Du haut de ses 22 printemps, Caroline Nasica a grandit à Nice avant de rejoindre tout récemment la capitale. Baignée dans le milieu artistique depuis son plus jeune âge, elle réalise des photographies prises sur le vif, entre sensibilité et nostalgie. Ses travaux ont été exposés pour la première fois en février 2019 à l’EP7 dans le 13ème arrondissement parisien. Caroline Nasica a également lancé un appel à projet artistique réservé aux étudiants des cités universitaires en décembre dernier. Après avoir eu l’aval du CROUS, la jeune niçoise a organisé et géré seule cet événement, qui s’est déroulé au Café Mabillon en mai 2019. Entretien avec cette battante passionnée.
B!B!: Quel est ton parcours artistique?
Caroline Nasica: J’ai toujours été dans l’art. Ma mère est illustratrice, ma grand-mère est peintre… Toute ma famille est dans l’art. J’ai commencé par faire du dessin, notamment de la bande dessinée, puis j’ai totalement arrêté au lycée. Je voyais ma famille galérer, et je ne voulais pas galérer comme eux, parce que c’est très dur d’être artiste. En sortant du lycée, j’ai fait deux semaines à la fac en Infocom avant d’arrêter parce que ça ne me plaisait pas. Je me suis demandée ce que j’allais faire de ma vie. Par la suite, j’ai fait une MANAA Design Graphique à Nice. Ça m’a éclaté, parce que nos « devoirs » étaient des dessins. Ce n’étaient pas des devoirs pour moi, c’était incroyable! Sauf que Nice, c’est petit et on en a vite fait le tour, donc j’ai tenté l’EPSAA (Ecole Professionnelle Supérieure d’Arts Graphiques) à Ivry-sur-Seine, et j’ai été admise. J’étais trop contente! Je suis en deuxième année actuellement, et c’est vraiment enrichissant comme école. Je fais un stage dans la publicité en juin, je sais que c’est dans ce secteur là qu’il y a des sous donc j’assure mes arrières comme ça. Je ne me vois pas forcément être graphiste, je ne sais pas encore ce que je veux être, mais si je pouvais vivre de la photographie, c’est ça que je ferai avant tout. A côté de cela, je fais de la photographie depuis que j’ai 17 ans.
B! B!: Quelles sont tes influences?
Caroline Nasica: Cela n’a rien à voir avec ce que je fais, puisqu’il s’agit de photographie de mode, mais j’aime beaucoup le travail d’Ellen von Unwerth. Ce sont vraiment des photos de mode très girly, mais c’est comme ça que j’ai commencé à faire de la photo avec des copines et des robes à fleurs à Nice. Ça me plaisait beaucoup, parce que c’était de la mise en scène. Après, je vais citer des classiques, des photoreporters comme Henri Cartier-Bresson. Même si je ne fais pas de la photo de rue, il m’inspire. J’aime beaucoup les univers de JR et Maisie Cousins aussi. Je me suis essayée à des compositions, avec un côté très graphique, après avoir vu le travail d’Axel Morin aussi. J’adore ce qu’il fait, c’est très beau. J’ai arrêté ensuite, parce que je n’ai pas envie de pomper, et que ce n’est pas ce que je fais à la base. Je me cherche encore un peu je pense, et je trouvais à ce moment-là mon travail trop simple, donc je tentais des choses. Mais aujourd’hui, je me dis que mon travail est peut-être simple, mais que c’est comme ça que je l’imagine et l’apprécie. Je fais tout en freestyle, je n’ai même pas de véritable façon de travailler. Je m’appuie vraiment sur le feeling, et y a des moments où ce que je fais est infâme. Ça ne ressemble à rien. Et parfois il y a des miracles! Quand on me demande mon style, je ne sais pas quoi répondre. Ce sont des photos intimes réalisées à un moment donné. Je fais une photo avec la personne avec laquelle je suis, et on la fait ensemble.
B!B!: Quels sont tes thèmes de prédilections?
Caroline Nasica: J’ai toujours pris mes amis en photo, ils sont ma principale inspiration. Je suis encore trop timide pour aller voir quelqu’un dans la rue et lui proposer de poser. J’avais fait deux publications via un groupe Facebook en expliquant que je cherchais de nouveaux visages, et j’avais reçu plus de 500 candidatures. Je me suis dit : « Wah, trop bien! », et j’ai fait deux/trois photos avec des gens que je ne connaissais pas. C’était sympa, mais ça reste assez gênant quand même. Je fais plutôt des photos intimistes donc si je suis avec quelqu’un que je ne connais pas, c’est compliqué. Je voudrais prendre de jeunes comédiens en photo aussi, ça serait une expérience cool. Je ne l’ai jamais fait encore, mais c’est une idée que j’ai dans la tête depuis un moment. Quand je suis arrivée à Paris, j’étais en colocation avec mon meilleur ami et ma sœur, et c’est avec eux que j’ai fait presque toutes mes photos. C’est vraiment avec mes proches que j’ai faits la plupart de mes clichés. La photographie, c’est de l’échange et du partage.
B!B!: Comment ton travail a-t-il évolué dans le temps et comment le décrirais-tu?
Caroline Nasica: Comme je disais, les premières photos que j’ai faites étaient réalisées avec des copines. On prenait la voiture et on allait dans des lieux abandonnés dans les hauteurs de Nice. Ma mère avait beaucoup de livres sur Hollywood, donc j’étais très axée sur la mise en scène. Mes copines se prêtaient au jeu, c’était top! Mon travail a vraiment évolué quand je suis arrivée à Paris et que j’étais en colocation. Tout ça était nouveau pour moi, donc je passais le plus clair de mon temps à prendre en photo notre environnement. Ça peut sembler anodin pour beaucoup, mais c’est une façon pour moi de garder des traces. Je n’ai pas une mémoire défaillante mais je sais que j’oublie plein de choses. Et le fait de prendre des photos me permet d’avoir des souvenirs de tout ce que j’ai fait depuis que je suis ici. Je prenais notre bordel en photo, etc. Je vis seule maintenant, et je prends donc beaucoup plus de photos de bâtiments de ma résidence aujourd’hui, parce que je ne connais pas encore bien les gens et que je ne vais pas aller toquer chez eux pour les prendre en photo. Avant je faisais de la mise en scène, et maintenant je capture la vie de tous les jours, des fragments de moments, de journée, de vie, d’instants.
B!B!: Parle-moi de ta série « Tocchisu, village de souvenirs ».
Caroline Nasica: C’est un projet sur le village de ma famille en Corse. J’aimerais beaucoup pouvoir exposer ce travail et pouvoir mettre en lumière le fait qu’il y a de nombreux villages qui disparaissent. C’est une façon d’immortaliser les derniers moments de ces endroits, parce qu’il n’y a vraiment plus personne là-bas. Il doit rester vingt habitants, pas plus, car tout le monde est parti ou décédé. J’ai envoyé cette série à une galeriste à Ajaccio pour faire éventuellement une résidence d’artistes avec des projets sur la Corse. J’ai entamé cette série il y a deux ans. C’est vraiment un petit village perdu, et c’est là où mon père a grandit. J’y allais tout le temps quand j’étais petite et j’ai vu la désertion du village année après année. C’est triste, et je sais que je ne peux rien y faire… Donc c’est vraiment pour garder une trace. À l’époque de mon père, il y avait encore pas mal de jeunes dans le village. Mais depuis, les écoles ont fermés, les routes sont sinueuses pour descendre du village à la plaine, tous les jeunes sont partis… Et il n’y a plus qu’une poignée de personnes qui y vivent à l’année actuellement. Il y a plein d’autres villages dans le même cas, et je sais que j’en ferai le tour si je fais la résidence à Ajaccio. Je me documenterai vraiment sur le sujet. C’est encore une fois un thème intime, puisque ça concerne ma famille, mais ça concerne aussi les autres familles dans le même cas. Je ne veux cependant pas donner un côté mélodramatique à ces photos, c’est plutôt un témoignage de ce que personne ne voit.
B!B!: Tu as envie de provoquer des émotions et de rappeler des souvenirs par le biais de tes photographies. Les thèmes du temps et du souvenir sont récurrents dans ton travail. On sent que tu es quelqu’un de sensible et de nostalgique…
Caroline Nasica: En effet, et pourtant je n’ai pas envie de faire des choses dramatiques à la limite du pathos. Mais je veux vraiment qu’elles évoquent des souvenirs. Sans faire pleurer les gens mais voilà. C’est comme la colocation, beaucoup de gens ont vécu en colocation, dans un petit endroit, avec des amis ou sa famille. C’est vraiment dans cette veine-là. La nostalgie, ça me fait peur d’en parler, parce que c’est un mot vraiment beau, mais il peut renvoyer à des choses très tristes. Ce n’est pas de la mélancolie non plus, mais tout se passe maintenant, tant qu’on est jeunes. On ne se rend pas compte, mais c’est tout de suite maintenant. Et moi j’appréhende aussi beaucoup ce qu’il va se passer après. J’ai peur de vieillir aussi. Je sais que c’est bête, mais le fait de prendre des photos me donne l’impression de conserver tout ça et de voir ce qui nous entoure maintenant. Ça m’aide à rester dans le présent. Je photographierai encore dans dix ans, et ça fera un long fil de vie.
B!B!: Parle-moi de ta série « Intimes Fragments ».
Caroline Nasica: C’est la série que j’ai travaillée en grande majorité à Paris. J’ai mis un titre pour chaque série il n’y a pas si longtemps parce que c’est difficile pour moi de déterminer quand une série est véritablement une série, et quand elle est terminée. J’ai l’impression qu’aucune n’est réellement terminée d’ailleurs. « Intimes Fragments », est la série que je réalise avec tout ce qui m’entoure. Elle est très intime dans le sens où c’est ma vie de tous les jours. J’ai capturé des corps, et la série est très figurative. Elle traite vraiment l’Humain et le corps, avec une certaine poésie. Une poésie importante pour moi. Je veux garder cette idée de poésie que l’on peut croiser tous les jours, et que l’on ne voit même plus finalement. Lorsque l’on sort avec des amis, des choses qui nous semblent toutes simples et auxquelles on ne prête pas attention sont finalement très belles lorsqu’elles sont photographiées.
B!B!: Quels sont tes futurs projets?
Caroline Nasica: Je continue mes séries, notamment celle en Corse qu’il faut absolument que j’approfondisse. J’ai un mois de vacances en septembre normalement, donc je pense que je vais partir là-bas pour la terminer et qu’elle puisse voir le jour. J’attends de décanter un peu avant de me lancer dans d’autres projets parce que j’ai mille trucs en tête! Du coup, je vais faire mon stage en juin tout en bossant tranquillement mes projets le soir et les week-ends.
B!B!: Donne-moi ta vision du monde.
Caroline Nasica: C’est difficile comme question. Du haut de mes 22 ans, je suis ultra partagée dans ma vie. Je me dis parfois qu’il faudrait peut-être que je me mette à la méditation. Mais il faut surtout lâcher prise, même si certaines choses ne marchent pas comme on le souhaite. Je ne me vois vraiment pas faire autre chose que de l’art, et ce n’est pas grave si je ne parviens pas à gagner ma vie avec ça. L’art est tout, et tu te penches dessus parce que tu en ressens le besoin. Parce que tu as besoin de retranscrire des choses. J’ai fait mon école et suis venue à Paris en espérant pouvoir réussir. Je pense qu’en étant passionnée, on peut y arriver. Et il faut faire simplement ce qu’on aime. Un jour ça parlera à quelqu’un, ou pas, mais il faut rester fidèle à soi-même.