L’univers de Camilla Pongiglione, née à Toronto mais ayant vécu en Italie et travaillant aujourd’hui à Paris, est teinté d’onirisme et rempli de poésie. Après avoir étudié l’architecture et photographié les espaces mornes de la banlieue, elle commence à dessiner des cœurs. Lié à son histoire personnelle et à sa famille, l’organe devient le thème central de ses photographies et de ses dessins, toujours en noir et blanc, et toujours très sensibles.
C’est juste avant l’ouverture de son exposition « Perceptions singulières » avec trois autres photographes à la Galerie Sit Down que nous avons rencontré Camilla Pongiglione. Souriante et pétillante, elle nous a présenté son parcours et son travail.
B!B!: Qu’avez-vous fait avant de vous intéresser à la photographie?
Camilla Pongiglione: C’est une passion qui est née assez tôt et qui s’est révélée pendant mes études à l’université d’architecture. J’ai commencé à étudier à Gênes où j’ai grandi puis je suis venue en Erasmus en 2003 à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville, où j’ai choisi une option photographie. Il y avait un professeur qui nous permettait d’accéder à la chambre noire et de faire nos développements nous-mêmes. Je me suis alors découvert une passion incroyable, passant plus de temps dans la chambre noire qu’à certains cours. La photographie m’intéressait déjà avant comme beaucoup de monde mais là je me suis dit « il y a un truc a faire ». C’est aussi à ce moment là que j’ai décidé que jamais de la vie je ne serais architecte. J’ai terminé l’université en Italie avec une thèse sur la photographie d’architecture. Comme cela s’est très bien passé, j’ai continué sur un doctorat et un DPEA en architecture et philosophie à l’École de La Villette. J’ai poursuivi ce mémoire en travaillant parallèlement dans une agence d’architecture. Il y a aussi le dessin. Le dessin c’est quelque chose que j’ai commencé à faire comme tous les enfants et que je n’ai jamais arrêté.
B!B!: Comment décririez-vous votre travail?
Camilla Pongiglione: Un grand bordel (rires). Il y a une vision assez subjective et intimiste. Ce ne sont pas des grands monuments que je photographie mais des histoires personnelles. Progressivement, c’est quelque chose qui s’est clarifié dans ma tête. Pour la série « For heart’s sake », c’est parti d’une histoire personnelle mais qui pourrait parler à tellement de monde finalement. C’est à la fois intime et universel.
B!B!: Avant d’être exposée à la Galerie Sit Down, aviez-vous déjà exposé?
Camilla Pongiglione: J’avais exposé au mois off de la photo à Paris-Photo en 2012 (une série liée à la périphérie parisienne). Mon travail a aussi été présenté dans l’exposition « Circulation(s) » au CentQuatre en début d’année 2015. Dans une galerie c’est la première fois. Je suis très honorée.
B!B!: Comment est venue l’idée de la série « For heart’s sake »?
Camilla Pongiglione: Je me consacrais davantage à la photographie de paysages lorsque mon père, il y a deux ans, qui est cardiologue et très passionné par son travail, a eu une crise cardiaque. Il a survécu mais c’est vrai qu’au début c’était compliqué pour moi car j’étais loin et c’était difficile de comprendre. Je n’imaginais pas vraiment l’impact que ça pouvait avoir sur notre vie. D’une manière totalement instinctive, j’ai commencé à dessiner des cœurs dans un petit cahier. Au début, sans m’apercevoir que c’était une série. Puis à un moment j’ai pris du recul et je me suis rendu compte qu’il y avait « un truc ». J’étais totalement obsédée de façon inconsciente. De plus, j’ai une tendance à l’oubli, je photographie mais je ne développe pas, me retrouvant avec des boites remplies de films oubliés, parce que j’attends de les développer moi même. Puis j’ai commencé à associer les images et ça marchait. C’était très obscur au début pour tout le monde. Mon copain me disait « tu fais comme David Lynch, tu largues ton public ». Je répondais « surtout pas ». Dans ma tête c’était clair.
B!B!: Dans les séries d’architecture, qu’est ce qui vous intéresse?
Camilla Pongiglione: Il y a quelque chose qui m’intéressait dans la banlieue parisienne pendant qu’on parlait du Grand Paris. Il y avait énormément d’intervenants et d’appels d’offres alors que quand on allait sur place, c’était comme un « oeil de cyclone » où tout est cristallisé, sans beaucoup de personnes. C’est ce calme apparent qui m’intriguait. On a la sensation que quelque chose doit arriver mais on ne sait pas où ça en est.
B!B!: Pourquoi le noir et blanc?
Camilla Pongiglione: J’ai toujours travaillé en noir et blanc parce que je pouvais le développer moi même. J’aime beaucoup la couleur aussi mais j’aime surtout la surprise du développement. Chaque partie du processus fait partie de l’histoire. J’utilise deux appareils, un Mamiya et un Holga, deux moyens formats. Ce sont comme des jouets, je m’amuse à en enlever des morceaux… Parfois je superpose les films.
B!B!: Comment préparez vous vos prises de vue?
Camilla Pongiglione: C’est souvent le hasard. Parfois ce sont des fulgurances, comme pour celle avec la superposition de la vue de ville et le cadre. J’ai fait poser ma grand-mère, une petite bonne femme de 90 ans, incroyable. En superposition, c’est Gênes vu d’avion. C’est lié à la famille, au départ, à la condition de beaucoup de gens de notre âge finalement qui partent de chez eux. Parfois je fais aussi des mises en scène mais c’est plus rare.
B!B!: Quelles sont vos références?
Camilla Pongiglione: J’ai eu l’énorme chance de rencontrer Arno Minkkinen, photographe d’origine finlandaise naturalisé américain. Lui ne travaille qu’avec le corps, il fait des autoportraits de nus dans la nature. Dit comme ça on s’imagine Tarzan alors que c’est d’une poésie et d’une finesse fantastique. J’ai été son assistante pendant des workshops en Toscane puis à New York et à la Villa Pérochon en 2009. J’apprécie son discours, son approche. Il dit que les photographies doivent être comme un poing dans l’estomac. Je suis très influencée aussi par les artistes qui travaillent en noir et blanc: Sarah Moon par exemple, Man Ray énormément et Le Caravage aussi.