Un entretien Boum!Bang!
Andrés Lozano est un artiste français également connu sous le pseudonyme de Loz. Ses travaux se trouvent aux croisements de différents domaines de création tels que la photographie, les arts plastiques, l’art en ligne. Créateur du site Provisoire, il encourage également le partage et le travail on-line et collaboratif en concevant le Logz, un système distribué en copyleft et permettant la création de site web.
Un autre pan de son travail est la réalisation d’images par la manipulation de leurs composants premiers, les pixels. Rappelant parfois le pointillisme et piochant des références au sein de l’Histoire de l’art, ces photographies résultant d’algorithmes se révèlent dans une esthétique et un visuel aussi complexes que poétiques. Dans une explosion de pixels et d’arabesques, corps et éléments naturels sont poussés vers l’abstraction et appellent avec récurrence à une réflexion sur le devenir de l’image à l’heure de sa dématérialisation.
B!B!: Pour commencer, peux-tu expliquer ton parcours artistique aux lecteurs de Boum! Bang!?
Andrés: Dans la première moitié des années 80 j’ai touché à l’informatique, j’ai été analyste programmeur en entreprise, je me suis initié aux algorithmes, au Basic, au Cobol puis j’ai quitté ce travail pour suivre des études artistiques.
Durant la seconde moitié des années 80 j’ai porté un grand intérêt aux techniques de reproduction mécaniques et j’ai créé d’innombrables images en remixant des photographies avec des photocopieurs (noir et blanc et couleur) ainsi que des ordinateurs, je reprenais à mon compte l’idée que l’image a perdu son aura (théorie de W.Benjamin) et qu’il fallait chercher dans les processus de production-reproduction mécaniques et de numérisation, les fondements d’une esthétique nouvelle. Cette époque correspond à mes études aux beaux arts et aux arts plastiques de Strasbourg.
Dans les années 90 mon intérêt pour l’art digital s’est accru avec l’émergence d’internet. Internet a représenté une brèche inespérée pour la reconnaissance de nouvelles formes d’art et de diffusion, la culture s’est profondément transformée, elle s’est diversifiée, mondialisée. La technologie est devenu un passage obligé. Désormais tout le monde se sert des ordinateurs et d’internet.
Pendant ces années 90 j’ai rejoins le collectif d’artistes qui animait le Centre Rhénan d’Art contemporain d’Alsace (C.R.A.C) et avec eux j’ai participé à de nombreuses expositions en France, en Suisse et en Allemagne. Puis fin des années 90 je me suis inscrit dans la mouvance du net-art, du digital art.
À l’aube de l’an 2000 j’ai découvert la scène « numérique » ce qui m’a amené à participer à de nombreux projets artistiques qui m’ont permis de montrer mon travail en ligne ainsi que dans un nombre considérables d’institutions (MoMA, Musée d’art moderne de la ville de Paris, Palais de Tokyo) et aussi dans le monde entier dans le cadre de festivals, d’invitations ou de résidences (Arménie, Uruguay, Suède, Suisse) pour ne citer que ceux qui m’ont marqué.
B!B!: Comment décrirais-tu ton univers créatif? Où trouves-tu ton inspiration?
Andrés: Au fil du temps mon inspiration s’est recentré sur ce qui me semble essentiel. Par conséquent, à l’heure actuelle, mon inspiration trouve sa source dans seulement 8 bits c’est à dire 256 agencements de 0 et de 1 soit 2^8 combinaisons, chaque byte (8 bits) est agencé à son tour avec d’autres autres bytes créant encore davantage de combinaisons etc. Ensuite je rend visible ces combinaisons sous la forme de pixels formant des motifs complexes que j’enregistre en images bitmap (png). Pour résumer je m’inspire des algorithmes binaires pour créer un visuel binaire et en grande partie abstrait.
B!B!: Comment se passe la réalisation d’une image? Quelles en sont les différentes étapes?
Andrés: Il y a deux grandes étapes:
1/ La recherche d’algorithmes et leur traduction dans les divers langages de programmation que j’emploie.
2/ La réalisation des images sur divers supports, leur présentation et la mise en scène. Avec l’ère digitale il me semble plus que jamais possible de sortir des espaces d’exposition institutionnels et traditionnels, du circuit de l’art contemporain et du conservatisme qui y règne. Tout devient possible, intervenir dans l’espace urbain, la fabrication d’objets, la diffusion de masse etc.
B!B!: Avec quel matériel travailles-tu? Quels logiciels?
Andrés: Je mets un point d’honneur à cultiver une entière autonomie au niveau matériel et logiciel, je peux créer mes œuvres sur n’importe quel matériel car j’écris mes propres logiciels avec divers langages de programmation (généralement multi-plateforme), ainsi qu’avec des appareils de tous les âges et de toutes les configurations car je connais les langages et les pratiques de programmation les plus anciennes.
Pour ce qui est de la réalisation des impressions j’apprécie les tirages photographiques et l’impression numérique selon les besoins. J’ai aussi très envie de travailler avec la matière et les imprimantes 3D.
B!B!: Au début tu travaillais le portrait de manière plutôt exclusive. Comment en es-tu venu à diversifier tes thèmes?
Andrés: Au départ je concevais mal de ne produire que des impressions de pixels, des motifs, des agencements de formes abstraites, cela me semblait trop rudimentaire, donc je cherchais des thèmes et une iconographie propre à traduire l’univers des ordinateurs d’antan. Je cherchais à combiner les pixels, avec des figures qui pourraient adoucir les images en basse résolution (très pixelisées avec des effets de dither/tramage archaïques [bayer, atkinson]). D’autre part je trouvais que la tension entre des figures d’une grande sensualité et les effets de pixel-mosaïque créait un visuel très original. J’ai abandonné ce type d’image parce que le sujet, les figures et la sensualité qui s’en dégageait retenait beaucoup trop l’attention des spectateurs, par conséquent les mosaïques de pixel passaient au second plan voire n’étaient même pas perçues, ce qui est inacceptable pour moi.
Bien qu’il m’arrive encore de travailler avec des figures, comme par exemple dans les images qui re-code les reproductions d’œuvres d’art du patrimoine culturel, j’évite les photographies personnelles.
B!B!: Parle nous de ta dernière série CyberBotanique. Que révèle cette rencontre entre le végétal et le digital? Comment cette idée a-t-elle germée?
Andrés: Paradoxalement je n’oppose pas la nature à la technologie, la nature est une immense «usine» qui produit, transforme et convertit la matière en énergie et vice versa, il n’y a ni morale, ni sens du bien, ni sens du mal dans la nature, la nature exprime son potentiel de création tout comme la technologie. Il y a quelque chose de très primitif, de mécanique propre au végétal et au cybernétique qui m’intéresse, une « arborescence », des algorithmes, des géométries très proches. C’est avec cette intuition que j’ai créé cette série.
B!B!: Comment imagines-tu ce que sera l’image numérique dans 10 ans?
Andrés: L’image numérique n’existe plus, elle appartient au passé, l’image numérique de demain sera une image analogique par d’autres moyens, comme par exemple Instagram. L’image va devenir un simulacre de l’image du passé, un simulacre de simulacre. Déjà on annonce la mort du pixel et l’avènement de nouvelles technologies vectorielles, par conséquent les images du futur seront de plus en plus perçue comme des artefacts visuels que comme des trames de points numériques.
B!B!: Parle nous de ton site, the-work-of-art-in-the-age-of-mechanical-reproduction?
Andrés: Le nom de domaine du site est le titre du petit livre de Walter Benjamin, c’est une manière de lui rendre hommage mais aussi de revendiquer sa philosophie et son influence historique. Autrement c’est une manière de rebaptiser tout art sur internet comme un «art mécanique et un art de la copie», une manière aussi de désacraliser l’auteur, le culte de l’original et de l’unique, de ruiner l’aura qui subsiste encore dans l’art contemporain, le nom du site est précisément une invitation à voir dans cette perte de l’aura, la possibilité d’un art démystifié, dé-idéalisé, prosaïque, un art vivant sous le signe d’une esthétique agissante.
B!B!: Quels sont tes projets? Ton actualité?
Andrés: J’ai été commissionné cet hiver par le C.N.C pour travailler à la création d’une œuvre-essai à partir de l’œuvre digitale de Chris Marker, c’est un gros projet et il devrait m’occuper la plus grande partie de mon temps libre, cela aboutira à une exposition, un livre et peut être un film.
B!B!: Les chroniqueurs de Boum! Bang! ont pour habitude de terminer leurs interviews par une sélection de questions librement adaptées du questionnaire de Proust. En voici quelques unes:
B!B!: Ta fleur préférée?
Andrés: La digitale.
B!B!: Un artiste avec lequel tu aimerais collaborer?
Andrés: Gerhard Richter.
B!B!: Ton plus ancien souvenir de photographie?
Andrés: La première fois que j’ai regardé à travers le viseur de l’appareil photo de mon père j’ai été marqué par l’odeur de métal se mêlant à cette odeur très particulière de pellicule photographique.
B!B!: Un lieu dans lequel tu aimerais exposer?
Andrés: Sur la face cachée de la lune (The dark side of the moon).
B!B!: Ton premier ordinateur?
Andrés: Un apple IIc (1984).
B!B!: Une personnalité que tu aurais aimé photographier?
Andrés: Walter Benjamin.
B!B!: Ta ville préférée?
Andrés: Madrid.
B!B!: Le métier que tu voulais exercer étant enfant?
Andrés: Artiste.
B!B!: Enfin, si je te dis Boum! Bang! tu me dis?
Andrés: Apocalypse now.
Andrés Lozano vit et travaille à Metz.