À l’occasion du passage à la nouvelle année, je vous propose un petit panorama des œuvres majeures qui ont été réalisées lors de la 12ème année de ces cinq derniers siècles, et dont ce sera l’anniversaire en 2012. Au programme : des toiles du Titien, de Géricault, Goya ou encore Magritte et Duchamp.
Il y a 500 ans…
…soit exactement un demi millénaire, le peintre italien Tiziano Vecelli dit Le Titien, alors âgé d’une vingtaine d’années, achevait la composition des Trois âges de l’homme, l’une de ses toiles les plus célèbres. En 1512, le Titien se trouve à Venise. Il y est arrivé très jeune, à 9 ans, en compagnie de son frère, et travaille dans l’atelier de Giovanni Bellini, le peintre le plus en vue à Venise. Il fait aussi la connaissance d’un autre grand peintre, Giorgione, qui devient son fidèle ami jusqu’à sa mort en 1510. Il se consacre dans un premier temps à l’achèvement des différentes toiles de son ami. Deux ans plus tard, dans Les trois âges de l’homme, Le Titien développe une vision cyclique de l’homme, héritée de l’Antiquité, dans un langage pictural témoignant d’une grande maturité et habileté malgré cette œuvre de jeunesse. Dans une composition savamment orchestrée, il présente à gauche la jeunesse sous les traits d’un couple galamment assis sous une verdure printanière, un jeune homme et une jeune femme se regardant l’un l’autre dans une tension érotique latente (vêtements tombant négligemment, virilité du corps masculin, posture de la jeune femme, symbole de la flute et de l’action qui en découle, proximité de corps…), à droite, symétriquement, trois angelots grassouillets à la nudité chaste protègent leur pureté et évitent les regards, tandis qu’à l’arrière-plan, sous un ciel bleu nuit et à l’ombre d’un arbre cette fois sur le déclin, un vieil homme regarde deux crânes, memento mori symboles de la finitude de l’homme. Un sujet d’une grande modernité montrant les peurs et désirs à différents âges de la vie dans un tableau saisissant de finesse et de mise en scène. Il sera l’une des pièces qui inspirera le plus les peintres au XVIème siècle.
© Artemisia Gentileschi, Judith décapitant Holopherne, huile sur toile, 159 x 125 cm (1612) – Museo di Capodimonte (Italie).
Il y a 400 ans…
…, la peintre italienne Artemisia Gentileschi réalisait l’une des toiles les plus saisissantes du mouvement baroque : Judith décapitant Holopherne. Il s’agit de la toile la plus célèbre de cette femme peintre, grande originalité pour l’époque. En effet, remarquablement douée, aujourd’hui considérée comme l’un des premiers peintres baroques et l’un des plus accomplis, Artemisia Gentileschi s’impose par son art à une époque où les femmes peintres ne sont pas facilement acceptées. Elle est également la première femme à peindre l’histoire et la religion à une époque où ces thèmes héroïques sont considérés comme l’apanage du masculin. Dans cette toile, la jeune peintre, alors âgée de moins de vingt ans, propose une vision terrifiante et spectaculaire de cette scène biblique, tirée de l’Ancien Testament, en accentuant la tension dramatique de la mise en scène, dans la lignée esthétique du Caravage. L’obscurité et la violence vis à vis du masculin présentes dans cette scène d’assassinat du mari, ainsi que dans ses œuvres postérieurs, ont souvent été rapprochées d’un épisode traumatisant de sa vie, intervenu quelques mois plus tôt. À 19 ans, alors que l’accès à l’enseignement des Beaux-Arts, exclusivement masculin, lui est interdit, elle est en effet violée par son précepteur privé, le peintre Agostino Tassi. Celui-ci lui promet d’abord de l’épouser afin de sauver sa réputation, mais il ne tient pas sa promesse et le père d’Artemisia porte l’affaire devant le tribunal papal. L’instruction, qui dure sept mois, permet de découvrir que Tassi avait formé le projet d’assassiner son épouse. Pendant le procès, Artemisia est soumise à un humiliant examen gynécologique et à la question, afin de vérifier la véracité de ses dires. Elle résistera à la torture et maintiendra ses accusations. Tassi sera condamné à un an de prison et à l’exil des États pontificaux. Dans Judith décapitant Holopherne, Artemisia se distingue non seulement par la tension physique qui émane de la toile, mais aussi par le traitement de la lumière, de l’expressivité des visages et par l’écoulement des humeurs sanguines sur la pureté du drap blanc. La violence et le naturalisme de la scène s’inscrivent directement dans la lignée de la Judith décapitant Holopherne du Caravage. La tête d’Holopherne sous le pinceau d’Artemisia pourrait ainsi être vu aussi comme un parricide : décapiter la figure tutélaire du Caravage en reprenant l’une de ses toiles pour mieux s’en affranchir.
© Giuseppe Maria Crespi, Le Baptême, huile sur toile, 127 x 95 cm (1712) – Dresde (Allemagne).
© Giuseppe Maria Crespi, L’Ordination, huile sur toile, 127 x 95 cm (1712) – Dresde (Allemagne).
Il y a 300 ans…
…, Giuseppe Maria Crespi, peintre baroque tardif de l’école de Bologne, réalisait une série de tableaux intitulée Les Sept Sacrements. Cette œuvre imposante présente un langage pictural témoignant d’une sobre piété, avec une palette de couleurs réduites, un peu comme certains tableaux de Gustave Courbet, et sous une lumière minimale. Refusant le symbolisme hiératique de la peinture baroque religieuse, Giuseppe Crespi recours de façon tout à fait originale à des lieux communs du folklore afin d’illustrer les rituels sacramentels, témoignant notamment en cela de son goût pour les univers domestiques. Il se rapproche plus en cela des peintres flamands ou d’Europe du Nord, s’intéressant tout particulièrement à la vie quotidienne et aux activités domestiques (tel Johannes Vermeer).
© Théodore Géricault, Officier de chasseurs à cheval de la garde impériale chargeant (ou Le Chasseur de la garde), huile sur toile, 349 x 266 cm (1812) – Musée du Louvre, Paris (France).
Il y a 200 ans…
…, en 1812, en pleines campagnes militaires victorieuses de l’Empereur Napoléon Ier (qui vient de triompher de l’Espagne et de l’Autriche), Théodore Géricault peint à l’âge de 21 ans seulement son Officier de chasseurs à cheval de la garde impériale chargeant. Ce portrait équestre d’un officier du régiment de chasseurs à cheval de la Garde impériale fait remarquer le jeune peintre lors du Salon de 1812. Reprenant le motif du cheval cabré, il propose une réinterprétation du Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard de Jacques-Louis David, l’un des premiers portraits officiels du premier consul réalisé dix ans plus tôt. En effet, il introduit comme objet du portrait équestre d’apparat un officier totalement inconnu et anonyme, dans un geste pictural radicalement provocateur. Les torsions des corps, les lignes courbes de la coiffe et de l’épée de l’officier ou des jambes du cheval, donnent un effet de mouvement au tableau, en opposition à l’esthétique néoclassique, constituant l’une des premières manifestations du romantisme dans la peinture française. Le tableau a été réalisé en cinq semaines seulement.
© Henri Matisse, Le Rifain assis, huile sur toile, 200 x 160 cm (1912) – Barnes Foundation, Merion (États-Unis).
Il y a 100 ans…
…, Henri Matisse peignait Le Rifain assis lors de l’un de ses voyages au Maroc (le « Rifain » étant un habitant du Rif marocain). Après un séjour en Russie, il s’y installe en 1912, notamment sur les conseils de Gertrude Stein. En pleine crise d’inspiration, les voyages au Maroc l’aidèrent alors, selon lui, « à reprendre contact avec la nature mieux que ne le permettait l’application d’une théorie vivante mais quelque peu limitée comme l’était le Fauvisme ». Il réalise alors, en 1912, une série de toile à Tanger, dont les couleurs fauvistes se trouvent dynamisées par un éclat nouveau, celui de la douce lumière marocaine. Les couleurs se font plus raffinées, les compositions plus apaisées.
© Marcel Duchamp, Nu descendant un escalier, huile sur toile, 146 x 89 cm (1912) – Philadelphia Museum of Art, Philadelphie (États-Unis).
…, Marcel Duchamp peignait, lui aussi, à la veille de la Première Guerre mondiale, son Nu descendant un escalier à l’âge de 25 ans. Cette libre réinterprétation du « nu » académique fait scandale aux Etats-Unis, lors de son exposition à l’Armory Show de New York en 1913. Il assure néanmoins la célébrité du peintre et marque le début de l’art moderne aux États-Unis. Sur cette toile, le « nu » académique laisse place au « nu » artistique : s’il reste très difficile de discerner précisément le corps et ses singularités physiques, le mouvement qu’il présente est lui-même l’objet d’un travail complexe et nouveau, visant à rendre par un jeu de prismes juxtaposés et sans profondeur la décomposition de ce mouvement de descente. Il s’inspire notamment des travaux de la chronophotographie réalisés à partir de la fin du XIXème siècle, comme ceux d’Étienne-Jules Marey, qui permettent de décomposer des séquences précises d’un même mouvement, et donc de proposer une étude visuelle et scientifique de l’anatomie humaine. Par cette esthétique s’inscrivant dans les débuts du cubisme et du futurisme, annonciatrice de l’art cinétique, Marcel Duchamp reprend une posture topique de la peinture pour mieux en réinventer le langage et montrer la mécanisation technique du monde et des corps à l’œuvre dans la société de l’après révolution industrielle.
© Pietr Mondrian, L’Arbre gris, huile sur toile, 78,5 x 107,5 cm (1912) – Gemeentemuseum, La Haye (Pays-Bas).
…, Pietr Mondrian composait L’Arbre gris, s’inscrivant lui aussi dans les premières recherches cubistes. La palette chromatique est réduite au minimum, le premier plan et l’arrière-plan semblent se confondre dans une sorte d’aplatissement généralisé de la peinture. La forme ovale de l’arbre renvoie aux travaux de Picasso, Braque et Mondrian. La représentation de l’arbre, figure topique de l’art romantique, expressionniste ou moderniste, est ainsi profondément remaniée au profit d’un style radicalement novateur et avant-gardiste.