Un entretien Boum!Bang!
Difficile de démêler les kilomètres de traits tracés par la jeune artiste Ganaëlle Maury. Superposés, suspendus dans le temps et dans l’espace, ils dessinent finalement ce que vous voudrez bien y voir: une chevelure, une algue, des nuages ou le pelage d’un animal. En effet, il n’est pas ici question de représenter la réalité mais plutôt d’ouvrir une porte sur votre imaginaire. Alors, n’hésitez pas à entrer.
B!B!: Quel a été ton parcours et pourquoi as-tu opté pour le dessin?
Ganaëlle: J’ai commencé à m’intéresser au dessin, au street art et au graffiti alors que je suivais des études d’histoire-géo. Après avoir découvert l’existence d’écoles d’art, j’ai préparé plusieurs concours et je suis entrée aux Beaux-Arts de Montpellier. J’y ai expérimenté les arts plastiques comme le dessin ou l’installation que je pouvais pratiquer « en toute liberté ». Au même moment, j’ai fait mes premiers pas dans l’univers du graphisme en autodidacte grâce à des commandes d’affiches pour lesquelles il fallait, au contraire, respecter de nombreuses contraintes. J’ai terminé mes études en ayant une double casquette, artiste et graphiste, deux casquettes que j’utilise simultanément ou séparément. Trois ans se sont écoulés depuis la fin de mes études et je crois de plus en plus en mon travail de plasticienne et notamment dans la pratique du dessin et de l’installation. Profitant d’une certaine stabilité en tant que graphiste indépendante, je peux prendre le temps régulièrement de travailler sur mes deux autres disciplines de prédilection. Je travaille actuellement dans un atelier qui s’appelle En traits libres. Il réunit onze artistes qui pratiquent le dessin contemporain, la bande dessinée, la musique, l’animation… Nous éditons régulièrement un fanzine du même nom qui présente notre travail ainsi que celui d’invités. J’ai à mon actif d’autres projets de collectifs comme « la Capsule » qui réunissait quatre artistes dans un atelier de création et de production. Il m’a permis de monter mes premières expositions, de participer à des ateliers ouverts au public sur le thème du fanzine ou du livre pop-up, le tout en suivant l’idée de mélanger des disciplines comme le son, la vidéo 3D, la performance, la peinture et le roman graphique.
B!B!: Quelles sont tes influences?
Ganaëlle: Pour commencer, Henri Matisse dont j’ai beaucoup étudié les dessins et qui m’a beaucoup inspiré. Il y a également le travail du plasticien Felix Gonzales-Torres qui dans ses oeuvres empruntait des références formelles au minimalisme tout en y injectant sa propre histoire. Il y a aussi Tatiana Trouvé et le travail de Tania Mouraud.J’ai aussi été influencée par la découverte du roman graphique, une sorte d’évolution de la bande dessinée, loin du comics, qui se situe entre la littérature et le dessin. Je suis ainsi très proche d’une maison d’éditions qui s’appelle 6 pieds sous terre et qui édite régulièrement des dessinateurs comme Gilles Rochier, auteur de Temps Mort et TMLP (Ta Mère la Pute) ainsi qu’Ambre et Edmond Baudoin.
B!B!: Qu’est-ce qui t’inspire au quotidien?
Ganaëlle: Des choses très variées comme une rencontre avec un livre, une musique, un événement ou un film.
B!B!: Et comment cela se traduit-il dans ton travail?
Ganaëlle: Quand je travaille mes dessins, il n’y a pas d’idée préconçue, de concept ou une volonté d’arriver à une forme prédéfinie. C’est même totalement le contraire. Je fonctionne avec une sorte de lâcher prise, une volonté de me laisser aller en me servant du dessin et en laissant la place à l’erreur et à la surprise. Par exemple, avec la technique du Rotring, on ne peut pas effacer ni revenir en arrière. Il est difficile de tricher, les erreurs et les accidents sont présents et visibles. Cette attitude et cette démarche qui m’accompagnent expliquent que je travaille souvent sur des séries au cœur desquelles mes œuvres ont un style graphique similaire. De plus, cette activité est à la fois mouvement du corps et de la pensée. Avec le dessin, le rapport au temps est différent. Il implique une certaine lenteur. C’est pour moi une expression de l’instant où beaucoup de choses restent visibles.
B!B!: Quels sont les techniques et les procédés qui font ton travail?
Ganaëlle: J’utilise beaucoup le papier et notamment le papier bristol. J’aime les formats proches de ceux des plans d’architecte. D’ailleurs, plus mon travail avance, plus j’ai envie de m’attaquer à des grands formats. Le papier est blanc en général, très lisse. J’utilise le Rotring, un stylo avec des pointes très fines et contenant de l’encre de chine. Cette technique est très souvent utilisée par les architectes ou les dessinateurs industriels car elle permet d’avoir des gestes très amples ou très courts mais très précis. Mes dessins étant faits d’accumulations de détails, j’ai besoin d’avoir un outil comme celui-ci. Son rendu est très propre, très fin et très fluide.
B!B!: Où se situent tes sujets et tes motifs entre l’infiniment grand et l’infiniment petit?
Ganaëlle: Mon travail se situe entre macro et micro, simultanément. On peut y voir du vivant, des choses qui bougent. Il peut faire penser à la fois à des cellules, à des éléments très organiques qui composent le corps humain ou la nature mais également à des choses beaucoup plus grandes. En tous les cas, on est dans l’immersion, on plonge dans le dessin, avec l’idée qu’il n’y a aucun sens de lecture, ni de limite. Le dessin n’est jamais terminé.
B!B!: Organique? Irréel? Animal? Imaginaire? Végétal? Lequel de ces mots est le plus adapté pour décrire ton travail?
Ganaëlle: Pour moi, il s’agit d’un paysage mental abstrait qui forcément s’inspire du réel mais de façon inconsciente. Je ne cherche pas à faire du figuratif et je ne souhaite pas représenter ce que l’on voit. L’idée, c’est plus d’être dans l’imaginaire avec des œuvres qui permettent, avec simplicité, de se raconter des histoires à travers des formes qui peuvent évoquer certaines choses de notre quotidien. Il y a donc une certaine volonté de liberté d’expression de ma part mais également une liberté d’interprétation pour celui qui regarde.
B!B!: Tu as déjà produit plusieurs installations pour des expositions. Presque toutes contiennent du papier. Pourquoi? Quel est ton rapport avec cette matière?
Ganaëlle: L’installation c’est un échange et une prolongation de mon travail sur le dessin. Quand j’utilise du papier dans l’espace, j’ai également l’impression de faire une sorte de dessin sauf qu’il est en 3D. Je construis ainsi les espaces de la même manière que je dessine. J’aime le papier, son touché, les livres, son lien avec l’écriture et le dessin. Ce matériau n’a pas de limite. Il est infini et mène à d’autres idées. Et j’aime mettre en regard mes dessins et mes installations. J’aime le fait qu’elles peuvent être interactives. Le spectateur peut en effet concrètement rentrer à l’intérieur, se plonger dedans, se jeter dedans. Il y a vraiment un rapport au physique direct alors que dans le dessin, on est plus dans un rapport à l’image, dans quelque chose de contemplatif et de plus intellectuel. Dessins et installations sont vraiment deux choses différentes mais qui sont très complémentaires et c’est pour cela que j’aime les réunir dans un même lieu.
B!B!: Quels sont tes prochains projets et ton actualité?
Ganaëlle: Je suis sur plusieurs projets d’expositions collectives avec d’autres plasticiens dont « Les décennies pourpres ». En ce moment, j’expérimente également le dessin numérique. Très pratique, il me permettra de sortir de très grands formats. Je suis également à la recherche d’une galerie pour professionnaliser mon travail de plasticienne et j’aimerais créer un livre d’artiste avec mes dessins.
B!B!: Les chroniqueurs de Boum! Bang! ont pour habitude de terminer leurs interviews par une sélection de questions issues du questionnaire de Proust. En voici quelques-unes librement adaptées:
B!B!: Quel est ton artiste favori?
Ganaëlle: Wolfgang Laïb.
B!B!: Quel artiste aurais-tu aimé rencontrer de son vivant?
Ganaëlle: Felix Gonzales-Torres.
B!B!: Si tu changeais de profession, laquelle ferais-tu?
Ganaëlle: Artiste.
B!B!: Si tu étais une ville, laquelle serais-tu?
Ganaëlle: Barcelone.
B!B!: Si tu étais un animal, lequel serais-tu?
Ganaëlle: Un plancton.
B!B!: Si tu étais une plante ou une fleur, laquelle serais-tu?
Ganaëlle: Un flamboyant.
B!B!: Si tu étais une matière, laquelle serais-tu?
Ganaëlle: Du papier.
B!B!: Si tu étais une couleur, tu serais?
Ganaëlle: Le blanc.
B!B!: Si tu étais un sentiment, lequel serais-tu?
Ganaëlle: L’étonnement.
B!B!: Quelle est la musique que tu écoutes en boucle en ce moment?
Ganaëlle: L’album « This Silence Kills » de Dillon.
B!B!: Quelle est ta principale qualité et ton principal défaut?
Ganaëlle: Qualité: obsessionnelle. Défaut: obsessionnelle.
B!B!: Quelle est ta devise?
Ganaëlle: Une phrase de Michel Audiard: « Un pigeon, c’est plus con qu’un Dauphin, d’accord… mais ça vole. »
B!B!: Et pour terminer, si je te dis Boum! Bang!, tu me dis?
Ganaëlle: Création de l’univers.
Retrouvez tous les dessins et installations de Ganaëlle sur son site, ainsi que son travail de graphiste freelance sur ce site. Découvrez également le travail des artistes du collectif « En traits libres » sur leur site ainsi que sur leur page Facebook.