Une femme sensuelle au visage recouvert par un poulpe « couvre-chef », des cônes de glaces colorés plus grands que les grattes ciels, une femme sans tête tenant une brebis entourée d’une végétation dense; le monde réel n’existe plus. Décalés, loufoques et fous, les collages de l’artiste grecque, Eugenia Loli, sont pour le moins surprenants et inattendus. Plongés dans un monde irréel et surréaliste, on imagine tous les possibles, notre expectation n’attendant justement plus rien de ce qui va se présenter devant nos yeux. L’imaginaire le plus délirant se retrouve et s’identifie dans ces collages rassemblant et mélangeant différents protagonistes et lieux mais surtout différentes échelles. Dans « Is there a prize at the end of all this? », un cheval blanc se retrouve les sabots dans l’eau, dans une pièce aux murs en pierre et au sol en bois. Des barques à échelle réduite l’entourent, montrant l’invraisemblance et l’incongruité de la situation.
D’aspect « vintage », ces collages sont pourtant réalisés sur Photoshop avec une image de base. Eugenia Loli choisit quelque chose qui lui plait pour ensuite construire, déconstruire, superposer ou enlever les autres images qui constituent l’œuvre. Elle dit même que « parfois, après beaucoup de juxtapositions, l’image de base ne se retrouve pas forcément dans le collage final. » Réalisatrice de tous les possibles, rien ne la prédestinait à faire cela. En effet, ce n’est qu’après avoir été infirmière, programmeuse, journaliste et cinéaste que le collage est entré dans son univers. Nées sous les influences des illustrations de Julien Pacaud mais surtout de Kieron « Cur3es » Cropper, devenu sa source principale d’inspiration, ses réalisations surréalistes captivent, attirent l’œil et transcendent le « regardeur », perdu et enivré devant le surréalisme des assemblages.
Concevoir et imaginer une suite narrative de l’image se présentant devant nous, voilà ce que recherche l’artiste. Elle dénonce la stupidité de la nature humaine et « invite le spectateur à inventer la trame narrative de l’histoire, comme si l’œuvre était une capture d’écran d’un film surréaliste. » Certains titres pourraient presque être considérés comme étant des œuvres à part entière. Amenant une nouvelle dimension, ces quelques mots assemblés ont le pouvoir de changer la signification d’une réalisation. Humour qui fait rire ou humour noir, le titre prend une place importante chez Eugenia Loli, presque comme Marcel Duchamp qui, par le titre, amène légèreté et malice mais surtout réflexion.
Malgré l’hétéroclisme et l’abondance des réalisations (environ 800 collages), Eugenia Loli travaille par séries. Ainsi, « New Mythology » veut retranscrire de façon surréaliste la mythologie grecque. Des étoiles en abondance, des femmes nues, alanguies et très grandes composent ces réalisations. « Oh, L’amour » est une série hétéroclite où les couples sont au cœur de l’attention. La femme vue comme prédatrice mais aussi comme proie. Des couples qui s’aiment mais qui se trahissent; « It ends with a Bang! », « Masks » ou encore « Pervasive Relationship ». L’invraisemblance des compositions accentue ce manque d’amour ou l’amour porté par intérêt avec « Gold Digging » ou encore « Rocky Start ». De même la série « All fun & Games » brouille les limites, perd la logique du spectateur dans les méandres de l’irrationnel. Des enfants innocents sont mêlés à un monde adulte (« Bong for Kids »), inconscients d’un danger qui devient un amusement « I can do it with no hands too! », « Xtreme Sports » ou encore « Just a few more steps, Matilda ». Jeux d’enfants qui jouent avec notre cohérence d’adulte; un chaos organisé.
La logique ne peut se mettre en marche face à chaque collage d’Eugenia Loli. Adepte de l’explication précise, le cerveau se « bloque », cherchant à tout prix à rationaliser. Mais il faut laisser libre court à son inconscient, se délecter de la spontanéité, de la naïveté des actions, découvrir des choses sans limites, tomber dans un étonnement sans fin. Les œuvres d’Eugenia Loli sont ainsi la preuve que l’inconscient doit parfois être le moteur de la réalisation, entourant l’artiste dans un brouillard épais jusqu’à la fin, créant un monde propre à ses envies, à ses contraintes, à son image. Aujourd’hui dans un univers où tout semble ordonné et organisé, la liberté d’assemblages et l’océan de possibles plongent le spectateur dans un tourbillon d’ivresse: chacun peut se façonner l’univers qu’il veut.