Camille Pozzo di Borgo grave sur la matière comme un tigre avec ses griffes. Elle creuse de manière incisive, mais aussi avec délicatesse, comme une caresse. Élève aux Beaux-arts de Paris, c’est là qu’elle découvre la gravure, qu’elle pratique depuis 5 ans maintenant. En regardant de près ses gravures, on contemple une myriade de lignes qui s’entrecroisent et se chevauchent. Mais en reculant de quelques pas, on voit ces courbes dessiner le geste monumental d’un animal qui affronte son double. La langue tordue, les dents saillantes, les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte. L’artiste s’intéresse à la violence des animaux sauvages comme les lions, rhinocéros, tigres, charognards, gorilles et autres hominidés. Ils se querellent. En corps à corps, avec un geste tout aussi violent et monumental ; que fin et réaliste.
Spontanément, les combats animaux pourraient nous évoquer des scènes bruyantes, bestiales, sans pitié. Mais c’est un silence assourdissant qui règne face au combat. Cette contradiction qui est présente en suggère d’autres. Monumental mais fin. Violent mais sans blessures. Ils gémissent en silence. Ces oppositions qui touchent à l’oxymore laissent entrevoir une beauté dans l’animalité de ces combats.
Ses œuvres peuvent dénoter l’influence du peintre naturaliste américain Walton Ford qui représente des animaux exotiques sur des grands formats. Mais Camille Pozzo di Borgo ne cherche pas à tenir un message politique ou idéologique en représentant ces animaux. Elle veut saisir la beauté du geste. Un geste nu. Sans sens. La lutte entre les corps se fait alors avec un regard omniscient. Les corps sont représentés avec une objectivité et un réalisme cru. Cet aspect réaliste, presque scientifique pourrait nous évoquer les planches zoologiques ou les représentations animales des livres d’anatomie comparée.
Mais si l’artiste s’intéresse à cette violence, il n’en résulte pas moins une esthétisation de la lutte. La colère de ces animaux est imprégnée de couleurs rose, orange, bleue ; qui subliment l’acte barbare. Les animaux sont majestueux, grands, nobles. Et si leurs corps ne présentent pas de blessures, la représentation de l’intériorité du corps sonne comme la préfiguration de leur future décomposition.
À travers la violence, l’artiste parvient à sublimer l’acte. Car c’est leur gestuelle même, leur mouvement qui la fascine; et non leur histoire ou leur identité. Justement, le fond blanc implique que le combat se trame sans contexte. Il n’y a pas de cause à leur violence, ni de narration. C’est l’instant qui la passionne. Le point de bascule. Ce moment où la bestialité des corps se déploie de manière crue et sans raison. Cette violence primitive, sans cause, pourrait faire écho à la violence de l’homme dans ses instincts primaires qu’il essaie de contrôler.
Mais paradoxalement, les animaux se battent sans pouvoir vraiment entrer en contact, ni se toucher. Les corps se mêlent par transparence, se superposent les uns aux autres. Parfois, l’artiste semble jouer avec notre regard, le perdre dans les surimpressions des corps incapables de s’affronter. Les couleurs permettent de discerner les corps qui se superposent. Mais dans les gravures en noir et blanc, les contours se dissipent, comme dans les gravures ci-dessus. Les corps s’estompent, et forment alors une créature hybride, comme une chimère.
Les chimères étaient des espèces de monstres imaginaires constitués de plusieurs parties d’animaux, souvent présentés dans les cabinets de curiosités au XVIIe siècle. Ces êtres participaient au fantasme d’un ailleurs imaginaire et improbable. Camille s’inspire de cet imaginaire monstrueux pour jouer avec les formes, regarder l’animal comme un motif, la trame d’un rythme. Dans ce combat ou ce duel, au lieu de s’entrechoquer, les animaux se mêlent. Le duel devient duo, presque une danse. Jeux de couleurs et de rythmes. Forme hybride et fantasmée. Cette superposition des corps, violente, ouvre finalement à la beauté d’une rencontre colorée.