Ingrid Maillard est une jeune artiste plasticienne basée à Paris et spécialisée dans le dessin à la mine graphite des représentations du corps humain. Un traitement de l’image des chairs, des muscles et des plis avec maniérisme, tension et érotisme, essentiellement en noir et blanc. Un ensemble de scènes complexes dans ses mouvements et détails faisant bien souvent référence à la mythologie grecque. Ingrid met à nu une anatomie précise et minutieuse qui dévoile des corps transformés dans des combinaisons sans fin.

B!B! : Ingrid, peux-tu te présenter aux lecteurs de Boum! Bang! ?

Ingrid : Diplômée de l’école des arts visuels de la Cambre à Bruxelles, je suis une dessinatrice française vivant et travaillant à Paris. Travailler autour de l’image a toujours été une évidence pour moi, d’autant plus que je suis issue d’une famille de plusieurs générations de photograveurs, d’ailleurs, je travaille moi aussi en tant que photograveur pour différents journaux parisiens. Je pourrais me considérer comme une artiste qui tisse des nus. La ligne directrice de mon travail est sans conteste le fil, qui semble à chaque fois infini et en mouvement.

B!B! : Quelles sont tes influences ?

Ingrid : Ayant un attrait particulier pour le mouvement maniériste, c’est pendant mes études à Bruxelles que je découvre et tombe en admiration face aux peintres et graveurs du siècle d’or néerlandais comme Hendrik Goltzius,  Cornelis Cornelisz van Haarlem ou encore Jacob Jordaens. Il y a Hans Bellmer aussi qui me fascine avec les mouvements qu’il a créé dans ses dessins grâce aux courbes de ses traits. Finalement, si ce n’est pas de la gravure, ce sont les dessins travaillés aux traits qui m’influencent ! D’un point de vu plus contemporain, j’apprécie le travail de Jérôme Zonder ou encore Marcos Carrasquer. Je n’oublierai pas aussi de mentionner deux autres influences essentielles à mon travail : Les Métamorphoses d’Ovide, recueil principal de mythes grecques, ainsi que la musique, sans laquelle je serai incapable de créer.

B!B! : Peux-tu nous parler de ta série Vortex ?

Ingrid : La série Vortex est la quintessence de l’étude des corps en interaction à la mine graphite. En se focalisant sur les aspects les plus particuliers de l’anatomie, je tente de retranscrire avec maniérisme, violence, tensions et parfois érotisme la chair et les muscles des modèles. Entremêlés dans une danse figée d’où émane néanmoins une puissante impression de mouvement, les corps sont pensés en détail, de par la direction du trait ou le choix de la composition. Toujours dans une métaphore de la mythologie grecque, la série s’évertue à garder une tonalité sacrée, un écho mystique tout en donnant une nouvelle image des mythes plus ou moins célèbres.

Vortex, Orion Part II, 2018.
Vortex, Orion Part II, 2018.
Vortex, Orion Part I, 2017.
Vortex, Orion Part I, 2017.
Vortex, Io, 2018.
Vortex, Io, 2018.
Vortex, Althaea, 2018.
Vortex, Althaea, 2018.
Vortex, Galaxias, 2018.
Vortex, Galaxias, 2018.
Oneiroi, Une autre vie de verre, 2019.
Oneiroi, Une autre vie de verre, 2019.
Vortex, Gorgon, 2019.
Vortex, Gorgon, 2019.

B!B! : Pourquoi le choix de dessiner essentiellement le corps humain ?

Ingrid : Le corps est une matière passionnante, toujours en mouvement au fil du temps qui passe. Aussi, un seul et même corps pourrait être un sujet unique sur lequel je travaillerais toute ma vie tant il y a de possibilités de poses, mouvements, lignes, lumières, etc. Dessiner un corps, c’est aussi se l’approprier l’espace d’un moment, faire ressortir ce que l’on souhaite, étudier la partie que l’on juge intéressante et même le déformer selon nos souhaits. C’est pourquoi le mouvement maniériste m’intéresse car la représentation que l’on peut faire d’un corps n’appartient qu’à nous et au détail que l’on choisit d’accentuer ou d’atténuer pour attirer le regard du spectateur. Je choisis cependant, de ne jamais dessiner de visage pour que le regard se perde dans des amas de chairs en tension, aucun repère spatial n’est donné si ce n’est grâce aux mains qui restent un élément essentiel dans mes dessins de par leur complexité.

B!B! : Peux-tu nous expliquer les étapes de ton travail, pendant la réalisation d’une illustration ? 

Ingrid : Tout dépend de la série sur laquelle je travaille et surtout, c’est toujours très long ! Concernant la série Vortex, je commence par choisir un mythe qui m’interpelle. Cela peut être dû à une sensation que ce dernier provoque ou à une image qui me viendrait de suite en tête ou encore une idée que je souhaiterais faire ressortir du mythe en question. Ensuite, vient la composition qui peut me prendre plusieurs jours voir plusieurs semaines pour un dessin. Tout fonctionne comme un patchwork : je recherche des images d’éléments, des matières qui m’inspire pour le dessin en question, je fais poser mes modèles ou je vais au Louvre lui emprunter quelques musculatures dans son aile Richelieu, puis, j’essaie de tout assembler de manière cohérente. Quand la composition me paraît enfin évidente pour le sujet, vient le moment de concrétiser cette idée sur la feuille. Ce sont des heures et des heures de travail qui aboutissent régulièrement à des tendinites. En somme, un dessin de taille moyenne (environ 60 x 80 cm) me demande un ou deux mois de travail.

B!B! : Pourquoi t’appropries-tu certains mythes de la mythologie grecque ?

Ingrid : La mythologie grecque sont des « contes » datant de l’antiquité mais qui trouvent parfois une résonance dans le monde contemporain. Ils expliquent le monde de manière poétique ou brutale au même titre qu’une religion. Il est toujours intéressant d’apprendre que la voie lactée viendrait (d’après certains auteurs mythologiques) d’un nuage de lait arraché du sein de Junon par Hercule ; « voie lactée ». Aussi, ces récits ont, au fil des siècles, trouvés des artistes en tout genre pour les réinterpréter à leur manière. En m’appropriant des mythes plus ou moins célèbres, j’ai en quelque sorte souhaité apporter ma pierre à l’édifice en présentant ma vision des choses avec ma sensibilité et mon univers graphique.

B!B! : La plupart de tes dessins sont en noir et blanc avec quelques rares touches de couleurs, pourquoi ce choix ?

Ingrid : Dans certain dessins, la couleur aide à détacher les corps humains des autres éléments. Elle n’est présente que pour accentuer des objets ou matières que je souhaitais mettre en valeur. Quand les corps sont constamment traités dans des mouvements de traits pour insinuer leur volume, les autres matières devaient se démarquer d’une autre manière. Et puis, quel plaisir de travailler la couleur aussi !

B!B! : Quelle est l’illustration qui te tient le plus à coeur dans l’ensemble de tes séries et pourquoi ?

Ingrid : Sans hésitation, je dirai Io. Non seulement, le mythe qui y est interprété me tient particulièrement à cœur mais c’est aussi une question de format. Il s’agit de mon plus grand dessin (100 x 135 cm), c’est donc une simple feuille de papier sur laquelle j’ai passé plusieurs mois de travail, de doute, de satisfaction. Finalement, ce sont toutes les émotions que j’ai pu ressentir en créant ce dessin qui font que ce dernier me tient à cœur. Ajoutons aussi que plus la feuille est grande, plus je peux créer des scènes complexes, ce qui est évidemment plus intéressant !

B!B! : Quel est ton projet du moment ? Ou le futur ?

Ingrid : Depuis quelques mois, j’ai décidé de me détacher de la mythologie grecque, qui fut mon sujet principal pendant plus de cinq ans, pour me diriger… Vers la mythologie contemporaine ! C’est en m’intéressant à mes propres rêves et en m’initiant à la pratique du rêve lucide que j’ai pu constater que les images d’actualité que je traite dans mon travail de photogravure dans la presse possèdent leur propre vie au sein de mon subconscient. C’est de cette inépuisable source, éruptée par l’inconscient, d’où partent les racines de cette nouvelle collection appelée Oneiroi, à l’instar des divinités grecques personnifiant les rêves. Car en tentant de capturer ces fictions oniriques incontrôlées, je tente d’imprimer ma plus personnelle interprétation de l’actualité, suggérée par mon subconscient. Ces nouvelle compositions évoquent un bestiaire chimérique qui s’ancre dans notre réalité en puisant dans l’histoire de l’Homme une mythologie nouvelle, une mythologie du présent.

Vortex, Europe, 2017.
Vortex, Europe, 2017.
Vortex, Adonis Part II, 2018.
Vortex, Adonis Part II, 2018.
Vortex, Adonis Part I, 2018.
Vortex, Adonis Part I, 2018.
Vortex, 2016.
Vortex, 2016.
Salmacis, Salmacis VII, 2019.
Salmacis, Salmacis VII, 2019.
Salmacis, Salmacis VI, 2019.
Salmacis, Salmacis VI, 2019.

B!B! : Les chroniqueurs de Boum! Bang! ont pour habitude de terminer leurs interviews par une sélection de questions issues du questionnaire de Proust. En voici quelques-unes librement adaptées :

B!B! : Ta chanson du moment ?

Impossible d’en sélectionner une! Il n’y a jamais de chanson du moment mais plutôt différents styles musicaux suivant mon humeur dans la journée. En revanche, si je devais choisir un artiste qui influence mon travail depuis des années, ce serait James Blake.

B!B! : Ton peintre préféré ?

Difficile de choisir aussi ! Peut-être Jacob Jordaens dont j’ai découvert le travail à Bruxelles, notamment avec sa série Le Roi boit.

B!B! : Quel don aimerais-tu avoir ?

La téléportation pour être partout et nulle part en même temps, mais surtout pour pouvoir prendre l’air dans la jungle quand je bloque sur un dessin.

B!B! : Ton idée du bonheur ?

Bien manger, bien boire, bien dormir, les petits plaisirs sont toujours les meilleurs !

B!B! : La partie du corps ?

Le pli.

B!B! : Un poète ?

Pour moi, les plus grands poèmes ne se trouvent pas dans les lignes écrites mais dans la musique classique, je dirais donc Chopin.

B!B! : Comment souhaites-tu mourir ?

En recevant le secret de la création de l’univers.

B!B! : Si tu devais changer de métier, lequel? 

J’aurais adoré être musicienne ou danseuse classique.

B!B! : Quel artiste aimerais-tu rencontrer de son vivant ?

Léonard de Vinci, ce mec est un génie dans tous les domaines.

B!B! : Ta qualité préférée chez une personne ?

Le grain de folie (juste un grain, pas plus).

B!B! : Ta devise ?

Il n’y a pas de problèmes, que des solutions.

B!B! : Et pour finir si je te dis « Boum! Bang! », tu me dis ?

BANG BANG! (Classique)