Il y a quelques semaines était lancée dans le métro parisien la campagne publicitaire d’une nouvelle exposition. En quatre mètres par trois, un toast luisant qu’un stick façon UHU est en train de recouvrir de beurre. Passé cet étrange petit-déjeuner, le vrai repas commence avec « Le bord des mondes », une exploration de l’univers d’hommes et de femmes dont le travail oscille entre art avec un grand « a » et art avec un petit « a » au Palais de Tokyo.

Kenji Kawakami
Kenji Kawakami, Beurre en stick. Courtesy Jean-Christophe Lecoq.

Première salle, premier monde. Tout commence par de fragiles empilements faits de briques, de pierres et de parpaings. Au milieu de ces sculptures improbables, une femme discute avec des visiteurs. C’est elle la faiseuse de miracles qui arrive à faire tenir ces blocs les uns sur les autres et veille à ce que lorsqu’un empilement s’effondre un autre naisse. Elle, c’est Bridget Polk, l’une des inventeurs atypiques sélectionnés par la commissaire Rebecca Lamarche Vadel. Dans le cadre de ce projet original, une trentaine d’inclassables présentent en effet leurs recherches et leurs productions et nous font naviguer entre stylisme, science, cuisine et jeu. Devant chaque proposition, une question surgit: « Est-ce de l’art? »

Quelques pas plus tard. Tout aussi poétiques et sensibles, les larmes passées au microscope de Rose-Lynn Fisher. Ses « vues aériennes de terrains émotionnels », comme elle les baptise, rappellent en effet des photos prises depuis l’espace et montrant des territoires inconnus dont la topographie pourrait être influencée par des sentiments.

Bridget Polk
Vue de l’exposition « Le Bord des Mondes », Palais de Tokyo, 2015. Photo: André Morin. Bridget Polk, Balancing rocks, 2015 © Courtesy de Bridget Polk

Un virage, on frôle l’art et on touche au génie avec les vêtements aux volumes exubérants de la hollandaise Iris Van Herpen. Faits de résine, de métal ou de Plexiglas, suspendus dans les airs, ils deviennent de véritables sculptures qu’on a envie de voir porter.

Restons dans les prouesses aériennes avec les « créatures de plage » de Theo Jansen et les « pièges à brume » du physicien Carlos Espinosa. Alors que les premières sont des sortes de machines gracieuses en matériaux de recup’ animées par le vent, les secondes sont de curieuses structures permettant de capturer l’eau dans les nuages pour irriguer des lieux arides où rien ne pousse. Sorties de leurs contextes, il pourrait aussi bien s’agir de sculptures aux accents exotiques ou minimalistes. Là encore, question.

Juste à côté, une salle plongée dans le noir vous invite à vous approcher d’une sorte de vivarium sur-éclairé. Tomás Saraceno, argentin déjà très réputé pour ses installations spectaculaires y a enfermé successivement plusieurs espèces d’araignée différentes dont les toiles se sont juxtaposées pour créer une seule et même structure complexe. Une belle métaphore sur l’humain et sa capacité à habiter des lieux, à les réhabiliter et à s’y adapter.

Iris van Herpen
Vue de l’exposition « Le Bord des Mondes », Palais de Tokyo, 2015. Photo: André Morin. Iris van Herpen, de gauche à droite : Micro, 2012; Voltage, 2013; Biopiracy, 2014; Capriole, 2011; Widerness Embodied, 2013; Voltage, 2013. Courtesy de Iris van Herpen
la S.A.P.E.
Vue de l’exposition « Le Bord des Mondes » – salle consacrée à la S.A.P.E, Palais de Tokyo, 2015. Photo: André Morin
Carlos Espinosa
Vue de l’exposition « Le Bord des Mondes », Palais de Tokyo, 2015. Photo: André Morin. Carlos Espinosa, Atrapanieblas Macrodiamante 781025, 2014, Courtesy de Carlos Espinosa.
Theo Jansen
Vue de l’exposition « Le Bord des Mondes », Palais de Tokyo, 2015. Photo: André Morin. Theo Jansen, Animaris Umerus, 2010. Courtesy de l’artiste. ADAGP, Paris 2015
Jerry Gretzinger
Vue de l’exposition « Le Bord des Mondes », Palais de Tokyo, 2015. Photo: André Morin. Jerry Gretzinger, Jerry’s Map, 1963-2014, Courtesy de Jerry Gretzinger
Charlie Le Mingu
Vue de l’exposition « Le Bord des Mondes » – espace consacré à Charlie Le Mingu, Palais de Tokyo, 2015. Photo: André Morin

Mais revenons-en à notre tube de beurre. Il fait partie du millier d’objets hybrides complètement barrés mis au point par Kenji Kawakami. Stores pour lunettes, parapluies pour chaussures, tenue pour transformer un bébé en attrape-poussière, chacune de ses inventions flirte avec l’absurde sans pour autant être dénuée de sens. Une vingtaine est présentée ici et donne à s’interroger sur les dérives de notre société consommatrice de gadgets en tout genre, mais surtout consommatrice de ressources gaspillées au profit de modes et de lubies.

Après ce voyage où vous croiserez d’autres talents, vous aurez certainement votre propre avis sur la question initiale ainsi qu’une envie, redécoller et découvrir d’autres membres de cette tribu sans nom et sans frontière. Alors, dommage d’avoir un Palais de plus de 20 000 mètres carré et d’en n’avoir utilisé qu’une petite partie pour cette exposition grisante, amusante, intrigante… Vous vous consolerez rapidement avec les autres expositions du moment et notamment la très intéressante rétrospective consacrée à Takis, sculpteur grecque prolifique, maître des champs magnétiques et des installations haute tension.

Kenji Kawakami
Vue de l’exposition « Le Bord des Mondes » – espace consacré à Kenji Kawakami, Palais de Tokyo, 2015. Photo: André Morin

« Le bord des mondes » et « Champs magnétiques » jusqu’au 17 mai 2015 au Palais de Tokyo – 13, avenue du Président Wilson – Paris 16ème.
Ouvert de midi à minuit, tous les jours, sauf le mardi.