Que regarder en premier lorsque l’on se retrouve devant un dessin de Jérémy Schneider? Les détails innombrables comme dans le dessin « L’Ours », nous amènent à la surprise et la confusion mais aussi à l’admiration. L’assemblage incongru de cette tête animale qui nous surveille de ses yeux perçants, avec le fouillis de la végétation, forme un ensemble cohérant grâce au style de l’artiste. Ce travail de précision de l’illustrateur et designer graphique nous emmène dans un tourbillon de noirs, de gris et de blancs. Pour obtenir ces contrastes, Jérémy Schneider utilise de la pierre noire pour avoir des « noirs très noirs » comme il le dit.
La surprise laisse place à la perplexité. Comment l’artiste travaille t-il d’une manière aussi précise et avec autant de réalisme? Ses dessins n’en sont pas moins d’un style épuré et aéré et cela provient du fond blanc. Ce repoussoir clair met justement en exergue la complexité de son style et nous permet, une fois l’étonnement passé, de décortiquer ses dessins, surtout les plus complexes comme « L’Ours » mais également « Le Barbu. » Ces deux réalisations sont similaires par leur assemblage: un portrait en haut avec une végétation dense en dessous. L’envie de découvrir chaque détail, de l’analyser et d’apprécier le travail minutieux, est plus forte que l’envie de regarder le dessin dans son ensemble. L’attrait de notre regard vers les dessins de Jérémy Schneider est fort, puissant, presque obsessionnel. Le zoom sur chaque illustration, sur chaque parcelle de dessin devient presque obligatoire pour apprécier pleinement son travail précis et envoutant. Ce réalisme extrême nous plongerait presque la tête la première dans le leurre. Mais dans le cas des deux dessins cités plus haut, c’est cet assemblage incongru, presque surréaliste, qui fait que nous ne basculons pas dans le piège de la tromperie. La confusion entre ces dessins réalistes et une photo en noir et blanc est alors impossible.
Ainsi les portraits de la série pour l’Orchestre National de Lorraine peuvent au premier abord nous tromper puisque seul le visage est dessiné, et pourtant il y a un petit quelque chose dans le travail de l’artiste qui fait que l’on comprend que c’est un travail d’illustrateur. C’est peut être par les traits quelques peu trop nets que l’on peut distinguer ces dessins réalistes de la photo. On ne peut cependant cesser de regarder ces visages qui nous interpellent. Mais est-ce plutôt le travail réaliste de l’artiste qui nous perturbe ou alors l’expression de ses personnages? Le dessin « Homme-Singe » est très déconcertant. Son expression et son réalisme ne sont-ils pas justement les causes de notre identification avec ce primate humain, finalement si proche de nous? Le simple fait d’ajouter des lunettes sur cet animal permet une humanisation assez troublante. « Le Rat » est également « humanisé » par sa posture et ses attributs humains que sont les vêtements et les lunettes. Sans le réalisme des dessins, le trouble provoqué serait moindre.
Le travail de Jérémy Schneider est sidérant par sa finesse et sa méticulosité. Même si chacune de ses illustrations a son histoire, ses sujets se ressemblent tous un peu. Pourtant ils sont différents par les personnages et les expressions qui divergent. L’artiste aime dessiner les expressions. Il veut « qu’elles transpirent du papier ». Il les force à afficher leur personnalité et l’époque dans laquelle ils vivent. Ainsi ses sujets s’ancrent dans la philosophie ou bien dans l’Histoire. Par exemple pour sa série « Commune de Paris », ses sujets sont des bourgeois du 19ème siècle. Ils sont terrifiés à la vue de la révolte des communards et cela se traduit par leur expression risible. Les objets, qui sont pour la plupart des objets tranchants et pointus du quotidien et où sont dissimulés des doigts coupés, sont le symbole de cette révolte. Cela montre le décalage entre ces bourgeois grotesques et ceux qui leur font peur. Leur lâcheté et leur petitesse d’esprit sont mises en avant avec les innombrables paires de ciseaux et de couteaux, qui ne sont pas de véritables armes pour mener à bien une manifestation. On se place immédiatement du coté des communards grâce à la dérision des bourgeois. Qui aurait envie de soutenir ces personnages, au regard d’animaux affolés, horrifiés face à ces « armes » de révolte? Inconsciemment ou non on se moque de ces figures presque épouvantées. L’interrogation survient quant à ce qu’ils voient. Est-ce vraiment si terrible?
Jérémy Schneider travaille des sujets récurrents comme les expressions mais aussi le monde bestiaire. C’est pour cela que ses sujets animaliers, et même humains, nous captivent d’une façon ou d’une autre par leur regard. Regard inquisiteur, perçant ou bien indifférent. Le visage, ce simple masque superficiel, nous permet presque de discerner la personnalité de ces dessins réalistes, comme si chacun existait dans la vie réelle et non plus simplement sur une feuille blanche. Les beautés qui inspirent cet illustrateur sont toujours des beautés marquées. Marquées par le temps, par une action, par la vie.