Quand on adopte un petit poisson rouge, arrive vite le moment de choisir un modèle d’aquarium pour son nouveau protégé. On longe les couloirs du magasin, dubitatif. On a rarement vu des choses aussi laides que ces rectangles de verre et de plastique noir, ornés de fausses algues en caoutchouc. Enfin, le modèle le plus simple s’impose: le globe transparent, tout simple, où le petit poisson nagera comme dans le ventre d’une mère. L’aquarium rond sied à tous les intérieurs. Il est à la fois simple, élégant, mignon, un peu rétro; surtout, il est indémodable. Partant de ce rond-là, explorons-en d’autres: la pleine lune, qui a fait naître tant de contes et de mythologies. Le soleil, éternel et puissant. La Terre. Les seins. L’iris des yeux. Les galets sur la plage. L’ovale d’un visage. Le ventre rond d’un vase. La courbe lente d’un myosotis… La poésie des formes simples est partout dans notre vie: elle a fasciné le Centre Pompidou-Metz qui y consacre une grande exposition.
Constantin Brancusi, Le Poisson (1924) © ADAGP 2014
Kupka (Kupka Frantisek, dit), Abstraction, vers 1930-1933 © ADAGP, Paris, 2014
Chaque été depuis sa création il y a quatre ans, le Centre Pompidou-Metz présente une grande rétrospective thématique: après « Chefs-d’œuvre? », « 1917 » et « Vues d’en haut », voici donc « Formes simples », du 13 juin au 5 novembre 2014. « Formes simples » tourne autour de la fascination de l’homme pour les formes géométriques et les lignes simples, qu’elles soient issues de la nature, comme la rondeur de la lune, des miracles de la technologie, comme l’élégance d’une hélice (on pense au fameux épisode où Marcel Duchamp déclara à Brâncuși et Fernand Léger devant une hélice du Salon de la Locomotion aérienne en 1912 « C’est fini, la peinture. Qui désormais pourra faire mieux que cette hélice? »), ou de l’imagination des artistes, Brâncuși en tête de file.
Plus qu’une simple exposition d’œuvres d’art, « Formes simples » est un parcours visuel où le propos des objets (leur fonction, message ou autre origine) compte moins que leur esthétique. Il se présente comme un grand cabinet de curiosité, avec des œuvres d’art, des objets anciens, des vases, des dessins, des outils technologiques, des roches… Le spectateur navigue entre les formes, qu’elles soient modelées par la nature, par des artistes, par des machines, pour un voyage particulièrement sensible et apaisant.
Vue de l’exposition Formes Simples © Maïlys Celeux-Lanval
Un voyage oui, dont nous voulons vous faire partager quelques moments pour vous donner envie de le faire à votre tour: on commence par l’Égypte du Xème siècle avant Jésus-Christ avec un « Pyramidion de Ben-neben-sékha-ef », qui présente dans un triangle sculpté une figure lunaire fascinante. Sa rondeur répond parfaitement à la gouache de František Kupka, « Abstration » (vers 1930-1933), où deux cercles parfaits flirtent avec le bas de la feuille, comme imitant le soleil s’apprêtant à disparaître derrière la mer. Puis, on s’arrête quelques instants dans cette salle noire, où un faisceau lumineux décrit très lentement un cercle blanc, formant un cône de poussière scintillante entre le projecteur et le mur. Il s’agit là d’Anthony McCall et son installation « Line describing a cone » (1973/2010), où la lumière est le crayon de l’artiste, dessinant sans cesse une forme parfaite.
Anthony McCall, Line describing a cone (1973)
Vue de l’exposition Formes Simples: Brancusi et une sculpture grecque antique © Maïlys Celeux-Lanval
On s’attarde devant une feuille de laurier solutréenne, où la nature s’est faite créatrice et archiviste en conservant pendant des milliers d’années cette feuille fragile pour la faire parvenir à nos yeux ébahis. Puis, on regarde les dessins botaniques patients d’Odilon Redon, dont la précision scientifique paraît presque un peu naïve face à la ligne souple et dénudée des fleurs d’Ellsworth Kelly, artiste contemporain. Toujours dans les fleurs, on rougit presque devant une photographie de Robert Mapplethorpe étrangement érotique, dont la fleur est élancée comme une jeune fille et aérienne comme une sculpture de Brâncuși… Brâncuși justement, on regarde bien sûr ses sculptures au comble de l’épure, dont « la Muse endormie II » (vers 1912) est placée tout à côté d’une figure féminine provenant de Kéros, en Grèce (datant du cycladique ancien II, de -2700 à -2300 avant Jésus-Christ). Le dialogue est parfait, les deux figures se répondent et sont l’écho l’une et l’autre d’une beauté minimale.
Robert Mapplethorpe, Calla Lily (1985)
Vue de l’exposition Formes Simples © Maïlys Celeux-Lanval
C’est là la plus grande force de l’exposition: tous les objets dialoguent. Une poésie évanescente empare le spectateur, qui la savoure dans le plus grand calme. Invitant à la méditation, les formes simples sont éloignées du bruit. Nées du chaos, elles incarnent un stade intermédiaire magique entre la matière désorganisée et la réalité des choses. La salle consacrée au « souffle » le montre bien: les formes créées dans le verre par le souffle de l’homme montrent une rondeur parfaite, qui est née d’un matériau brut et qui s’abîmera rapidement dans l’usage. Tout comme la fleur, tout comme la beauté d’un visage jeune…
Naum Gabo, Bronze Spheric Theme (c. 1960) © Maïlys Celeux-Lanval
Constantin Brancusi, L’Oiseau dans l’espace, 1936 © ADAGP, Paris 2014
Jean Arp, Bourgeon, 1938 © ADAGP, Paris 2014
GE90 Design Team, Jet Engine Fan Blade (model GE90-115B), 2011 © Maïlys Celeux-Lanval
Robert Le Ricolais et une pâle d’hélice © Maïlys Celeux-Lanval
Pour finir et en écho avec ce dialogue continuel entre les œuvres, quelques vers de Charles Trenet, qui lui aussi tentait de faire se rencontrer les formes simples:
Le soleil a rendez-vous avec la lune
Mais la lune n’est pas là et le soleil l’attend
Ici-bas souvent chacun pour sa chacune
Chacun doit en faire autant
La lune est là, la lune est là
La lune est là, mais le soleil ne la voit pas
Pour la trouver il faut la nuit
Il faut la nuit mais le soleil ne le sait pas et toujours luit