Ce qu’il y a de plus beau dans un dessin, c’est sans doute l’espace vide qui entoure le motif. La surface de la feuille fait surgir le dessin comme un miracle, un concentré d’art et d’application. Isolés dans le temps et dans l’espace, les quelques traits sont sublimés, comme posés sur un coussin de velours rouge, à la manière du feu d’artifice qui n’est beau que quand il éclate dans la nuit noire.
Aline Robin s’installe sur la feuille, blanche, brune ou grise, et laisse courir sur le papier ses inspirations, ses leitmotivs. Les animaux reviennent régulièrement hanter ses œuvres, au fil des années. Il y a quelque chose de sauvage chez cette artiste qu’on imagine ébouriffée, dans une forêt, un gibier entre les dents, le sang dégoulinant sur la feuille de papier. Sauvage, mais belle et parfois fragile, parfois tremblante, parfois froide, parfois chaude. De la couleur au noir et blanc, il n’y a qu’un pas, et le roux d’un automne vient teinter la blancheur d’un hiver aux branches mortes; la chaleur d’un cheval peint en orange s’oppose à un rapace glacial, fait de lignes noires acérées qui saisissent la page blanche et la prennent en otage.
Ainsi c’est souvent la vie qui inspire Aline Robin, sous toutes ses formes. Les animaux tiennent une place de choix dans son imaginaire sauvage. La série des Grands Fauves présente des gueules de guépard grandes ouvertes, menaçantes, les dents acérées prêtes à s’enfoncer dans la chair d’un cou tendre, sans pitié. Pourtant, cette agressivité est figée et semble déjà en train de disparaître puisque certains dessins sont inachevés, ou plutôt sont en train d’émerger de la feuille blanche, comme un accouchement lent qui est continué par l’imagination du spectateur. Et les fauves n’en sont que plus saisissants. Sur certains dessins, les gueules se multiplient comme si un enfant s’était amusé avec un tampon: c’est le signe d’une émotion esthétique qui revient, comme une vague, comme un souvenir, une obsession.
Autre forme de vie non moins cruelle, la série des Gueules Cassées a le goût amer des choses qui ne s’adouciront jamais, des horreurs inscrites dans de sinistres manuels d’Histoire, des victimes et des bourreaux. Sobrement dessinées, sans couleur, les Gueules Cassées se transforment petit à petit en inspirations et en modèles sous le crayon d’Aline Robin. Eloignant le motif de tout contexte et de toute histoire, l’artiste trace les traits de visages étranges, marqués non plus par un massacre mais se faisant les traces de rêves tristes, hallucinations grises d’une déformation de la normalité. En dessinant ainsi un sujet aussi fort, Aline Robin montre sa pudeur; ses Gueules Cassées sont noyées dans un brouillard qui les anoblit et en fait des muses enfumées. Cette artiste a la délicatesse du silence après le tintamarre… Cette série de dessins est un chef-d’œuvre d’humanité.
S’éloignant de l’Histoire et se rapprochant d’un univers Pop et acidulé, la série Zoo montre un univers plus proche du cirque que des tranchées ou de la jungle sauvage. L’artiste apprivoise les animaux pour n’en garder que l’aspect kitsch et cool. Elle propose une série amusante qui tranche nettement avec ses autres séries beaucoup plus graves. Les lions, les flamands roses et les grenouilles s’enchaînent et construisent des images agréables à l’œil et à l’esprit. Un grand sourire et un grand éclat de rire, voilà ce que propose Zoo, comme une grosse sucette, sans apport nutritionnel mais jolie et sucrée. En somme, Aline Robin est bel et bien un feu d’artifice: chargée de mille couleurs et inspirations, elle explose dans le ciel, pleine d’allégresse mais aussi pleine de fumée, de mystères et de mélancolie.