Né en 1977 en Pologne, Borys Makary vit et travaille à Cracovie. Après plusieurs diplômes (faculté des arts de la communication multimédia de Poznań, Académie des Beaux-Arts de Lodz), il apprend la photographie au Centre international de la photographie de New York. Il a exposé en Pologne et à l’étranger, notamment en France à Paris à la galerie Claude-Samuel ou à Lille à la Maison de la Photographie. Depuis 2012, il a reçu de nombreux prix internationaux, aux États-Unis et en Europe.
Sa série They were, est une suite de photographies, exposée lors de l’exposition FOTOFEVER au Louvre et Nue 1 à la galerie NUE à Paris. Elle est introduite par l’artiste de la façon suivante : « La série They were est une suite de négatifs, réalisés à la manière de Man Ray, sur lesquels ont été peints à la main des signes et nombres symbolisant le caractère la personne photographiée. Cette série, à la fois abstraite et surréaliste, fait appel à la numérologie et au symbolisme pour faire le portrait de ces femmes tout en les rapprochant du spectateur. L’utilisation de négatifs contribue à rendre ces portraits et leur souvenir irréels. En peignant sur ses œuvres, l’artiste se place dans une démarche de performance. Marquer ainsi chacun de ses sujets, leur donne une place unique. »
Cette allusion explicite au mouvement surréaliste, dès les premiers mots, apporte un éclairage intéressant à l’œuvre qui, lue sous cet angle, dévoile une toute autre profondeur. Quand on lui demande pourquoi cette référence, Borys Makary explique : « Man Ray a photographié des femmes. Il était connu pour les aimer et pour allier dans ses œuvres la recherche du surréalisme, de la mode et de la beauté plus traditionnelle. Photographier la femme était une sorte de jeu pour lui. La célèbre photo du Violon d’Ingres de 1924 peut être interprétée comme un hommage à l’idéal de beauté académique. Le violon peint par Man Ray directement sur le corps du modèle témoigne du fait qu’elle est le plus bel instrument dont on peut jouer. Les surréalistes aimaient les femmes, luttaient pour leur égalité, mais étaient également fascinés par les transgressions de genre. »
Man Ray (1890-1976) est un photographe surréaliste New-yorkais, considéré comme un maître de la lumière, dont les recherches ont notamment permis de rendre célèbres les procédés de surexposition ou de solarisation. En 1929, il était le portraitiste le plus couru de Paris, très apprécié des magazines de mode américains (Vogue, Vanity Fair).
Ancien assistant de Richard Warren, Borys Marakary a lui aussi été photographe de mode, ainsi habitué à la recherche esthétique qui fait du corps et notamment de la femme, un support de création. Le corps de la femme occupe une place prépondérante dans l’œuvre de l’artiste polonais. Un point commun revendiqué avec le mouvement surréaliste, dont l’ambivalence à ce sujet est intéressante à souligner. Ce courant artistique du XXème siècle a en effet été critiqué pour la place donnée à la femme, certes incroyablement abordée, mais plus souvent objet d’inspiration que créatrice elle-même.
André Breton avait beau écrire en 1944 dans Arcane 17, que le temps était venu « de faire valoir les idées de la femme aux dépens de celles de l’homme (…) », il semble que cette aspiration soit restée sans effet. L’exposition organisée au Musée Picasso de Malaga en 2018 a donc pris le parti de mettre en lumière les femmes artistes de ce mouvement, restées dans l’ombre malgré leur talent, surtout visibles comme muses ou comme amantes.
Témoignent de cette ambivalence magnifique et parfois gênante, le célèbre Violon d’Ingres de Man Ray (deux ouïes de violons dessinées directement sur la photo d’une femme nue), le tableau La philosophie dans le boudoir de René Magritte (qui représente avec humour et érotisme, une chemise avec des seins suspendue sur un cintre) ou encore le recueil de Paul Eluard intitulé Les Mains libres, dans lequel plusieurs dessins représentent cette femme-objet (dont celui de La Femme portative est un bel exemple).
« Je photographie ce que je ne désire pas peindre, et je peins ce que je ne peux pas photographier. » Man Ray
Dans sa série Borys Makary a décidé de ne pas choisir. Les numéros et les symboles géométriques, tracés à la main sur les photos, contribuent à les rendre elles et leur sujet, uniques, signées, marquées. « J’aime l’ambiguïté dans mes œuvres. Je ne veux pas qu’elles soient évidentes ». Dans They were, l’utilisation de chiffres et symboles, sans repères ni lexique pour le lecteur, dit quelque chose que l’artiste est seul à connaître (à considérer qu’il y ait vraiment une signification). Au-delà de ces marques qui les caractérisent, ces corps sont anonymes, voire déshumanisés.
L’artiste joue avec eux, presque avec humour. Il les retourne, les élargie, les plie, devenus ainsi de véritables sujets d’observation. Borys Makary a beau déclarer la femme comme centre de son œuvre, cette série sème le doute. Si certaines photos sont explicites, la majorité, sans marqueurs de genre, traite cette question de façon secondaire, ou équivoque. Les plans rapprochés, inversés, les effets miroirs contribuent à leur androgynéité. Ces corps parfois hybrides font un bel écho au surréalisme et son recours à l’inconscient, au rêve et à la métamorphose.
« L’identité sera convulsive ou ne sera pas. » Max Ernst
Le photographe polonais affirme que son travail est un « commentaire » du monde dans lequel il vit, et avec lequel il est souvent en désaccord, dans une démarche de quasi rébellion. Face à la censure du corps et alors que la violence lui paraît valorisée dans notre société, il s’interroge : « Quelque chose de proche et naturel pour nous est pourtant pratiquement immoral. Je ne cesse de me demander pourquoi le corps que je montre dans mes projets constitue un tel tabou pour de nombreux spectateurs. »
En peignant à la main sur ses photos, Borys Makary y laisse ses commentaires et oriente notre regard, en nous mettant dans la confidence. Avec ces annotations et coupes presque scientifiques, la nudité en est presque oubliée, fondue derrière un travail académique, anatomique, qui mesure, annote et analyse le sujet, devenu énigme mathématique. Contrastant avec l’atmosphère irréelle de la série, ces marques comme des cicatrices, rationalisent. Cette œuvre dans l’œuvre est intéressante en ce qu’elle permet un dialogue entre la photo et les tracés, le corps devenant ainsi support de création.
« J’aime les calculs faux car ils donnent des résultats plus justes. » Jean Arp
Tracés sur les corps, les symboles presque astrologiques rappellent des constellations, thématique également abordée par les surréalistes (notamment par Joan Miro avec Codes et constellations dans l’amour d’une femme, Constellation d’étoiles du matin, ou la suite de poèmes intitulée Constellations d’André Breton) tout comme l’utilisation de la numérologie, employée notamment par l’écrivain surréaliste Benjamin Péret (1899-1959).
Quand on essaye de les déchiffrer les symboles utilisés par Borys Makary dans sa série renvoient souvent à la maternité (un sablier dessiné sur le pubis, utilisation du chiffre 3 pouvant signifier la création, l’enfant ; le 6 la famille). Un choix qui peut interpeler et être pourquoi pas mis en perspective avec l’utilisation du passé. L’artiste a en effet intitulé son œuvre Ils·elles étaient (They were en anglais). En proposant ses commentaires sur des photos en négatif, Borys Makary donne l’impression qu’il les sort de l’ombre.
Cette série ambivalente fait un hommage composite aux partis pris du XXème siècle, qui ont représenté le corps fragmenté (Anne Messager), hybridé (Max Ernst), défiguré (Jean Dubuffet), parfois mutilé (Gina Pane) ou déguisé (Cindy Sherman), avec cette référence constante et parfois critique au corps féminin. Simplistes ou complexes, les figures commentées de Borys Makary trouvent ici un nouveau regard et ouvrent le débat sur la place qu’occupent la femme et son corps dans l’art et dans notre société.