Écrire sur l’art, s’aventurer dans des interprétations et des fantasmes à partir d’une œuvre pose toujours des questions au rédacteur. Il peut avoir peur de trahir l’œuvre avec un discours hasardeux, qui au final en révélerait plus sur lui que sur son sujet. Cette crainte se multiplie par mille lorsque l’on rencontre l’artiste. D’avoir plongé ses yeux dans les siens, entendu sa voix, son phrasé, écouté quelques révélations « à ne pas mettre dans l’article » mais essentielles pour tout comprendre: tout cela rend la tâche bien difficile, bien plus sensible puisqu’humaine.
Nous avons rencontré le photographe Éric Antoine pour discuter de sa prochaine exposition à la galerie Laurence Esnol, du 18 octobre au 30 novembre 2013. Il y présentera plus de 70 photographies représentant quatre ans de travail. Il y présentera en fait toute une partie de sa vie, ses images n’étant pas aussi légères qu’elles peuvent apparaître au premier coup d’œil.
© Eric Antoine
Éric Antoine s’est retiré du monde du sensationnel pour s’isoler dans une maison à la campagne. Il explique qu’il prend ses photographies dans un périmètre très restreint autour de sa maison. Ainsi, rappelant le photographe coréen Ahae qui photographie uniquement ce qu’il voit depuis sa fenêtre, Éric Antoine recherche la variété dans le détail, le sensible dans le quotidien. Pas besoin d’aller au bout du monde pour faire une belle photo, rappelle-t-il. On remarquera toutefois que le sensationnel qu’il évite se transforme pour mieux se nicher dans une pratique bien particulière de la photographie, le collodion humide. Il s’agit de photographies en négatif ou en positif sur des plaques de verre. Il n’utilise donc pas un simple appareil moderne pour photographier ce qui est près de lui… Ce procédé date de la deuxième moitié du XIXème siècle et est extrêmement sensible et fragile; il demande une grande dextérité, et ce, de la préparation de la prise jusqu’au développement. Il lui faut essayer de contrôler absolument tout pour avoir un résultat satisfaisant. Il insiste : « cela demande apprentissage, persévérance et dextérité ». Toutefois, il arrive qu’il y ait des résultats imprévus, flirtant parfois avec un univers fantastique… Des spectres apparaissent sur ses images… Des visages ou des parties du décor disparaissent: le médium n’en fait parfois qu’à sa tête. On aime à l’entendre, l’œil brillant, raconter d’étranges correspondances entre les formes imprévues des photographies et les histoires qui accompagnent le sujet… Correspondances ou mystères par ailleurs, comme si la photographie tentait de communiquer au travers des tâches.
Éric Antoine exprime très clairement son désir de faire un travail hybride, utilisant le médium de la photographie mais se rapprochant plus de l’idée de la peinture. Il affirme toute absence de nostalgie dans son choix d’une technique vieille de plus d’un siècle: c’est simplement un choix esthétique, pour se détacher de l’étiquette photographique et se rapprocher de quelque chose d’unique, où les coulures flirtent avec des zones extrêmement précises et fines (il parle alors d’une technique sans égal actuel, qui équivaudrait à des centaines de millions de pixels).
© Eric Antoine
© Eric Antoine
Parlons désormais de l’univers d’Éric Antoine… La joie et la légèreté ont déserté l’œuvre du photographe pour laisser place à une imagerie de l’absence, de l’errance, de la fuite du temps, du retour sur soi. Tous ces sujets qui peuvent paraître pompeux, quasiment larmoyants, revêtent chez lui une couleur sensuelle, à fleur de peau. Grâce au collodion humide (deux mots dont on ne se lasse pas de prononcer les syllabes, assemblage lexical des plus charmants), le camaïeu de couleurs indescriptibles transforme chaque sujet – une chaise, une balançoire, une muse – en objet de désir. Souvent seul, le sujet n’en est que sublimé. Certes l’intention est grave, empreinte de tristesse, mais la manière est belle et on embrasserait avec passion chaque image. Icônes presque religieuses, elles sont l’image d’un dévouement total à la beauté: Éric Antoine explique ne pas prendre beaucoup de photographies, pour une réflexion plus intense sur sa production. Ses images ne viennent pas d’un clic ou d’un déclic mais d’une attente. L’attente de la bonne lumière, l’attente du développement… Le tout sur un verre si fragile, où la technique déploie ses mystérieuses intentions: confusément, on perçoit une importance du hasard, du temps, comme si on attendait quelque chose de tout à fait imprévu.
Enfin, l’exposition à la galerie Laurence Esnol est l’occasion d’admirer les cadres choisis par l’artiste. Il fouille et déniche de vieux cadres ornés ou bien d’anciens châssis… Tout comme un bijoutier dispose ses précieux bijoux sur des coussins de velours rouge, Éric Antoine prend grand soin de mettre en valeur ses photographies; n’oubliez donc pas de considérer l’œuvre dans son ensemble, et pas uniquement l’image. Par ailleurs, on ne saurait se contenter d’images sur l’ordinateur, au vu de tout l’aspect physique de son œuvre. Courrez rue Bonaparte les voir en vrai!
Pour finir, quelques vers de Baudelaire qui évoquent l’ambivalence des photographies d’Éric Antoine, entre tristesse et beauté:
Ma pauvre muse, hélas! Qu’as-tu donc ce matin?
Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes,
Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint
La folie et l’horreur, froides et taciturnes.