« Le simulacre au sens imitatif est actualisation de quelque chose d’incommunicable en soi ou d’irreprésentable: proprement le phantasme dans sa contrainte obsessionnelle. Pour en signaler la présence – faste ou néfaste – la fonction du simulacre est d’abord exorcisante; mais pour exorciser l’obsession – le simulacre imite ce qu’il appréhende dans le phantasme ». Pierre Klossowski, « La ressemblance ».

Joueuses, les oeuvres d’Heike Weber n’aiment pas les définitions étroites ni les identités closes. Plus légères et malléables dans leur être matériel que les oeuvres dîtes « classiques », elles semblent glisser sans cesse hors d’elles-mêmes à mesure qu’elles se mettent à interagir avec le monde qui les entoure. Tantôt soumises aux fantaisies de l’architecture d’un lieu, aux danses légères d’une lumière sur un carreau, ou aux ombres lentes d’un nuage, elles dansent et fluctuent au même rythme que le monde et ne réclament de la part de ceux qui les contemple qu’une chose: qu’ils sachent voir et aimer en elles ce qui leur échappe.

Que ce soit dans ses installations, ses sculptures, ses photographies ou ses dessins, tout se passe toujours comme si, en effet, Heike Weberr cherchait à décentrer le sens de ses oeuvres en les branchant sur le dehors. Dans sa série intitulée « Scrub » par exemple, dont le nom lui-même semble vouloir se perdre dans une forêt de signifiés (en anglais le terme « Scrub » désigne tantôt, en tant que nom, une broussaille ou une personne se croyant cool mais ne l’étant pas et, tantôt, en tant que verbe, l’acte de laver, frotter, nettoyer ou, enfin, celui d’annuler ou d’effacer) Heike Weber ne s’est pas contentée de peindre des broussailles, ou de reproduire, sous forme de papiers découpées, les dripping de Jackson Pollock. Mais elle est parvenue à mettre en place, telle une véritable ingénieur du visible, un dispositif capable de générer en fonction du lieu, du temps, et de la personne qui le regarde, de multiples sens.

Dans leur matérialité même, d’abord, les oeuvres de la série « Scrub » ont de quoi surprendre. Pour l’essentiel composées de matériaux profanes (de matériaux n’appartenant pas au monde de l’art), en elles s’entremêlent pas moins de quatre niveaux de signifiants. Le premier, le plus conventionnel (mais qui paradoxalement est le moins visible), se compose de lignes noires directement peintes à l’acrylique sur le mur (niveau de la fresque). Le deuxième, plus visible (mais plus surprenant dans le choix de ses matériaux) fait danser des dentelles d’aluminium noires suspendues à quelque centimètres au dessus des lignes peintes sur le mur. Le troisième, précaire et changeant, laisse apparaître des jeux d’ombres et de lumières à travers la réunion virtuelle des deux premiers niveaux. Et le quatrième, enfin, à la fois plus conceptuel et figuratif que les autres, prend la forme de petites rivières de mercures parcourant le sol comme autant de racines venant donner à chaque dispositif suspendu l’énergie nécessaire pour maintenir à flot ses métamorphoses.

Heike Weber, 9 scrub
© Heike Weber, 9 scrub, 2013, Acryl auf Fotokarton, doppellagig, Scherenschnitt, 405 x 220 cm, cosmos, Städtische Galerie Schloß Borbeck, Essen, Foto- Mick Vincenz
Heike Weber, scrub
© Heike Weber, scrub, 2013, Acryl auf Fotokarton, doppellagig, Scherenschnitt, 405 x 220 cm, cosmos, Städtische Galerie Schloß Borbeck, Essen, Foto
Heike Weber, tangle
© Heike Weber, tangle, 2011, Aluminiumschnitt, ca. 100 cm im Durchmesser, scrub, Rasche Ripken Berlin, Foto
Heike Weber, Gestrüpp
© Heike Weber, Gestrüpp, 2010, Acryl auf Papier, Fotokarton, 70 x-100-cm, Foto
Heike Weber, Utopia
© Heike Weber, Utopia, 2009, Edding auf Capaplex und PVC, Drawing lines, Kunstraum München, Foto

Mais c’est, peut être, dans les sentiments contrastés que ces oeuvres mouvantes sont capables de générer que réside leur plus fascinant mystère. Alors même, en effet, que le chaos de branches qu’elles représentent aurait dû générer en nous une certaine forme d’anxiété, comme pouvent le faire les toiles les plus intenses de Jackson Pollock, les oeuvres d’Heike Weber semblent, au contraire, se décharger elles-mêmes de leur potentiel négatif à mesure que le dispositif qui nous montre ces branches les emporte dans son mouvement. Ce n’est plus, alors, l’idée fixe d’une broussaille noire qui nous attaque, ni moins encore les traces rageuses d’un dripping violent, mais les interactions subtiles d’une oeuvre avec son environnement. À la terreur que pourrait provoquer une forme noire figée dans son angoisse, Heike Weber est parvenue à substituer les jeux virtuels d’une forme ayant perdu son référent, c’est-à-dire, une forme devenue simulacre.