En guise d’introduction, présentons Edward, dit Ed Ruscha (prononcer Rusché) comme le peintre choisi par Obama pour décorer son bureau ovale. Le président américain a jeté son dévolu sur une simple toile de 1983 intitulée « I think I’ll ». Sur fond rouge se détachent les mots « Maybe yes… wait a minute… maybe I’ll… on second thought… maybe no »: symbolique. Cette entrée en matière peut faire grimacer (grngrn… art officiel… grngrn… goût démago… grngrn). Mais ne résumons pas à cette « consécration » la carrière artistique passionnante d’Ed Ruscha, exprimable en une formule: forme minimale, effet maximal.
Les peintures d’Ed Ruscha sont pour la grande majorité des « écrits »: un mot de quelques lettres, parfois une phrase, qui pourrait être extraite d’une réplique de soap opera, se détache sur un fond coloré, uni ou abstrait.
Ed Ruscha, après une enfance au Nebraska et en Oklahoma, a fait ses études à Los Angeles et se dit marqué par l’aspect de cette ville, ses films, ses routes.
« Conduire sur l’autoroute est une expérience importante. Aux Etats-Unis, tout est disposé de gauche à droite. Je suis attiré par l’horizontalité et je pense que c’est à cause de la voiture, regarder des paysages plats. »
C’est là qu’il « attrape » les messages écrits des paysages américains des années 1960-1970. Le caractère typographique choisi fait sens, évoque le dessin d’une enseigne, ou la sonorité coup de poing d’un slogan. Sa peinture dit le harcèlement verbal imposé par les paysages urbanisés, standardisés. La compagnie Standard Oil justement lui inspire une série de toiles sur un motif qui traverse toutes ses périodes depuis 1963: une station essence à la silhouette constructiviste et à l’enseigne impérieuse, comme hurlée d’un mégaphone: « Standard ». Est-ce à chaque fois la même? Ou une autre, identique? Parmi toutes les déclinaisons de ce même motif, les représentation de la station essence en flammes sont les plus dérangeantes, dans leur manière de proposer un dangereux autodafé du capitalisme.
Annie, Poured From Maple Syrup, 1966, oil on canvas, 139 x 149 cm © Ed Ruscha
Flash, L.A. Times, 1963, oil on canvas, 170 x 180 cm. © Ed Ruscha
Cut, 1969, oil on canvas, 91 x 101,6 cm. © Ed Ruscha
Scream, 1964, oil on canvas, 180 x 172 cm. © Ed Ruscha
Smash, 1963, oil on canvas © Ed Ruscha
Foo, 1965, oil on linen, 50,8 x 61 cm. © Ed Ruscha
Standard Station, Amarillo, Texas, 1963, oil on canvas, 163 x 300 m. © Ed Ruscha
Burning Gas Station, 1966, oil on canvas, 52 x 99 cm. © Ed Ruscha
Burning Standard, 1968, oil on canvas, 51,4 x 99 cm. © Ed Ruscha
Standard Station, 1986 – 1987, oil on canvas, 129,4 x 243 cm © Ed Ruscha
Soyez attentifs à la technique utilisée dans les toiles d’Ed Ruscha, car il n’hésite pas à peindre avec de la confiture (Year After Year), du blanc d’œuf (I Just Can’t Bear to Look), du caviar (Well) qui souligne le sens du mot, le densifie et le rattache à son usage consumériste. Ed Ruscha est un fabuleux coloriste. Sa maîtrise parfaite du dégradé, qui fait passer la couleur de l’ombre à la lumière, évoque bien sûr le coucher de soleil, un autre motif au « glamour » récupéré par la publicité. Il n’y a pas de bucolique chez Ed Ruscha. Tout est marqué par l’inquiétude et le sentiment du déclin. Les mots ne valent plus pour ce qu’ils disent, mais pour ce qu’ils représentent, leurs échos: des valeurs morales ou consuméristes que la société moderne impose à tous.
Dans les années 1990, Ed Ruscha abandonne la couleur pour réaliser des toiles plus sombres, en noir et gris, qui font penser aux daguerréotypes du XIXe siècle. L’attente du mot est déçue. Si le titre de la toile fournit un texte éclairant l’image, sur le tableau s’ouvre un bandeau blanc, évoquant la censure, la parole interdite. Preuve qu’Ed Ruscha sait jouer avec le « style » très reconnaissable qu’il s’est créé.
Ed Ruscha est représenté par la Galerie Gagosian.