Si l’art animalier a traversé les époques en embrassant des valeurs allégoriques, figuratives ou encore décoratives, celui d’Alice Guyot s’affranchit de toute représentation traditionnelle. Dans sa série « Horse », l’artiste fonde sa propre mythologie autour de son animal de prédilection, le cheval. Sans toile de fond, elle bouleverse le rapport sujet/objet dans une relation esthétique plurielle – à travers la lumière, la forme et la matière – et finit par ramener l’animal à sa condition mortelle, au plus proche de l’homme.
Cavalière de concours hippiques, Alice Guyot forge sa démarche artistique sur ses « Passementeries », où elle ramène l’équidé à sa fonction première, comme véhicule de course. À la manière des harnachements de parades et de cérémonies religieuses, l’animal se costume en une apparence vouée à refléter le paraître de son maître. Crinières multicolores, accessoires décoratifs et nattes en abondance ornent têtes et queues dans la série « La Parade ». Un excès d’artifices qui confère aux chevaux une dimension onirique, presque fantastique, venant contraster avec un noir caravagiste puissant, présent dans la quasi-totalité de ses photographies.
Soutenu par une prise de vue frontale, le cheval, immobile, se transpose à un statut d’objet de décoration. À la fois magnifié et « désanimalisé », l’ambiguïté atteint son paroxysme dans les fragmentations de corps chevalins. Simplement suggéré, l’animal n’est visible que par morceaux se jouant de variations de lumières qui subliment densité, contraste et sens des poils. La vision déstructurée des corps – qui rappelle sans ambages la technique d’Annette Messager dans « Mes Vœux » (1989) – crée un désir d’image qui se nourrit du manque. La perception du cheval entier évoque, par son absence, une présence physique quasi-sculpturale d’où naissent formes monolithiques et paysages bosselés. Le triptyque « Monumenta » en est l’aboutissement.
Dans cette logique de fragmentation, Alice Guyot puise les ressources nécessaires pour concéder à son « partenaire-animal » une postérité dérangeante. Ses photo-collages ne se confinent plus seulement au cheval; l’artiste dépèce corps d’équidés, membres de gibiers, castre leur tête. Elle constitue un bestiaire irréel, assemblé parfois en un simili de peaux de bête tannée. Ce clin d’œil aux racines solognotes de l’artiste semble être une dernière vénération à l’animal de chasse, où persévère la tension entre sujet et objet, vivant et inerte, animal et trophée.