique Kenya Hara de faire du « non design », mais de « l’ultimate design », du design essentiel. Vue sous cet angle, la standardisation du produit industriel n’a plus rien d’inquiétant; au contraire, elle évoque la confiance, la valeur sûre.
Sur les campagnes publicitaires auxquelles Kenya Hara a travaillé depuis 2002 en revanche, MUJI se construit une image plus pictoriale cette fois, portée par de belles photographies de Yoshihiko Ueda, accompagnées de slogans minimaux et poétiques: « Horizon » en 2003, « Soyons tendres » en 2008, « Like Water » en 2009. L’image photographique y est aussi domestiquée que possible, organisée en compositions géométriques droite/gauche ou haut/bas, dans des formats panoramiques libérant parfois, un coin de marge blanche. L’idée forte est celle de l’harmonie paisible, dans la contemplation d’un paysage, dans des activités domestiques, et même sous la pluie qui est, pour le shintoïsme, un élément nourricier.
Identité visuelle de MUJI, étiquettes carton © Kenya Hara
Identité visuelle de MUJI, emballage © Kenya Hara
Identité visuelle de MUJI, emballage © Kenya Hara
Identité visuelle de MUJI, appli Ipad © Kenya Hara
Campagne pour la marque MUJI « Horizon », 2003 © Kenya Hara, photo Yushihiko Ueda
Campagne pour la marque MUJI « Horizon », 2003 © Kenya Hara, photo Yushihiko Ueda
Campagne pour la marque MUJI « Horizon », 2003 © Kenya Hara, photo Yushihiko Ueda
Campagne pour la marque MUJI « Horizon », 2003 © Kenya Hara, photo Yushihiko Ueda
Campagne pour la marque MUJI « Let’s be tender », 2008 © Kenya Hara, photo Yushihiko Ueda
Campagne pour la marque MUJI « Like Water », 2009 © Kenya Hara, photo Yushihiko Ueda
Campagne pour la marque MUJI « Like Water », 2009 © Kenya Hara, photo Yushihiko Ueda
Campagne pour la marque MUJI « Like Water », 2009 © Kenya Hara, photo Yushihiko Ueda
Campagne presse MUJI © Kenya Hara, photo Yushihiko Ueda
Campagne presse MUJI © Kenya Hara, photo Yushihiko Ueda
Identité visuelle de la marque Akray, étiquettes © Kenya Hara
Signalétique textile de la clinique d’Umeda, Japon © Kenya Hara
C’est sans doute pour la pureté éthique de son travail (peut-on parler de style?), que Kenya Hara a souvent été commandité pour concevoir l’identité visuelle de marques et institutions de santé, comme Arkray, qui produit du matériel médical, ou la clinique d’Umeda au Japon, dont la signalétique sur textile immaculé évoque sans contradiction à la fois propreté et bien-être.
« Le bonheur réside dans notre capacité à savourer pleinement l’environnement dans lequel nous vivons » aime-t-il à répéter. S’émerveiller de peu, comme précepte de vie et comme éthique de travail. Kenya Hara sait apprivoiser le vide, le blanc, et démontre que les produits qui donnent habituellement lieu à une débauche de signes et de couleurs peuvent aussi s’y prêter. C’est le cas de l’alcool, des cigarettes, des parfums, des produits gastronomiques dont il a composé des étiquettes toutes en légèreté.
Sur le paquet rose des cigarettes Sakura, le nom de la marque est résumé à un trait qui évoque une volute de fumée. Les étiquettes des vins Grace Koshu et Dandellion sont réalisées avec la même technique que les estampes pour évoquer le savoir-faire traditionnel. Les formes les plus traditionnelles du Japon peuvent ainsi se trouver réinvesties d’autres forces et signification. Le saké Hakkin s’est vu rhabillé en acier en 2000. Le même flacon sera repris en 2008 pour le parfum Kenzo Power.