Un entretien Boum! Bang!
Elle dessine, elle coupe, elle coud, elle gribouille et n’a pas la langue dans sa poche. Son univers décalé peuplé de poupées dégingandées et de super héros sur fond de coloriages enfantins paraît naïf mais dévoile une vision de fin du monde, trash, sans détour, sans tabous ni compromis.
Née en 1970, Fabesko est une artiste protéiforme. Elle a grandi pendant les années 80, décennie qu’elle déteste mais qui nourrit pourtant les codes de son univers subversif. Elle vit et travaille aujourd’hui à Paris.
Rencontre avec cette artiste hors piste qui nous raconte avec cynisme et ironie que la meilleure façon de lutter contre quelque chose c’est de la rendre ridicule. Pour elle, « nous vivons dans un monde de merde et l’art reste une des seules libertés dans ce bas monde ».
B!B!:Comment s’est faite ta rencontre avec l’art?
Fab: J’ai commencé à dessiner quand j’étais gamine et depuis je n’ai jamais lâché l’affaire. J’ai eu une enfance de merde et je n’ai jamais reçu d’éducation artistique, j’y suis arrivée par moi-même et tout naturellement. J’ai fait aussi un peu de musique, j’étais chanteuse dans un groupe punk, évidemment (rire)! Mais ma principale activité a toujours été de peindre.
J’ai commencé à Nantes par faire de la déco avec un gars qui s’appelait Lionel Ducou, un plasticien et scénographe nantais. Ensuite je suis très vite partie sur Paris. Quand je suis arrivée j’ai eu mes premiers ateliers dans les squats dans lesquels je vivais. Impossible à cette époque de me payer un appart et avoir un atelier à côté. J’ai vécu longtemps aussi en camion mais toujours dans le circuit squat où il y avait des baraquements dans lesquels je pouvais installer un atelier.
J’ai dès le début exposé partout en Europe et après ça a marché très vite. Au début je vendais mes dessins à 50 balles. C’est con à dire mais 50 balles ça fait 7,5 euros maintenant. C’est là que tu vois que ça a changé, avant 50 balles c’était quelque chose, tu faisais au moins tes courses. En vendant mes dessins j’arrivais à vivre et j’étais toute contente. En fait je suis encore toute contente aujourd’hui, j’ai toujours fait ce qui me plaisait.
J’ai maintenant mon atelier au 59 Rivoli, le 59 c’est comme ma famille. J’ai rejoins ce squat trois mois après son ouverture en 1999 et je ne l’ai jamais quitté. En 2009 le squat a été fermé puis racheté par la mairie de Paris qui a réhabilité le lieu pour en faire des ateliers d’artistes ouverts au public. Je suis partie à Montréal durant cette période et aujourd’hui je suis de retour sur Paris et au 59 et je m’occupe de l’organisation de la galerie avec Sébastien Lécas et Suisse Marocain.
Pourquoi j’ai fait de la peinture? Parce que je n’avais rien d’autre à faire, on m’a tellement fait chier quand j’étais petite que finalement ça pouvait être que ça. Franchement y’a pas de quoi se branler j’ai aucune fierté à être artiste, à part me débrouiller toute seule. C’est une succession d’événements dans ma vie qui ont fait ce que je suis, c’est un truc mathématique, sinon je serais déjà au fond d’un trou.
B!B!: Comment décrirais-tu ton univers artistique, autour de quelles réflexions s’articule ton travail?
Fab: Je pars du principe que le monde c’est finit, on va vraiment vers la fin. Je suis quelqu’un de super pessimiste. Épicurienne peut-être parce que je profite à fond du moment présent. Je suis quelqu’un de super joyeux mais le fond reste très sombre.
J’ai monté une marque que j’ai appelée « j’emmerde demain et après demain ». Je fais beaucoup de teeshirts avec ce slogan. Pour dire finalement: profite aujourd’hui parce que demain c’est fini. Par exemple je hais le bio. Je ne fais aucun recyclage, je suis justement pour que la planète se dégrade hyper vite et que ça se finisse et que l’humain disparaisse. En fait j’aime pas les êtres humains. Alors à travers la peinture et le dessin j’essais de comprendre un peu tout ça. Déjà l’humain à la base est bizarre; on a quand même inventé le concept de surhomme. Des gens comme Hitler s’en sont servit pour faire chier tout le monde, on a fait croire qu’il y avait des races inférieures. Y’a que dans le monde des humains qu’on voit ça. Les animaux sont beaucoup plus simples et plus sains.
Les gens, pour se sauver de leurs perversités, s’inventent des mondes merveilleux. Comme par exemple avec les supers héros. Les surhommes ont réussit à te faire croire qu’il y a un gros papi barbu dans le ciel qui t’emmènera au paradis pour te faire sauter sur ses genoux si t’as été sage, si t’as été à la messe, si t’as fais tout ce qu’il fallait faire. Sans parler des tonnes de médicaments que les gens prennent pour être sauvé alors qu’ils passent leur temps à tout détruire.
C’est pour ces raisons que les thèmes des supers héros, de la religion et des médicaments ressortent régulièrement. J’essais de comprendre ce monde de merde et de trouver une échappatoire pour aimer la vie, sinon en 15 jours je serai morte.
B!B!: Tes séries de tableaux sont plutôt subversives, selon toi est-ce-que toutes les vérités sont bonnes à dire?
Fab: Je m’en fous de dire des choses au risque de choquer les gens qui ont peur de dire des choses parce qu’ils sont fondus dans la masse. En ce moment je dessine souvent des croix gammées et j’ai sorti le slogan: « L’art rend libre (Art macht Frei) » avec une croix gammée où il y a des pinceaux au bout, en référence directe avec le slogan « le travail rend libre » inscrit à l’entrée des camps de concentration, et les gens ça les fait hurler. Alors que quand ils voient par exemple un clochard dans la rue en train de crever en plein hiver ils vont pas appeler le Samu social. Je me dis que la meilleure façon pour lutter contre quelque chose c’est de la rendre ridicule.
Les années 80 et la mode m’énervent aussi énormément. Cette période marque le début de la mode des connards et de la surconsommation. C’est pas que je suis une anticapitaliste mais de toute façon comme on va droit dans le mur on pourra jamais rien y changer. J’ai fais sur ce thème le tableau intitulé « Tétriste » avec une croix gammée qui s’encastre dans le jeu. Je pense tout simplement qu’on peut rire de tout, c’est peut être pour ça que je suis hyper pessimiste. C’est hyper contradictoire ce que je dis mais j’arrive vraiment à rire de tout, je m’en fous.
Je fais aussi pas mal de références directes à l’univers et les codes de l’enfance. J’ai réalisé une série sur ce thème avec une série de tableaux que j’ai appelé: « Les comtes de fées n’existent pas », « Le prince charmant c’est juste un mec sur un cheval » ou « Quand je serai grand je serai méchant ». La vérité sort de la bouche des enfants non? Un jour j’ai entendu un gamin sur la radio France Inter qui expliquait qu’il avait choisit le catéchisme car sa maman ne voulait pas qu’il fasse du karaté.
Pour moi le concept de l’art c’est tout ça, la vision de mon quotidien et mon travail est une réflexion permanente autour de ses thèmes.
B!B!: Peinture, bas-reliefs cousus sur toile, sculptures textiles, installations… Tu multiplies les moyens d’expressions. Comment t’y prends-tu pour réaliser tes œuvres (quels outils, quels matériaux et quels supports)?
Fab: Ma marque de fabrique, du moins ce qui m’a fait connaître c’est de coudre sur la toile. Je dessine sur la toile, je découpe mon gabarit en tissus, je couds et je rembourre avec du kapoc et du polystyrène plastifié. C’est tout léger et ça fait du bas relief.
J’ai fait pas mal de poupées en tissus des « Crazy dolls » avec David Guedin, un des premiers à avoir crée un style de poupée comme ça. Y’a 10-15 ans on a été les premiers à exposer ces poupées et on a inondé Paris. Maintenant tout le monde en fait, c’est la mode.
J’aime bien aussi mélanger les matières. Je mets par exemple des pistolets en plastique à mes personnages. L’art c’est la liberté, faut pas se mettre de barrière. Tout a tellement été fait qu’il ne faut pas hésiter à sortir des sentiers battus et faire autre chose.
Je fais aussi pas mal d’installations, des peintures en grand format avec des installations devant, la plupart du temps chez moi avec la mise en situation de mes idées. Avec n’importe quoi tu fais de l’art. Quand t’as pas d’argent tu peux toujours trouver des trucs dans les poubelles pour réaliser quelque chose. Pour moi, celui qui sais pas faire ça peut changer de métier où alors t’es né avec une cuillère en argent dans la bouche. Mais pour moi l’école des vrais artistes c’est ceux qui en chient car ils ont des choses à dire. Y’en a qui se branlent la nouille sur vraiment n’importe quoi.
B!B!: Pour finir j’aimerai te refaire le portrait… Façon portrait chinois. Si tu étais un animal?
Fab: Un oiseau.
B!B!: Un jouet?
Fab: Une poupée déglinguée.
B!B!: Un super héros?
Fab: Batman mais méchant.
B!B!: Un personnage connu?
Fab: Hitler mais gentil.
B!B!: Une partie du corps?
Fab: La main.
B!B!: Un organe?
Fab: Le cerveau.
B!B!: Un médoc?
Fab: Une pilule contraceptive.
B!B!: Un trait de caractère?
Fab: Le courage.
B!B!: Un blasphème?
Fab: Fuck off!!!
B!B!: Et si je te dis Boum Bang ça t’évoques quoi?
Fab: Que c’est bientôt la fin du monde.