Un entretien Boum! Bang!
Née en 1976, l’artiste et photographe anglaise Ellie Davies a fait des forêts son thème de prédilection. Elle n’a de cesse de parcourir les bois, qu’il s’agisse de ceux de sa région natale de New Forest au sud de l’Angleterre ou plus récemment de la forêt française de Fontainebleau, afin d’y créer des œuvres poétiques et sensuelles magnifiant le mystère et l’enchantement de ces étendues forestières. Un travail expérimental et délicat qui valait bien un entretien.
B!B!: Quel est votre parcours artistique?
Ellie Davies: Adolescente, j’étais passionnée par la sculpture. Je travaillais principalement l’argile, puis mes projets sont devenus plus ambitieux lorsque mes parents m’ont acheté un petit soudeur à l’arc. J’ai fait plusieurs grandes pièces, dont un squelette de dinosaure avec des morceaux soudés d’échafaudages et de machines agricoles. Je voulais être sculptrice, mais je n’envisageais pas de travailler seule dans un studio toute ma vie. Après une année frustrante à l’Art Foundation, j’ai pris un cours de chambre noire et réalisé que je pouvais avoir une vie créative sans avoir à être seule. Ce fut une révélation. La chambre noire en noir et blanc est devenue une addiction. Mes premiers projets photographiques étaient principalement des autoportraits. Je me suis servie de modèle afin de pouvoir être indépendante. Je voulais explorer ce médium sans avoir les contraintes de travailler avec une autre personne et tout ce que cela implique. Ce fut très excitant et libératoire. J’étais vraiment impliquée dans ce travail quand j’y repense. Plus tard, j’ai passé plusieurs années à aider des photographes commerciaux et prendre de petites commissions, avant de faire une maîtrise en photographie au London College of Communication.
B!B!: Quelles sont vos influences?
Ellie Davies : Je puise mon inspiration dans la forêt, la marche et la recherche, ainsi que dans la peinture de paysage. J’ai grandi dans la région de New Forest, une grande forêt ancienne du sud de l’Angleterre. Mes parents m’ont tous les deux beaucoup inspirés lorsque je grandissais. Ma mère peignait des paysages et nous montrait son travail à ma sœur et moi. La photographie a remplacé la peinture au cours des quinze dernières années, mais je dessine et esquisse encore mes idées et mes plans. Je serais ravie de revenir un jour à une certaine forme de peinture. Mon père et son meilleur ami étaient des photographes amateurs fanatiques, et m’ont tous les deux beaucoup inspiré. Ils ont développé mon intérêt pour la photographie à un âge précoce. Nous avions une petite chambre noire dans la maison lorsque j’étais petite, et j’ai particulièrement aimé expérimenter avec le Polaroid 665. Vous shootez, trempez le négatif dans un seau de solution avant d’accrocher les clichés sur une ligne à sécher. J’adorais la nature désordonnée et imprévisible de ce processus et la magie de ces images instantanées. Polaroid a retiré le Film Polaroid 665 il y a environ dix ans mais il me reste environ vingt paquets dans le réfrigérateur. Pour ce qui est des livres, j’ai lu récemment « The Erl-King d’Angela Carter » et « The Man Whom the Trees Loved » d’Algernon Blackwood, que j’ai trouvé inspirants. Je lis aussi beaucoup de choses sur l’alpinisme et des livres d’escalade, comme les remontées incroyables dans les Alpes et l’Himalaya. Bien que ces livres ne soient pas sur les forêts, ils explorent la puissance du monde naturel et les différentes relations avec elle.
B!B!: Vous photographiez des forêts, parlez-moi de ce leitmotiv dans votre travail. Qu’est-ce qui vous fascine dans ces lieux?
Ellie Davies: J’aime travailler dans les forêts parce qu’elles sont imprégnées de toutes sortes de significations à travers l’histoire, la mythologie, les histoires et les contes. Ayant grandi dans le New Forest, les bois font partie intégrante de mon enfance. Nous y jouions avec ma sœur jumelle, faisions des tanières, apprenions à nous nourrir d’aliments sauvages et y marchions régulièrement avec mes parents. Je suis allée à l’université, puis ai déménagé à Londres, où je vis maintenant depuis dix-sept ans. J’ai perdu ces espaces anciens et lieux sauvages de ma jeunesse, et je voulais trouver un moyen de raviver cette relation importante dans ma vie. J’aime y retourner pour mon travail, trouver de nouvelles façons d’explorer les bois et y faire des interventions. J’utilise la forêt comme un studio. Les bois fournissent une scène et une toile de fond, dans lesquels je réalise des petites installations qui conduisent le spectateur à l’intérieur. Le processus de fabrication, la construction ou l’inscription dans l’espace de la forêt me sert de médiateur pour ma propre relation avec les bois – avec un équilibre entre la façon dont sont construites culturellement nos idées de paysage, et nos propres expériences dans ces espaces naturels. Nous entrons dans la forêt avec des références culturelles, une expérience de la forêt empreinte de connaissances reçues, en particulier pour ceux qui vivent dans des espaces urbains où le monde naturel est très lointain. Mon travail me permet de trouver ma place au sein de ce processus. C’est un espace dans lequel je trouve ma propre façon d’exister.
B!B!: L’ensemble de vos photographies ont-elles été prises dans la région de New Forest? Et si non, où se trouvent ces forêts, et comment dénichez-vous ces endroits?
Ellie Davies: La majorité de mon travail a été réalisée dans la New Forest dans le Hampshire, mais aussi à Puddleton Forest dans le Dorset. La série « Gloaming » a été faite en Llanberis dans le nord du Pays de Galles, et j’ai récemment réalisé quelques nouveaux travaux dans la forêt française de Fontainebleau. J’ai principalement travaillé dans la New Forest parce que c’est un paysage extrêmement varié et inspirant. J’aimerais travailler dans toutes sortes de forêts et ai espoir de le faire à l’avenir. Chaque nouvel endroit apporte des idées différentes et des façons de travailler. C’est très excitant de découvrir un nouvel endroit et d’imaginer ce qu’il va faire ressortir dans mon travail. Mes idées et les endroits proviennent de mes promenades. Je fais beaucoup de notes et de croquis – avec les matériaux, l’atmosphère, le temps de la journée et l’équipement que je prévois d’utiliser. Je fais habituellement une pièce de travail par jour, et un projet peut prendre un an. Mon processus prend également en compte les saisons. Ma série « Half Light » a été réalisée en hiver et la forêt était très humide et inondée. Je fais donc une pause entre le printemps et l’été et j’attends actuellement le retour de la pluie à l’automne pour recommencer à travailler sur la série. J’arrive habituellement à un emplacement choisi avec une idée assez claire de ce que je veux faire, mais le processus de construction et la photographie sont toujours en interaction, et je profite de la façon dont les choses et l’environnement changent et évoluent dans l’instant.
B!B!: Vos installations sensuelles et poétiques rendent ces forêts surnaturelles et mystérieuses. Parlez-moi de vos choix esthétiques et techniques.
Ellie Davies: L’esthétique de mon travail consiste à essayer de capturer la sensation lorsque l’on passe du temps dans les bois. Lorsque vous entrez dans une forêt dense et que le vent tombe, l’air se refroidit, et vous ressentez un sentiment accru de sensibilisation. Je pense que mes photographies relèvent de l’obscurité, de la lumière, du mystère, de la narration et de l’intrigue. Certaines personnes trouvent mon travail très sombre, et d’autres le trouvent joyeux et exaltant. J’aime ces différentes réactions face à mon travail, cela en dit probablement plus sur le spectateur que sur les images elles-mêmes. Ces photographies reflètent mon expérience d’être dans les bois, et je veux que le spectateur vive l’expérience de la sensation physique d’être dans les bois, du lever du jour jusqu’au crépuscule. Je travaille habituellement par mauvais temps, avec un ciel couvert et de la pluie de préférence. Ce sont mes conditions idéales. La lumière sombre donne une richesse à l’ombre et les couleurs créent dès lors un style esthétique. Mon kit essentiel est un 645z Pentax, trois objectifs et un trépied Manfrotto. Je prends l’appareil et de la nourriture dans un sac à dos, cela me permet de déambuler et marcher sur d’assez longues distances sur une journée. Je travaille seule, ce qui est un autre élément important dans la création: de la tranquillité, du calme et une certaine tension que je souhaite faire passer par mes clichés.
B!B!: Comment décririez-vous votre travail et son évolution?
Ellie Davies: Je fais de la photographie de paysage en utilisant divers objets fabriqués que je crée dans un cadre boisé. Ceux-ci sont photographiés et l’image résultante devient la pièce finale. Dans le passé, ces interventions ont varié de formes, allant du tissage fabriqué à partir de matériaux d’artisanat, de l’utilisation de fougères, de farine, de feuilles de couleur comme de fumée, à la création de « logements » construits à partir de matériaux. Chaque objet « construit » a une très courte durée de vie et n’est pas une œuvre d’art. C’est un moyen de créer une image photographique. J’utilise mon travail pour explorer ma relation avec le monde naturel. Les images explorent les différentes perceptions culturelles de la forêt, et comment cela joue avec notre expérience de ces espaces. Ces choses viennent à nous à travers les médias, l’histoire, les contes de fées, les mythes, la psychologie, la conservation, etc. et permettent une approche de la forêt comme un lieu de danger, d’horreurs inconnues ou encore une métaphore de l’inconscient. Mes images considèrent ces couches de sens tout en encourageant le spectateur à faire sa propre interprétation de ce qui se passe. Dans la série « Stars » (2014-2015) par exemple, j’ai recouvert les images prises par le télescope spatial Hubble avec des espaces forestiers. Je considère cette série, qui juxtapose la forêt avec des images des confins de l’espace, comme la représentation de notre aliénation du monde naturel. Ma plus récente série « Half Light » (2016) se tourne plus particulièrement vers les rivières de la New Forest, et c’est une nouvelle exploration de cette relation. Les berges de la rivière créent un faux horizon dans le bois, et les eaux profondes séparent le spectateur de la forêt, ce qui reflète encore une fois la séparation au monde naturel.
B!B!: Quels sont vos futurs projets?
Ellie Davies: Je travaille toujours sur la série « Half Light », que je vais continuer à l’automne. Ensuite, je vais commencer à expérimenter et tester à nouveau. Les pistes possibles comprennent un parachutage à 60 pieds de haut et peut-être un peu de feu. Je suis également très impatiente pour ma prochaine exposition solo à la Crane Kalman Gallery, appelé « Into The Woods », du 21 Juillet au 20 Août 2016. Je travaille aussi sur mon premier show en Irlande l’année prochaine, une exposition solo à la Roe Valley Arts and Cultural Centre dans le comté de Londonderry en Irlande du Nord.