Bruno Munari est né en 1907 et mort en 1988 à Milan. Il aura consacré sa vie artistique au design et à la création d’une œuvre protéiforme aussi bien qu’inclassable, évoluant entre dessin, peinture, sculpture et illustration. Ce qui fait le lien entre tous ces aspects, ce qui permet au spectateur de conserver un point fixe dans l’horizon artistique de Bruno Munari, c’est peut-être avant tout l’objet. Si l’on se rappelle la définition de l’objet, dans son acception la plus large – « tout ce qui se présente à la vue » – l’on ne sera guerre étonné de son utilisation dans le domaine artistique de Bruno Munari – domaine où toute réaction et tout échange entre l’observé et l’observant passe justement par la vue. De là vient ce jeu entrepris avec le mouvement et la lumière, afin de soumettre le regard à des expérimentations neuves. L’objet se décline alors de multiples manières et, par l’utilisation des formes géométriques qu’il promeut, fait entrer l’artiste dans ce que l’on a appelé « l’art concret ». Bruno Munari fonde dans les années 40 le Mouvement Art Concret (Movimento Arte Concreta) dans le but de créer une synthèse des arts et de montrer aux industriels qu’une convergence entre art et technique est possible.
Bruno Munari, Portrait ©
Bruno Munari, La Machine inutile Max Bill, 1933-1993, 80*40cm ©
Bruno Munari, Sculpture noire, 1951-1991, 32*40*24cm ©
« Peinture concrète et non abstraite parce que rien n’est plus concret, plus réel qu’une ligne, qu’une couleur, qu’une surface ». Ainsi s’annonce l’art concret dans les années 30 à Paris par la voix de Theo Van Doesburg. Bruno Munari, dix ans plus tard, en Italie, reprendra ce credo donné à la forme afin d’orienter sa production artistique vers une réflexion sur l’objet, son environnement et sa dimension. Tout le travail de design de l’artiste tend vers la recherche du lien entre un objet et son environnement le plus immédiat, par le biais de la lumière, des formes, des couleurs… L’objet acquiert ainsi une puissance certaine, ce qui lui fera dire un peu plus tard dans sa carrière et sur un mode humoristique : « Un giorno sono andato in una fabbrica di calze per vedere se mi potevano fare una lampada. – Noi non facciamo lampade, signore. – Vedrete che le farete. E così fu. » (Bruno Munari, à propos de la lampe Flakland : « Un jour je suis allé dans une entreprise fabriquant des bas pour demander s’ils pouvaient me faire une lampe. – Ici nous ne faisons pas de lampe Monsieur. – Vous verrez que vous allez en faire. Et ils en firent. ») Au-delà de la simple anecdote, cette citation montre combien l’objet-design prend une place fondamentale dans l’industrie italienne de l’époque et combien Munari en arrive à opérer une véritable révolution dans l’approche que les marchés se font de l’objet.
Bruno Munari, Lampe Falkland pour l’entreprise Danese ©
Bruno Munari, Design ©
« Il sogno dell’artista è communque quello di arrivare al Museo, mentre il sogno del designer è quello di arrivare ai mercati rionali »
« Le rêve de l’artiste est somme toute celui d’entrer au Musée, alors que le rêve du designer est d’entrer dans les marchés locaux. »
(Bruno Munari, Artista e designer, 1971)
Cette importance accordée à l’objet, à sa forme et à son environnement va déboucher sur une autre facette de l’activité prolixe de Bruno Munari qui, elle, l’amènera non plus dans les entreprises, mais bien dans les musées. Il s’agit de la réflexion de l’artiste sur les livres-objets. Qu’est-ce qu’un livre et quelle est son utilité? À travers ces questions, il cherche à démonter le mécanisme si finement rodé du livre pour transformer le paradigme du regard dans lequel il s’inscrit et donner lieu à une véritable création artistique. C’est ainsi que Bruno Munari commence en 1949 la série des « livres illisibles » (« libri illeggibili »). Les paroles y disparaissent et laissent place à un espace de créativité et d’inventivité. Cette réflexion sur le livre fait également le lien avec son travail d’illustrateur, en particulier pour enfants. Son travail éditorial aura, en effet, été intense tout au long de ces années et va de la simple illustration (par exemple des textes de Gianni Rodari) à la création de véritables livres-objets pour les enfants, dans un souci constant d’adaptation du medium à l’environnement auquel il est destiné. Autour du jeu, de l’illustration et des livres, se développe alors un véritable laboratoire didactique où l’inventivité de Bruno Munari n’aura de cesse de faire ses preuves. Cette créativité révolutionnaire de l’artiste sera mise au service, de nombreuses fois, de l’inversion des valeurs traditionnelles de notre société contemporaine : la ligne devient concrète, l’objet un art et le jeu un passe-temps tout à fait sérieux.
Bruno Munari, Les pré-livres, 12 petits livres, (10*10cm), dernière édition Corraini, Mantoue, 2011 ©
Bruno Munari, Les livres illisibles ©
« C’è sempre qualche vecchia signora che affronta i bambini facendo delle smorfie da far paura e dicendo delle stupidaggini con un linguaggio informale pieno di ciccì e di coccò e di piciupaciù. Di solito i bambini guardano con molta severità queste persone che sono invecchiate invano; non capiscono cosa vogliono e tornano ai loro giochi, giochi semplici e molto seri.»
«Il y a toujours une vieille femme qui aborde les enfants en faisant des grimaces à faire peur et en disant des anneries avec un langage informel rempli de ciccì et de coccò et de piciupaciù. En général les enfants regardent avec peu d’indulgence ces personnes qui ont vieilli en vain; ils ne comprennent pas ce qu’ils veulent et retournent à leurs jeux, des jeux simples et très sérieux. »
(Bruno Munari, Arte come mestiere, 1966)
Bruno Munari & Giovanni Belgrano, Editions Corraini ©
Bruno Munari chez les Editions Corraini et chez Les Trois Ourses.
L’exposition intitulée « Le sentiment des choses » au Plateau Frac Île de France prend actuellement pour point de départ le travail de Bruno Munari afin de présenter des démarches individuelles ou collectives qui, dans une sorte de défiance face à la notion d’oeuvre d’art comme objet fini et fétichisé, privilégient une relation subjective et fragmentaire à l’oeuvre.
« Le sentiment des choses«
Du 15 décembre 2011 au 26 février 2012
Plateau Frac Île de France
Place Hannah Arendt
Angle de la rue des Alouettes et de le rue Carducci
75019 Paris
Tel: 01 76 21 13 41
[email protected]
Entrée libre.