Jane Evelyn Atwood, récemment exposée à la Maison Européenne de la Photographie, est une photographe américaine vivant à Paris depuis 1971. La naissance de sa passion est due à la coïncidence de deux événements: une exposition sur les œuvres de Diane Arbus, où les photos faisaient ressortir quelque étrangeté en chacun des sujets, et la rencontre de prostituées Rue des Lombards, à Paris. Nous sommes alors au début des années 80. Marquée par l’exposition, Jane Evelyn Atwood veut photographier mais surtout connaître ces femmes aux marges de la société. L’esprit plein d’interrogations, elle suivra Blandine et ses amies/collègues/compagnonnes pendant plus d’un an. Les clichés, loin de dépeindre une vie miséreuse, ou de tomber dans le pathétique, sont tout simplement beaux et terriblement intimes. Exclusivement en noir et blanc, ils rappellent des tirages des années 30, à la manière de Brassaï par exemple.
Les projets suivants ce premier essai sont de la même veine: accomplis sur une longue durée, parfois plus de dix ans, ils pénètrent l’intimité, la vie du sujet et en extraient l’essence. Une sève toujours pleine de dignité et d’humilité. En effet, chez Jane Evelyn Atwood, les photographies sont le rouage d’un processus bien plus complexe et profond: la réponse à toutes les interrogations que la photographe se pose sur leurs existences. C’est l’honnêteté totale de la photographe qui permet à ses sujets de s’ouvrir pleinement à l’objectif. Grande curieuse, Jane Evelyn Atwood se dit passionnée par la condition humaine et s’intéresse aux étranges, à ceux qui ne rentrent pas dans nos cadres habituels de pensée. Ces « vivants aux marges », elle veut nous les faire connaître, nous montrer leur humanité, nous prouver qu’ils sont normaux à leur façon. Le but, c’est de mettre un visage sur ce que nous qualifions de problèmes sociaux, de pénétrer ces mondes que nous ignorons. C’est pourquoi l’artiste ne se contente pas d’expositions temporaires, de photos que l’on admire puis range au placard. La plupart de ses projets ont donné naissance à un livre, accompagné des écrits de l’artiste. Ainsi, parmi les plus belles histoires racontées par Jane Evelyn Atwood, l’on trouve son projet son Haïti. L’un des seuls à être en couleur, il témoigne de ce que les médias, avec leurs images de destruction totale et d‘apocalypse, ignorent. Jane y dépeint la vie quotidienne, la misère, la lutte, avec l’idée que les photographies soient une trace, pour que cette réalité n’existe pas uniquement pour ceux qui la vivent.
Ses œuvres ne relèvent pourtant pas du militantisme. Si l’artiste avoue être souvent choquée, enragée par ce qu’elle découvre au fil de ses projets, la motivation première est la compréhension de l’autre. Elle se décrit ainsi comme étant « photographe obsessive », avant d’être une photojournaliste.
Les deux sont pourtant intimement liés, et les clichés de l’artiste, provoquant émotion, indignation, empathie, ont aidé à améliorer les conditions de vie de ces laissés pour compte, comme ce fut le cas pour Jean Louis, premier homme atteint du Sida à se laisser photographier. Le but était alors de faire tomber les préjugés de l’époque sur la maladie.
Première lauréate au Prix Eugène Smith de la photographie documentaire pour Extérieur Nuit, elle enchainera ensuite les récompenses. Extérieur Nuit, c’est la plongée dans le monde des aveugles, rencontrés dans des institutions à Paris, Tokyo, Bethleem et Jerusalem. Les images, souvent métaphoriques, sont surprenantes, drôles et émouvantes.
Son projet le plus long, qui a duré 10 années, est celui qu’elle a mené dans quarante prisons de neufs pays d’Europe et d’Amérique. Des clichés se dégagent un sentiment de solidarité, d’union dans l’horreur. La dualité, le paradoxe est présent dans chaque image: des mains entrelacées révélant des avants bras mutilés, des douches au baquet révélant la sensualité des corps, etc.
Et puis enfin, il y a des projets plus récents, par exemple Sentinelles de l’ombre, réalisé entre 2000 et 2003, avec lequel l’on rencontre les victimes des mines anti-personnel en Afghanistan, Kosovo, Angola et Mozambique ou Mère-fille au Libéria, sur ce qu’est la vie lorsqu’on est une femme n’ayant connu que la guerre et devant s’occuper seule de ses enfants.
Ce que Jane Evelyn Atwood nous apprend, c’est qu’aujourd’hui, dans un monde où quiconque peut réaliser des milliers de photos en un temps record, ce qui compte, c’est l’histoire. Le récit qui se tisse en filigrane et irradie le cliché. Peu importe la vitesse, la quantité, seule importe la façon donc le sujet transcende la photographie et vient nous parler.