La vidéaste et photographe Bénédicte Hébert est née en 1967. Elle vit et travaille à Paris. Sa série « ça me regarde » repose sur l’idée géniale d’immortaliser des rencontres entre visiteurs de musées et œuvres exposées. Intemporelles, mystérieuses tout en restant extrêmement concrètes, ses superpositions entraînent notre esprit dans la visite d’une galerie de portraits bien particuliers.
Alors que le photographe allemand Thomas Struth choisit de photographier des visiteurs face à un tableau que l’on ne voit pas, Bénédicte Hébert nous propose des portraits de toile, avec un premier plan énigmatique: un ou plusieurs visiteurs de dos. La question, comme c’est le cas chez Thomas Struth, n’est pas de deviner quelle toile est regardée, mais plutôt de comprendre qui est ce visiteur et à quoi il pense. Pour rendre cet exercice encore plus jouissif, la photographe joue avec ses personnages et ses œuvres. Elle amplifie les effets graphiques de leurs interactions en captant de brefs instants qui ne laissent rien au hasard et où similitudes et différences de postures, d’attitudes, de matières provoquent des réactions chimiques puissantes. Alors, entrez, et bienvenue dans ce musée des musées où visiteurs et œuvres ne forment plus qu’un. Face à ces clichés comme face aux toiles du MoMA ou du Louvre, vous pourriez bien passer des heures.
Ça me regarde, 2009 © Bénédicte Hébert
Ça me regarde, 2009 © Bénédicte Hébert
Ça me regarde, 2009 © Bénédicte Hébert
Ça me regarde, 2009 © Bénédicte Hébert
Les partis pris de Bénédicte Hébert (masquer le visage du visiteur, le présenter de dos, face au tableau) sont autant de guet-apens visuels dans lesquels vous aimerez peut-être vous laisser prendre. Ils vous inviteront à imaginer ce qui passe par la tête de ces hommes ou de ces femmes inconnus. Est-il en pleine réflexion? Peut-être s’en fout-elle? A-t-il profité de cette porte ouverte par la toile pour s’évader?
On sent également souvent ces visiteurs perdus. Perdus devant une toile trop abstraite. Perdus dans les détails et cherchant leur chemin dans les coups de pinceau. Perdus dans le brouhaha du musée et ses flopées de visiteurs. Non pas à la recherche de sens mais à la recherche d’une autre œuvre, d’une autre galerie ou des toilettes?
Les cadrages de Bénédicte Hébert soulignent d’ailleurs cette impression tant on a le sentiment que les toiles sont gigantesques et les visiteurs petits, écrasés par les motifs, réduits par les échelles. Serait-ce une métaphore pour montrer notre modeste condition face au talent des artistes ou encore, pour accentuer le fossé qui nous sépare de la pensée du peintre et de sa raison de créer?
Ça me regarde, 2009 © Bénédicte Hébert
Ça me regarde, 2009 © Bénédicte Hébert
Ça me regarde, 2009 © Bénédicte Hébert
Mais si en les photographiant de dos, l’artiste prive certains visiteurs de vie, certaines peintures, elles, deviennent bien vivantes. On a l’impression que les personnages peints regardent les visiteurs, leur parlent. Ainsi, les demoiselles d’Avignon paraissent offusquées d’avoir été interrompues dans leurs préparatifs par cet homme. Mona Lisa semble réellement observer la foule compacte qui se précipite pour l’admirer. Autant d’hypothèses et d’histoires que vous ne pourrez jamais valider. Et là encore les choix de cadrage de l’artiste y sont pour beaucoup et on imagine également qu’avant d’avoir capturé ces instants de magie l’artiste a du se poster des heures dans les salles… en attendant le moment idéal.
Ça me regarde, 2009 © Bénédicte Hébert
Ça me regarde, 2009 © Bénédicte Hébert
Dans ce jeu de « je te regarde, tu me regardes », les motifs et les couleurs s’entrechoquent également. Et ce n’est sûrement pas pour rien que l’artiste choisit de nous montrer des duels entre « regardeurs » et « regardés » souvent très hauts en couleur. Que ressent-on alors? Une sensation d’improbabilité? L’impression que ces toiles révèlent les défauts de leurs spectateurs? Il est vrai que les carreaux d’une chemise rustique s’accordent bien mal avec les carrés pop de Piet Mondrian et que sans ces carreaux, peut-être n’aurions-nous rien remarqué. À l’inverse, l’harmonie est parfois de mise: teintes et formes se superposent pour même se confondre comme dans ce portrait de femme au gilet dont les motifs viennent compléter à la perfection une grande toile abstraite.
Ça me regarde, 2009 © Bénédicte Hébert
Ça me regarde, 2009 © Bénédicte Hébert
Ça me regarde, 2009 © Bénédicte Hébert
Ça me regarde, 2009 © Bénédicte Hébert
Ça me regarde, 2009 © Bénédicte Hébert
Ça me regarde, 2009 © Bénédicte Hébert
Inspiré? Étonné? Après cette visite, ne pensez pas forcément au guide mais plutôt à vous poster devant les toiles lors de votre prochaine sortie au musée. Patientez, observez et laissez les autres visiteurs venir se positionner devant vous. Il ne vous restera plus qu’à jouer au jeu si singulier de Bénédicte Hébert. Un jeu où l’inanimé semble plus vivant que l’animé et où des dessins et des peintures semblent donner vie à ceux qui les regardent.
Dommage (ou tant mieux), les œuvres de Bénédicte Hébert sont « livrées » sans cartel, mais après l’exposition « ça me regarde » à la Galerie Christophe Gaillard, un livre du même titre a été édité en 2009 aux éditions NOUS. Il met en regard les œuvres de l’artiste avec des textes de Benoît Casas et Yann Ricordel. Le site de Bénédicte Hébert vous permettra de découvrir l’intégralité des clichés de cette série ainsi que ses autres projets.