Les expositions de designers ont la fâcheuse tendance d’engendrer chez le visiteur une remise en question profonde. Éloignons tout de suite de notre raisonnement l’interrogation égo-centrée en interrogeant le quotidien et surtout son armature. Entourés d’objets gravitant dans nos champs visuels, nous évoluons dans un contexte humain et non-humain si esthétique et pourtant invisible.

La rétrospective d’Eileen Gray présenté chez Pompidou au 6e étage de Notre-Dame des Tubes chamboule ce que l’on voit tous les jours: notre triste quotidien fait d’armoires, de tables et de chaises. Que se passe t il alors? Rien de plus qu’une mise en avant de la matière chorégraphiée. Le paravent se transperce de vent, le tabouret devient Tancarville, le fauteuil mime un dragon…

Fauteuil Bibendum Eileen GrayFauteuil Bibendum, circa 1930, Métal chromé, toile, Mobilier provenant de la collection de Mme Tachard, Collection privée © photo : Monsieur Christian Baraja, Studio SLB
Cabinet à tiroirs pivotants Eileen GrayCabinet à tiroirs pivotants, 1926-1929, Bois peint, Mobilier provenant de la villa E 1027, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris © Centre Pompidou /photo:Jean-Claude Planchet © DR
Chaise de salle à manger, 1926-1929, Acier nickelé, cuir brun, Mobilier provenant de la villa E 1027, Don de la Société des amis du Musée national d’art moderne, 2011, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris © DR
Chaise de salle à manger, 1926-1929, Acier nickelé, cuir brun, Mobilier provenant de la villa E 1027, Don de la Société des amis du Musée national d’art moderne, 2011, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris © DR
Fauteuil Sirène Eileen GrayFauteuil Sirène, circa 1919, Bois laqué, velours, Acheté par la chanteuse Damia à la galerie Jean Désert en 1923, Anthony DeLorenzo © photo: Anthony DeLorenzo
Fauteuil Transat Eileen GrayFauteuil Transat, 1926-1929, Sycomore verni, acier nickelé, cuir synthétique, Mobilier provenant de la maison E 1027, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris © Centre Pompidou /photo:Jean-Claude Planchet © DR
Paravent en briques Eileen GrayParavent en briques, 1919-1922, Bois laqué noir, Collection particulière, courtesy Galerie Vallois, Paris © photo: Vallois-Paris-Arnaud Carpentier
Table ajustable Eileen GrayTable ajustable, 1926-1929, Acier tubulaire laqué, acétate de cellulose, Mobilier provenant de la maison E 1027. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris © Centre Pompidou /photo: Jean-Claude Planchet © DR
Table aux chars Jacques DoucetTable aux chars, circa 1915, Bois laqué, ébène, ivoire, Conçue pour le couturier Jacques Doucet. Collection particulière, courtesy Galerie Vallois, Paris © photo: Vallois-Paris-Arnaud Carpentier

Ces objets si familiers ont été inventés puis créés par une génitrice de génie: Eileen Gray. Irlandaise et bisexuelle, en 1906 elle fuit la rigidité victorienne et embrasse la Ville Lumière. Elle doit son succès à sa maîtrise de l’art du laque en réalisant des pièces puis des intérieurs pour les femmes du « monde »… Elle ne s’arrête pas au design d’intérieur, elle réalise les villas « E1027 » puis « Tempe Pailla » et enfin « Lou Perou » sur la « French Riviera ».

Avec son amant-architecte Jean Balducci, elle réalise « E1027 », une villa construite avec une simplicité et une fluidité inédite. Les délimitations d’espaces sont atténuées par de grandes baies vitrées et des lieux de vie en plein air. Cette villa-mondaine, Eileen Gray l’imagine comme projection de l’homme vers l’horizon méditerranéen, « La maison en bord de mer » devient paquebot faisant corps avec l’étendue maritime. Fasciné par la maison et son architecte, Le Corbusier dessinera des fresques sur les murs de « E1027 », faisant fuir Eileen Gray assoiffée de sobriété.

Villa E 1027 Eileen Gray et Jean BadoviciVilla E 1027, Eileen Gray et Jean Badovici, vue du salon, photographie rehaussée au pochoir, 1929 Eileen Gray, Jean Badovici « E 1027. Maison au bord de mer », L’Architecture vivante, n° spécial, Paris, Éd. Albert Morancé, automne-hiver 1929 ©
Villa E 1027 Eileen Gray et Jean BadoviciVilla E 1027, Eileen Gray et Jean Badovici, vue de la façade sud de la villa depuis la mer, Roquebrune-Cap-Martin, s. d., Centre Pompidou, Bibliothèque Kandinsky, Paris. Fonds Eileen Gray / Guy Carrard ©
Villa E 1027, Eileen Gray et Jean BadoviciVilla E 1027, Eileen Gray et Jean Badovici, vue du salon, Centre Pompidou, Bibliothèque Kandinsky. Fonds Eileen Gray. Photo Alan Irvine ©

Architecte, designer et peintre, Eileen Gray aura consacré sa vie à faire de l’inerte un objet de vie et de sensation. Voilà peut être le leitmotiv de son œuvre globale: pulvériser les codes pour combler les sens. Cette rétrospective qui bouscule, nous transforme en spectateur de l’art matérialisé grâce aux prouesses ergonomiques et techniques de cette féministe si moderne.