Agnès Hostache aime raconter des histoires.
Des histoires qui prennent vie autant par les mots que par les images, puisqu’écriture et dessin fonctionnent comme deux pratiques complémentaires pour l’autrice-illustratrice, au point de former un couple indivisible. Toutefois, il ne faut pas s’y méprendre.
Agnès Hostache se définit comme une personne observatrice, secrète et pudique. Aussi, ses récits ne sont pas les siens. Ce sont les récits d’autres, d’inconnus qui se livrent à elle, d’objets qui se présentent à elle, révélés depuis le point de vue particulier, attentif et curieux qu’elle porte sur eux. Tel un metteur en scène, Agnès Hostache règle son objectif, à travers lequel elle perçoit, angle et cadre subjectivement notre foyer, « chez lui, chez elle, chez eux ». Il s’agit d’« une manière de regarder les choses, confie-t-elle. Comment deux personnes voient une même chose, mais de manière totalement différente et comment chacun s’imagine sa propre histoire depuis les symboles et indices laissés. » Que les habitants soient présents ou absents, on se représente leur vie, on suppose leurs traits de caractères, leurs hobbies… Depuis un champ donné, on improvise avec grand plaisir le hors-champ, en secret, face à une intimité dévoilée.
Diplômée en arts appliqués, architecte d’intérieur de formation, c’est tout naturellement que l’autrice-illustratrice conçoit et organise des intérieurs domestiques, pour créer des univers aux formes simples, légères et colorées.
Les espaces sont coupés, soit par effet de gros plan soit par effet de décalage ou de décentrage. Par exemple, lorsque le regard se fixe sur un entre-deux – c’est-à-dire sur le point-frontière qui à la fois sépare et relie deux superficies et nous donne à voir deux espaces en un seul –, ou lorsque le regard choisit de se projeter depuis un axe spécifique accentué, à l’exemple des effets de plongée.
Les lignes horizontales et verticales se rencontrent ou se croisent, dans une inspiration parfois cubiste, pourrait-on dire. Les formes et motifs se superposent de façon ludique, comme un collage ou puzzle, entre composition, décomposition et recomposition visuelle. Les volumes sont prégnants, mais jouent entre impression de profondeur et de surface. La page ou la toile rythmée affirme en même temps sa planéité et son statisme.
Les dessins aplanis frappent par leur fixité, tel un arrêt sur image. L’action est figée dans le temps suspendu, le temps ample et dilaté, qui, de ce fait, autorise le déploiement de l’histoire. L’œil se focalise alors sur des détails qui ne le sont pas. Les moments de pause/pose, d’absence, ces moments où ils ne se passent « rien », sont mis en lumière. L’objet devient sujet et l’arrière-plan traditionnel passe au premier plan.
La réalité quotidienne se veut tangible, mais non ciselée mimétiquement. Ces petites scènes journalières qui mettent en valeur nos objets prosaïques les plus familiers sont reconnaissables par tous. Elles évoquent immédiatement un vécu. Chacun peut facilement s’y projeter en tant qu’acteur. Potentiellement réitérables à l’infini, elles sont cependant multiples et multipliées pour mieux rompre la monotonie. Les effets d’emboîtement des volumes, les nuances et variations sont ainsi employés pour « déformer la réalité » et « tricher avec l’espace », indique Agnès Hostache. Un procédé divertissant pour la dessinatrice, qui permet, qui plus est, de laisser place libre à l’invention et à l’évasion. Dès lors, la représentation est continue et la création intérieure perpétuelle.