Il en est de l’art comme de la boxe: les deux univers sont friands de come-back et de coups d’éclats. Dans le rôle de l’outsider du moment, Félix Vallotton (1865-1925) prend possession du Grand Palais pour réclamer son titre de peintre de la modernité.
Passant avec aisance des scènes de société aux scènes intérieures, du paysage au portrait, Félix Vallotton étonne. « La loge de théâtre » dont est tirée l’affiche de l’expo, l’illustre bien: franche couleur jaune en à-plat, ligne diagonale scindant le tableau en deux, et personnages isolés au-dessus. Le couple et la solitude sont réunis en une même scène, en un saisissant raccourci!
Si ses influences sont au départ clairement visibles, notamment Ingres et son « Bain turc », Félix Vallotton s’en émancipe rapidement. C’est par son sens de la couleur que le peintre se distingue, notamment dans ses paysages. « Sur la plage », juxtaposition de trois tâches colorées en lieu de personnages, n’a rien à envier à une toile de Nicolas de Staël. Il en va de même pour le diptyque « La Grève blanche / Vue cavalière de la Cagne ». Bien que différents dans leurs sujets, les deux tableaux partagent la même composition. Les couleurs sont audacieuses, Félix Vallotton se joue des perspectives et des cadrages.
Le traitement de ses sujets, d’une grande modernité, nous le rend familier. Il n’est qu’à voir la manière dont un des deux personnages féminins tient sa clope dans « La blanche et la noire »: sa posture fait plus penser à une photo des années 1980 qu’à une toile de la Belle Epoque finissante. Il en va de même dans ses scènes de couples, à l’image de la « Chambre rouge ». Atmosphère étouffante, jeux d’ombres, sens du cadrage: on se croirait chez Edward Hopper, avec 20 ans d’avance!
Technicien virtuose, Félix Vallotton s’accomplit autant dans la peinture que dans la gravure. Masses noires informes en apparence, ses gravures prennent sens à mesure qu’on s’en approche: un amas de parapluies, une émeute après la manifestation, des messieurs lisant leur journal. Les titres des gravures sont éloquents – « L’émeute », « L’assassinat » – comme si tout était sur le point d’exploser.
La scénographie fait le choix d’une approche thématique, qui rend le propos de l’exposition répétitif à force. La chronologie aurait suffi, tant Félix Vallotton se renouvelle en permanence. Figuratif intransigeant, il garde le cap et ne succombe que très peu aux avant-gardes dont il est le contemporain. Pointillisme, fauves, cubisme… il esquive et observe à distance ces mouvements qui embrasent son époque. Il n’y a guère que les Nabis auxquels il s’associera un temps, son indépendance lui valant le surnom révélateur de « Nabi étranger ». Ses incursions dans le symbolisme et un primitivisme coloré le rapprocheraient plutôt de l’allemand Emil Nolde ou du suisse Ferdinand Hodler.
Les thèmes mythologiques présentés à la fin sont moins convaincants, même s’il convient de distinguer « Penthée ». Un homme est sur le point de se faire écharper par des femmes à ses trousses, l’événement tragique se fondant dans l’immensité du paysage.
La fin de l’exposition en revanche, consacrée à sa série sur la guerre (la Grande, celle de 14), explose au visage du visiteur. Empêché de participer au conflit du fait de son âge, le peintre fait pourtant sien ce combat. « Verdun », toile peinte en 1917, est une synthèse de ses influences: esthétique des diagonales empruntée aux futuristes, masses colorées renvoyant au cubisme et aux à-plats de ses chers Nabis. Preuve qu’à la fin de sa vie, Félix Vallotton n’a rien perdu de son mordant.
Félix Vallotton, « Le feu sous la glace », aux Galeries Nationales du Grand Palais jusqu’au 20 janvier 2014.