La photographie en noir et blanc irrigue tout le travail artistique de Guénaëlle de Carbonnières, qu’il s’empare du médium photographique lui-même ou passe par d’autres supports, comme le dessin, la gravure ou « l’objet photographique ». Par ce procédé qui permet de capturer, grâce à la lumière, les corps sur une surface négative, l’artiste soulève le thème ambivalent du souvenir enfoui et de la mémoire jaillissante.

Guénaëlle de Carbonnières, Capture fossile (ruine, Grèce), série Captures fossiles, objet photographique (négatif englouti dans de la résine époxy), 2021, pièce unique dans une édition de 3, édition 1/3, courtesy Galerie Binome et Galerie Françoise Besson

Tel un archéologue qui fouille la terre afin de faire apparaître au grand jour les vestiges-témoins d’un patrimoine culturel englouti, Guénaëlle de Carbonnières creuse, illusoirement ou par l’outil, le limon du support photographique ou de son simulacre. De cette manière, elle se réapproprie les images de paysages en ruine ou de portraits de groupes d’individus anonymes pour reformer une tout autre vue, à la manière d’un palimpseste. Une vue archétypale, toujours, mais totalement fictive. Lorsque l’image, au contraire, demeure entièrement abstraite, l’artiste y explore un abysse plus ou moins sombre sur lequel flottent toutes sortes d’informités. Quoi qu’il en soit, la surface lisse se pare de perturbations, de sillons, d’ondulations, de lignes brouillées, de coulures, de taches, d’ombres noires et de nuées d’une blancheur lumineuse aveuglante, presque surnaturelle. Les formes se superposent, s’impriment les unes sur les autres et se confondent par effet de calque. Les temporalités se chevauchent, entre éternité et écoulement. Grâce à ces phénomènes de retrait et de recouvrement, l’image acquiert un relief inédit pour mieux signaler son potentiel matériel évanescent.

Guénaëlle de Carbonnières, Abzû (Egypt, Alexandria), 2021, poudre graphite, gravure à la pointe sèche et gravure numérique sur tirage argentique (papier RC), courtesy Galerie Binome et Galerie Françoise Besson

Des œuvres émane l’expérience des matières fluidiques. Le suggestif et le fugitif : le fantomatique, le spectre, le mirage, le nébuleux, l’évaporation, mais aussi le brumeux, le vaporeux, le nocturne. Un univers aqueux, en somme, qui traduit ce rêve de révélation, de reconstruction, ou, mieux, de fossilisation. « Le fossile n’est plus simplement un être qui a vécu, c’est un être qui vit encore, endormi dans sa forme », dit Gaston Bachelard (1). Les œuvres conquièrent une certaine organicité et, par là, nous rappellent le caractère périssable de tout ce qui constitue notre monde.

En même temps, qu’elle se dégrade à l’instar des territoires et constructions endommagés, des visages oubliés ou des difformités, l’image s’ouvre et persiste. D’une fragilité trouble et étrange peut naître une nouvelle puissance. Car en endossant le costume de l’archéologue sous-marin, Guénaëlle de Carbonnières cherche finalement à comprendre ce qui dans la crise des civilisations et la perte – au-delà de la seule perte humaine – nous relie, se rapprochant ainsi de mythes fondateurs tels que la tour de Babel ou l’île de l’Atlantide. Comment le fragment(é) peut-il faire totalité ?

De ces eaux amniotiques intimes resurgit imaginairement la part matérielle d’une mémoire universelle inconsciente ou refoulée. Depuis la submersion, l’image photographique s’ancre artificiellement : pour échapper à la dissolution, pour re-unir, il faut re-toucher.

Guénaëlle de Carbonnières, Dans le blanc, Série Images fantômes, dessin, techniques mixtes sur papier, 2014, 9,5 x 20 cm, courtesy Galerie Françoise Besson
Guénaëlle de Carbonnières, Oubli, Série Images fantômes, dessin, techniques mixtes sur papier, 2014, 9,5 x 20 cm, courtesy Galerie Françoise Besson
Guénaëlle de Carbonnières, Silhouettes, Série Images fantômes, dessin, techniques mixtes sur papier, 2014, 9,5 x 20 cm, courtesy Galerie Françoise Besson
Guénaëlle de Carbonnières, Subsistance, série Latence, tirage par contact de plaques stéréoscopiques en verre, émulsion photosensible sur papier Fine Art, 2014, , courtesy Galerie Binome et Galerie Françoise Besson
Guénaëlle de Carbonnières, Creuser l’image (Entrelacs), 50,8 x 61 cm, gravure à la pointe sèche et encres sur tirage argentique, 20,4 x 25,3 cm, 2020, coll. particulière
Guénaëlle de Carbonnières, Creuser l’image (la Coulée des Omeyyades), 2021, 50,8 x 61 cm, encres et gravure à la pointe sèche sur tirage argentique, coll. particulière
Guénaëlle de Carbonnières, Révéler l’absence (Palmyre), 2018-2019, techniques mixtes sur papier, 125 x 225 cm, coll. particulière
Guénaëlle de Carbonnières, Abzû (Egypt, Alexandria), 2021, poudre graphite, gravure à la pointe sèche et gravure numérique sur tirage argentique (papier RC), 50,8 x 61 cm, détail, , courtesy Galerie Binome et Galerie Françoise Besson
Guénaëlle de Carbonnières, Temple grec, série Captures Fossiles, 2020, Galerie Binome, sculpture en résine incluant un négatif photographique pièce unique dans une édition de 3 – 14 x 13 x 6 cm © Guénaëlle de Carbonnières, courtesy Galerie Binome et Galerie Françoise Besson
Guénaëlle de Carbonnières, Temple grec, face, série Captures Fossiles, 2020, Galerie Binome, sculpture en résine incluant un négatif photographique pièce unique dans une édition de 3 – 14 x 13 x 6 cm ©Guénaëlle de Carbonnières, courtesy Galerie Binome et Galerie Françoise Besson
Guénaëlle de Carbonnières, série Captures Fossiles, 2020, Galerie Binome, sculpture en résine incluant un négatif photographique pièce unique dans une édition de 3 – 14 x 13 x 6 cm © Guénaëlle de Carbonnières, courtesy Galerie Binome et Galerie Françoise Besson
Guénaëlle de Carbonnières, Pyramide #3, série Submergées (ruines d’aquarium), tirage argentique par contact 30x40cm, 2020, 743×1024 cm © Guénaëlle de Carbonnières, courtesy Galerie Binome, courtesy Galerie Binome et Galerie Françoise Besson
Guénaëlle de Carbonnières, Pyramide #2, série Submergées (ruines d’aquarium), tirage argentique par contact 30x40cm, 2020, 743×1024 cm © Guénaëlle de Carbonnières, courtesy Galerie Binome et Galerie Françoise Besson
Guénaëlle de Carbonnières, Colisée, série Submergées (ruines d’aquarium), tirage argentique par contact 30x40cm, 2020, 743×1024 cm © Guénaëlle de Carbonnières, courtesy Galerie Binome et Galerie Françoise Besson
Guénaëlle de Carbonnières, Angkor, série Submergées (ruines d’aquarium), tirage argentique par contact 30x40cm, 2020, 743×1024 cm © Guénaëlle de Carbonnières, courtesy Galerie Binome et Galerie Françoise Besson
Guénaëlle de Carbonnières, Corcovado, série Submergées (ruines d’aquarium), tirage argentique par contact 30x40cm, 2020, 743×1024 cm © Guénaëlle de Carbonnières, courtesy Galerie Binome et Galerie Françoise Besson

(1) Gaston Bachelard, La Poétique de l’espace [1957], Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2012, p. 112