Un entretien Boum! Bang!
Née en 1992 dans la région parisienne, Faustine Levin est une jeune artiste prometteuse. Photographe et comédienne, elle prend soin de capturer, toujours subtilement, une émotion, une atmosphère ou encore une mise en scène correspondant parfaitement aux modèles photographiés. Entretien avec cette jeune artiste passionnée de photographie, de cinéma et des arts en tous genres aux travaux hybrides, originaux et intemporels.
B!B!: Quel est votre parcours artistique?
Faustine Levin: L’art et l’image vivante sont arrivés assez tôt dans ma vie; j’ai commencé le théâtre à six ans et quand j’ai eu les mains assez adroites, aux alentours de dix ans, je me suis mise à photographier mes peluches et mes doigts de pieds avec mon petit Minolta SRT 101. J’ai tout de suite trouvé fascinant et salvateur le fait de pouvoir « capturer des souvenirs ». J’ai passé un baccalauréat option cinéma que j’ai loupé, à force de passer trop de temps à photographier les rues de Paris. J’ai ensuite eu la chance de passer deux ans à l’EFET où j’ai pu découvrir tout l’aspect technique de l’œil et de la caméra. Mais l’école n’est définitivement pas pour moi, et mon impression d’apprendre avec les fesses sur une chaise était assez vaine. J’ai donc décidé de commencer à travailler et de me jeter dans la jungle urbaine en assistant la photographe de Haute Couture Cathleen Naundorf, qui ne travaille qu’à la chambre photographique. Les mois passés à ses côtes furent très difficiles et intenses, mais cela m’a permis de faire face à une certaine réalité: j’y ai trouvé une déshumanisation qui m’a mise très mal à l’aise, mais qui m’a donné encore plus le goût d’aller chercher la vie sous ses formes dérivées et imaginatives. Après ça, j’ai construit un petit studio photo chez moi où je capture désormais des visages, en essayant le plus possible de créer une bulle jolie et intimiste avec mes modèles, comme une petite échappée de quelques heures dans le monde que l’on a envie d’essayer à un moment précis.
B!B!: Quelles sont vos influences?
Faustine Levin: Entre mes deux métiers de comédienne et photographe, mes inspirations fusent. J’en découvre chaque jour au travers de films, de balades ou de bouquins. Mais, pour ceux qui m’ont vraiment marqués, il y a l’esthétisme et la folie du réalisateur Leos Carax, qui arrive à donner à ses films une ambiance surréaliste, glauque et si belle – notamment dans « Mauvais Sang » et « Les Amants du Pont Neuf ». Côté littérature, la « Saison en Enfer » d’Arthur Rimbaud et les mots de Jean Luc Lagarce dans « Du Luxe et de l’Impuissance » sont devenus presque bibliques. J’ai eu également un déclic en regardant les documentaires de Raymond Depardon, notamment sa trilogie « Profil Paysan », qui aborde l’humanité avec patience et respect, l’homme dans la nature et dans le combat d’un choix de vie. Cela m’a complètement bouleversée. Pour moi, la vérité était là, dans l’Homme, et dans tout ce qui l’entoure. Bien entendu, il y a aussi, derrière tout ça, mon quotidien et les découvertes constantes au détour de visages, de morceaux de conversations et de scènes de vie qui ne cessent de m’inspirer et de m’influencer.
B!B!: Quels sont vos thèmes de prédilection?
Faustine Levin: August Sander classait la société en sept groupes: le paysan, l’artisan, la femme, les catégories socioprofessionnelles, les artistes, la grande ville et les derniers des hommes, ayant pour thème la vieillesse, la maladie et la mort. Je me sens très proche de ce « découpage de thèmes » car, de différentes manières, je suis fascinée par la poésie du corps de la femme et ses parures de séductions, mais également par les mains et le coeur de l’artisan ou encore par la folie et le tourbillon dans lesquels nous entraîne la ville, notamment Paris où j’habite. En bref, ce qui m’a toujours donné envie de faire ce métier, ce sont la rencontre et l’échange. Le mélange des genres aussi, et prendre tout ce qui me plaît, des détails que je grappille dans mon quotidien, auprès de ceux que j’aime, dans les films et les bouquins et tout mettre dans un gros shaker mental.
B!B!: Comment votre travail a-t-il évolué dans le temps et comment le décririez-vous?
Faustine Levin: Je suis en perpétuelle évolution. Je ne sais pas trop à quoi j’appartiens puisque j’aime autant partir vadrouiller sans savoir ce qui m’attend que de passer des semaines à organiser une histoire, une mise en scène avec un travail de détails très précis. Mon travail, c’est moi, et le domaine dans lequel je veux exceller, c’est la vie. Je me rêve parfois un peu anthropologue et chercheuse d’âmes comme mille manières de découvrir l’étrange animal qu’est l’humain.
B!B!: Vous réalisez en grande partie des portraits. Que signifie cette notion pour vous?
Faustine Levin: Sans doute suis-je à la recherche d’authenticité et d’aspérités. Mon métier de comédienne m’a trop souvent mise face à des photos fades, sans saveur et sans personnalité aucune de la personne photographiée. Pour moi, ce n’est pas normal. J’ai envie de poser un regard bienveillant sur mes modèles. Comme une façon de se regarder à laquelle ils n’auraient pas accès à cause du mental qui juge en permanence et des critères auxquels il faut faire face. Moi, j’arrive et j’aime demander directement les complexes, les petits défauts qui bloquent et après ça devient presque un challenge d’acceptation au travers de photographies. J’ai rencontré des personnes merveilleuses qui m’en apprennent un peu plus chaque jour et je trouve ça drôlement beau.
B!B!: Il est également fréquent de voir dans vos travaux des diptyques et des triptyques. Parlez-moi de ce choix de composition.
Faustine Levin: C’est rarement réfléchi mais, au cours d’une série, il peut m’arriver de trouver que deux photos se répondent complètement ou soient, au contraire, en totale contradiction. Je trouve très intéressante cette option de pouvoir continuer un peu plus l’histoire, par poésie et gourmandise de l’image.
B!B!: Parlez-moi de votre série « Nature Morte & Modèle Vivant ».
Faustine Levin: J’ai travaillé pendant presque cinq mois dans un supermarché pour pouvoir me payer mon studio photo. J’étais aux 35 heures, ça m’a donc pris vraiment tout mon temps, et je ne pouvais plus créer. Ma vie était dictée par ce quotidien alimentaire qui m’a révolté par son gâchis de nourriture et son indifférence face à cela. On jetait plusieurs caddies entiers par jour, remplis de denrées encore comestibles plusieurs jours, et il fallait les asperger de javel pour être sûr que des gens dans le besoin ne viendraient pas mettre le bazar dans leurs poubelles. C’était atroce et je me sentais l’âme d’une délatrice. J’étais obsédée par la bouffe et j’ai donc commencé à m’intéresser un peu à son histoire au travers de séries photographiques, et surtout de peintures de natures mortes. J’ai trouvé ces peintures magnifiques, mais très mortes justement. Je me suis donc lancée dans une quête de modernité et de personnages au travers de différents aliments.
B!B!: Parlez-moi de vos choix esthétiques – alliant photographie, peinture ou encore collage – pouvant aller parfois jusqu’au kitch.
Faustine Levin: J’ai plein d’époques dans la tête, et j’adore l’intemporalité face à la modernité. Dans ma quête d’évolution professionnelle, je me demande toujours ce qui fait une « bonne » ou une « mauvaise » image, avec, par exemple, la limite du trop. Il me paraît important de questionner les limites: à partir de quel moment l’histoire se perd sous une accumulation certaine? J’essaye donc, au travers de certains travaux, d’évoquer une deuxième lecture, que les yeux puissent se balader et ne pas tout voir du premier coup.
B!B!: Quels sont vos futurs projets?
Faustine Levin: Continuer à apprendre, et essayer de me bouger encore plus les fesses dans des expositions, des voyages et des cinémas. Sinon, concrètement, j’aimerais essayer de m’adonner un peu plus au photoreportage, je prépare un sujet sur le CAP et ses élèves pour la rentrée. J’ai également tourné l’an dernier pour la première fois dans un film, « La Bande à Juliette », qui sort ce mois septembre. Cela va être très intéressant d’apprendre un peu plus à mêler mon regard derrière la caméra et ma présence devant. Et puis vivre, vivre, vivre!
B!B!: Si vous pouviez inviter dix convives, décédés ou vivants, à dîner, qui seraient-ils?
Faustine Levin: Raymond Depardon, Andreï Tarkovski, Louis Ferdinand Céline, André Perlstein, Harry Gruyaert, Sigmund Freud, Marie Trintignant, Bourvil, Gustave Kervern et Benoît Delépine… Et Barbara nous rejoindrait pour le dessert!