Qu’est-ce qu’un dessin ? La représentation sur une surface, à l’aide d’outils graphiques, de la forme (et éventuellement des valeurs d’ombre et de lumière) d’un objet ou d’une figure. C’est la définition du Dictionnaire. Pour Frédéric Dupré, il s’agit d’un ensemble de traits, de lignes, tracées uniquement au crayon, sur une feuille de papier. Ces traits peuvent former par leur entrelacement des figures, des corps, des décors, des espaces imaginaires, des architectures. Des surfaces sont noircies, d’autres estompées. Les feuilles proviennent d’un cahier de dessins à spirales et laissent apparents leurs bords troués.
Ces dessins obsessionnels, entêtants, surgissent d’un petit carnet empli de schémas. Certains sont ensuite sélectionnés pour être transposés sur des feuilles de divers formats. Avec le temps, Frédéric Dupré agrandit la taille, et, depuis peu, ajoute à l’austérité du noir et blanc, de discrètes touches de couleur rouge. Son dessein est de couvrir quotidiennement ces pages blanches. C’est un but et un besoin vital. La structure a évolué et continue d’évoluer. Aux labyrinthes de colonnes et de ruines, aux chapelles désaffectées, aux temples antiques, qui ont marqué ses débuts, se sont superposées ou plutôt infiltrées, dans les mailles de sa grille graphique, des Tours de Babel, des Dépositions. À la rigueur géométrique du damier noir et blanc qui scande l’ensemble de ces œuvres et en forme la toile de fond, s’ajoute désormais une logique plus charnelle et organique
Il y a des fantômes, des fantômes d’espace
Il y a des espaces, des espaces-fantômes
Il y a des branchements et des connexions
Il y a des machines désirantes, aux confins de la torture et de la jouissance…
Il y a des machines célibataires, dans la lignée de La colonie pénitentiaire de Franz Kafka
Il y a des dépositions dans la lignée de Pontormo et de Pier Paolo Pasolini revisités via la grille de la renaissance et le mazzocchio de Paolo Uccello
Il y a des treillis, des grillages, de la marqueterie, des moucharabiehs, mais éclatés, diffractés, quelquefois même déchiquetés…
Il y a des espaces retournés comme un gant dans la lignée des récits de Jorge Luis Borges
Au début on pense à Piranèse, et ses perspectives baroques, mais aussi à Viera da Silva, à son fin réseau quadrillé, puis à Francis Bacon, qui ne cessa de faire cohabiter un espace rigoureux et tendu, à des formes biomorphiques. Le thème de la Tour de Babel lui permet l’enroulement infini de spirales. Les dessins récents de Déposition, qui laissent entr’apercevoir la croix et les fantômes des protagonistes, suggèrent un mouvement à la fois de chute et d’ascension.
Frédéric Dupré est imprégné d’histoire de l’art, et hérite des grands thèmes fondamentaux de la peinture classique. Il reprend à son compte les lois de la perspective, et cette percée vers l’infini structure toute son œuvre graphique. Mais au-delà des modèles anciens qu’il réinvente, il construit des espaces mentaux personnels qui prennent forme et vie sous sa main. Son seul moyen d’expression est le dessin, et à partir de schémas répétés avec d’infinies variétés, il bâtit une architecture imaginaire fascinante, une toile d’araignée dont les fils piègent notre regard derrière le plan de la page, et nous entraînent dans une obscure clarté.
texte en italique: incrustation de Bernard Marcadé
Les visuels de l’article ont été retouchés par Maëlle Joly, tous droits réservés.