« Si le monde était clair, l’art ne serait pas. », Albert Camus (Le Mythe de Sisyphe, 1942)
Julien Gorgeart construit ses images comme on rate parfois ses photos, fixant l’objectif sur un détail incongru, flash pointé sur un personnage et décadrant ses sujets. Dans son travail, la réalité n’est qu’illusion, simulation et réactivation du nécessaire; les fondamentaux du paraître déguisent son œuvre d’une fidélité de type photographique, représentent des parcelles de scènes quotidiennes.
À la lecture d’un hyperréalisme omniprésent dans la peinture de Julien Gorgeart, se distingue une familiarité spontanée, fluide, immédiate. C’est la traduction visuelle d’un incipit in media res, comme on en trouve dans les romans des existentialistes. Un renouement manichéen avec l’ordinaire, tergiversant avec l’amertume et l’appréciation de l’environnement trivial. En accordant une place privilégiée au portrait — maîtrisé dès lors par un notable académisme plastique —, l’artiste déploie une narration subtile, figée dans le vif d’une histoire anonyme. Affranchi des contraintes esthétiques, sans négliger pour autant modelé et perspectives, il en saisit une imagerie prosaïque, semblable à celles de Nan Goldin qui déclarait : « Si je veux prendre une photo, je la prends, peu importe ce que c’est. »
Énonciation d’une liberté équivoque, sa démarche questionne au préalable le rapport entre perception et photographie. « Malgré les apparences hyperréalistes, je suis un peintre du simulacre. Je traduis le monde réel afin d’ouvrir des perspectives narratives et cinématographiques. », confesse-t-il. Issues de sa propre expérience, de celles de ses proches ou d’inconnus, les images de Julien Gorgeart correspondent à des mises en scène où chaque détail est dûment réfléchi: décors, couleurs, lumières, postures, expressions et textures fédèrent une dimension filmique certaine. Indéniablement liée aux prédispositions photographiques qui multiplient les points de vue — plongeante, d’ensemble ou serrée —, sa sensibilité autorise la tromperie. « Je reste très fidèle à l’image de départ mais parfois, pour accentuer une ambiance ou appuyer le sens, je vais oublier certains détails ou grossir l’ombre du flash, changer l’expression du visage… Je me laisse une marge de manœuvre », énonce-t-il.
La suggestion d’un artefact bicéphale, inscrit dans la fusion technique — photographie / peinture — et sémantique — vérité / illusion —, révèle chez Julien Gorgeart une puissante contenance, soutenue par le talent du trait. Proche des thématiques de Christian Boltanski (« Je suis content, c’est mon anniversaire », 1974) ou de l’Hyperréalisme de Chuck Close, la vision du peintre révèle toute l’authenticité narrative des banalités journalières.