Qu’il peigne un visage ou un crâne, Jean-Baptiste Boyer considère ses toiles comme des vanités. Il n’est pas dupe des sujets qu’il prend; tout n’est que nature morte. Image aujourd’hui de ce qui est, demain de ce qui a été, mais image tout de même. L’acte de figurer est une tentative parmi d’autres de s’élever contre l’oubli, de prendre note d’une finitude. Un véritable combat qui se livre avec violence, si l’on regarde la férocité avec laquelle l’artiste appose ses couleurs. Une opération spirituelle aussi, qui passe par la composition soigneuse des tableaux et la rigueur avec laquelle il réagence certains éléments comme le crâne, la croix, la chaise. Plus que des symboles, des accessoires d’ateliers récurrents qui marquent comme un sceau et trahissent une fabrique de l’image. Memento Mori.
La continuité avec les maîtres anciens est évidente par les jeux de lumière et la reprise de certains motifs mais elle peut être trompeuse. Jean-Baptiste Boyer s’est formé à force de regard et à l’épreuve de la peinture classique et des illustrations de son grand-père; il tire un art de la narration qui lui est propre. « Les agneaux perdus » est à la fois le nom d’une de ses toiles et de l’exposition que la Galerie Laure Roynette lui consacre. Cette toile qui reprend l’image d’Epinal du berger et de sa houlette regardant le troupeau témoigne d’une série plus large qui fixe de nouvelles mythologies. Le jeune homme en basket avec son chien est notre contemporain, il participe dans cette recomposition au second degré du tableau. La croix n’est pas un appel à la procession mais un jeu avec la perspective, l’histoire de l’art et l’imaginaire.
Les modèles de Jean-Baptiste Boyer sont des jeunes gens modernes. Leurs vêtements les trahissent, leurs corps tatoués, piercés, maquillés même. L’actualité de cette peinture n’est pourtant pas que dans ses sujets, elle réside aussi dans un subtil assemblage. « Bruck » est assis sur une chaise second empire qui rappelle l’atelier dans lequel le peintre travaille. Il ne s’agit pas de cacher le moment de la pose mais au contraire de travailler sa spécificité, sa théâtralité. Le fond paysager que l’artiste associe à chacun des personnages reflète en quelque sorte leur personnalité et agit comme un révélateur. Peut-être faut-il y entendre dans ces vallons et forêts un écho à Verlaine. Coucher de soleil au crépuscule, ce vers toujours des Fêtes galantes « Votre âme est un paysage choisi ». Chaque modèle suscite un jeu d’associations unique, comme les fragments d’une identité en mouvement. Pour l’un ce sera une boîte (« Tous nos fardeaux »), l’autre un verre (« Contempler ses ruines ») et le dernier un masque (« L’autre visage »); témoins d’une relation particulière et accessoires d’une jeunesse qui pose.
La nature qui donne lieu à des moments de bravoure picturale plonge ces figures dans un ailleurs de la représentation. Ce n’est pas le contexte urbain dans lequel les modèles évoluent, c’est l’environnement du peintre dans lequel ils sont rentrés. Jean-Baptiste Boyer instaure par la végétation peu réaliste un climat d’intemporalité. Le monde des origines. Dans ses grands formats comme « Les Anges rouges », il peint à hauteur d’homme et nous propose de mystérieuses scènes. Son personnage plumant un corbeau rouge regarde directement le visiteur qu’il met presque au défi. On retrouve cette même expression dans « Sans titre » et ses airs de déjeuner sur l’herbe où un nu, un crâne et une dague dialoguent avec un accent shakespearien. Les mises en scènes de l’artiste évoquent une iconologie des mauvais garçons tour à tour fragiles et majestueux.
Évoquant son travail, notamment auprès de ses modèles, Jean-Baptiste Boyer semble obsédé par l’idée de rendre justice. Peut-être parce que ses peintures s’attachent à des états transitoires. Entre violence et douceur, il capture l’adolescence avec plus de justesse que de justice. Ses petits formats comme « Léa » ou « Le rêve perdu » se concentrent sur les visages, révélant au delà d’un dessin préparatoire, une véritable habileté de coloriste. Sur des fonds unis, il insiste sur l’intériorité de ses modèles, le regard tourné en eux-même, presque saisis par des coups de pinceaux que l’on devine rapides, furtifs. L’artiste suspend le temps, à commencer par le sien, comme en témoignent ses différents autoportraits. « Metalhead ,« Metalheart », de face et de profil reprennent son visage grimé à la manière d’un chanteur de métal. Le blanc et le noir poursuivent leurs courses jusqu’à atteindre la chair. La peinture devient le médium rituel du passage, propre à consacrer une transformation jusqu’à celle de la mort et jusqu’au crâne de « No filter », dont le titre rappelle le geste photographique pur, sans retouche, ni filtre. La vanité incarnée.