Un entretien Boum! Bang!
Une énergie débordante et communicative qui se répand dans tous les couloirs de la Meet Factory. On dirait que c’est lui qui éclaire les néons rouges sur son passage. L’atelier au dernier étage sent les solvants et est encombré d’impressionnantes machines. David Černý c’est « Fast and Furious » à lui tout seul, le Mick Jagger de l’art contemporain, humble et séducteur à la fois, un peu fou, aux rêves démesurés et la vie devant lui.
David Černý, portrait © photo: Jaroslav brabec
B!B!: Quelles sont vos origines?
David Černý: Je suis né et j’ai grandi à Prague. Ma mère était restauratrice d’œuvres d’art à la Galerie Nationale de Prague. Mon père était graphiste. Il peignait aussi pour lui, il avait des choses à dire mais a arrêté ses créations personnelles pendant le communisme, période durant laquelle on ne pouvait pas se permettre d’exposer ses idées.
B!B!: Quelle est votre formation?
David Černý: J’ai toujours dessiné quand j’étais enfant et adolescent mais le coté « hippie » des études d’art ne m’attirait pas. J’ai fait le lycée électrotechnique. Mais après 3 ans je me suis dit « Merde! Est-ce que je veux vraiment devenir technicien, ingénieur ou un truc du genre? ». J’ai voulu faire une école de design mais mes parents ne m’encourageaient guère dans cette voie et me disaient d’aller à la fac! Une fois à l’université j’ai testé plusieurs filières: arts appliquées, design industriel… et j’ai finalement intégré le département de sculptures des Beaux-Art, en 1990, juste à la fin du communisme, mais le Bolchevisme était encore très marqué et ça a posé pas mal de problèmes idéologiques dans mes travaux réalisés dans le cadre scolaire.
David Černý, In Utero, stainless stel, height 6 meters ©
David Černý, London Buster, Busm hydraulics, weight 7 tons, 2012 ©
David Černý, Art Robbery, random pregnant victim with doughter, various materials, fiberglas, smoking guns, sounds ©
B!B!: Qu’est-ce qui vous a mené à l’art contemporain?
David Černý: La vie, le désir d’exprimer des choses à travers une technique maitrisée.
B!B!: Quelle est l’influence de l’histoire et du communisme dans votre travail?
David Černý: Le communisme a marqué ma vie pendant 20 ans! J’imagine que cela ne peut que ressortir dans mon art. Il fallait être dans le « jus russe », on pouvait à peine apprendre l’anglais, impossible de voyager. Je suis allé à l’est pour la première fois à 21 ans, à Paris. Très vite je suis reparti aux USA, à New York pour le PS One program au MoMA. Et je suis resté là bas pendant 5 ans. Un jour à Broadway j’ai assisté à un meeting prônant le Marxisme et autres conneries. Et là je me suis énervé en leur disant « FUCK OFF ». Comment ces gens pouvait-ils fantasmer sur une chose qui avait tant oppressé mon pays et j’ai décidé de rentrer. La seule bonne chose que le communisme m’a apporté, c’est que je sais ce que c’est!
David Černý, Viselec, statue of a man (Sigmund Freud) hanging by his arm, above a storefront in Prague ©
David Černý, Piss, bronze, mechanic, electronic, gsm gate, figures height 210 cm ©
David Černý, Pistole, fiberglass, 420x220x63 cm, 1994 ©
David Černý, Shark, water, laminate, 190x90x270 cm ©
David Černý, Embryo, fiberglass, LED, installation Prague, height 120 cm ©
David Černý, Baby, bronze, installation NYC ©
B!B!: Quel est votre message? Peut-on parler d’art engagé?
David Černý: Engagé, c’est un mot un peu trop fort pour moi! Si je devais adresser un message, ce serait aux extra-terrestres: Ne venez pas!
B!B!: Peut-on dire que votre art est provocateur?
David Černý: Beaucoup de gens le pensent. Mais je me provoque surtout moi-même, j’aime faire des choses étranges et encore une fois j’ai l’opportunité de m’exprimer, ce qui n’a pas toujours été une évidence dans notre pays. J’en profite, je m’amuse et j’ai la chance d’en vivre!
B!B!: Votre reconnaissance ici et ailleurs?
David Černý: Parfois j’aimerais être un peu moins connu. Ou de façon plus proportionnelle entre ici et l’étranger. Mais ça a commencé à changer ces deux ou trois dernières années. J’ai des collectionneurs ici, aux États-Unis (surtout à New York et en Californie). Ça commence aussi un peu en Chine. J’ai eu quelques expositions aux Pays Bas et au Royaume-Uni. Enfin j’ai diverses installations permanentes un peu partout dans Prague… L’Allemagne, la France et une bonne partie de l’Europe sont assez réticentes vis-à-vis de mon travail, sans parler du scandale qu’a provoqué ma sculpture « Entropa » à Bruxelles, où je jouais avec les clichés de chaque pays européens. C’était un humour pourtant bon enfant mais ça n’a pas plu!
David Černý, Entropa, installation, Bruxelles, 2009 ©
B!B!: Comment vous définissez-vous en tant qu’artiste?
David Černý: Je suis sculpteur!
B!B!: Vos souhaits pour votre futur?
David Černý: À très court terme j’espère obtenir ma licence de pilote d’avion pour lignes commerciales! C’est une autre forme de challenge et voler est un rêve de gosse qui ne m’a jamais lâché. Mais je risque d’être trop vieux, je ne ferai surement que des vols internes ou ne serais que co-pilote. Parfois je rêve aussi d’arrêter l’art, de partir et livrer des vivres en avion en Afrique… Bref, je continue à écrire ma vie!
B!B!: Vos prochains projets artistiques?
David Černý: Une grande installation va être dévoilée dans le centre de Prague à l’automne. Quatorze tonnes de métal en mouvement. J’ai toujours des commandes privées à terminer. Je concours à des propositions pour des monuments locaux. Mais rien n’appartient à la ville, il y a beaucoup de mécénat. Et je prépare aussi d’éventuelles expositions à Vienne et Londres en 2015. Il faudrait aussi que je pense à une publication rétrospective mais ne serait-ce que de mettre mon site internet à jour me donne le vertige! Je n’ai jamais été très doué en autopromotion.
B!B!: Quelques mots sur la Meet Factory?
David Černý: Ahhh! C’est autant mon paradis que ma croix! Au début, ce n’était qu’une carcasse d’une ancienne usine qui travaillait le verre, il n’y avait même plus de fenêtres. Des fois j’ai l’impression que je vais y finir mes jours en tant que manager. Mais je suis fier de ce que c’est devenu, de ce que vous venez de voir. Les ateliers, les espaces communs, les espaces d’expression et toutes les manifestations culturelles qu’on y organise.
David Černý, Metalmorphosis, stainless steel, motors, computer driven control centre, water, instalation on 3700 Arco Corporate Drive, Charlotte, North Carolina, height : 30 feet, weight 14 tons ©
David Černý, Metalmorphosis, stainless steel, motors, computer driven control centre, water, instalation on 3700 Arco Corporate Drive, Charlotte, North Carolina, height : 30 feet, weight 14 tons ©
B!B!: Si vous étiez un animal?
David Černý: Un oiseau. Un perroquet. C’est le seul animal que j’ai, un Gris d’Afrique qui parle merveilleusement bien. J’aimerais avoir un grand Ara.
B!B!: Si vous étiez un dieu?
David Černý: Pas d’idée, inutile… Vous croyez vous? Non! Alors…
B!B!: Si vous étiez une plante?
David Černý: Un séquoia.
B!B!: Un mets?
David Černý: On va tous finir par être le repas de quelque chose sous terre, ça me semble suffisant!
B!B!: Une façon de mourir?
David Černý: Vite!
B!B!: Un pouvoir surnaturel?
David Černý: Être aussi rapide qu’un moteur d’avion.
B!B!: Un pays?
David Černý: Un petit coin de Californie.
B!B!: Si vous pouviez être une femme pendant 24 heures, qui serait-elle?
David Černý: Si je suis elle je ne peux pas être en elle, c’est un problème! Anita Ekberg dans la « Dolce Vita » de Federico Fellini et particulièrement dans la scène dans la fontaine de Trevi avec Marcello Mastroianni, ou alors Naomi Watts dans « Mulholland Drive » de David Lynch.
B!B!: Si vous pouviez inviter une dizaine de personne à dîner, qui seraient-elles?
David Černý: Elles pourraient être nombreuses. Je voudrais avoir autour de moi les gens qui ont fait bouger les choses en bien ou en mal, des dictateurs et des visionnaires, pour comprendre pourquoi et comprendre un peu mieux l’histoire. Hitler et Staline pour les gifler aussi! Léonard de Vinci pour l’art, les sciences et ses rêves d’aéronautiques. Dennis Oppenheim, Kurt Vonnegut, Steven Hawking, Samuel Cohen.
B!B!: Si je vous dis Boum! Bang!?
David Černý: What the fuck!