Un entretien Boum! Bang!

C’est en découvrant les arrachages de l’artiste Jacques Villeglé que Catherine Lupis Thomas a trouvé sa voix. Dix ans après ses premiers collages, elle mixe aujourd’hui photographies personnelles, aplats de peinture et morceaux d’images. Pour Boum! Bang!, elle recolle les souvenirs de son parcours et nous fait entrer dans son univers.

B!B!: Catherine, comment est née ta passion pour le collage?

Catherine Lupis Thomas: Tout a commencé en 2001. Après pas mal de voyages en Europe et de visites de musées, je me suis découvert une passion pour les Dadas mais aussi pour Jacques Villeglé. Il m’a ému car ses oeuvres réalisées à partir d’affiches me faisaient penser à des superpositions de restes d’affiches que j’ai vu sur des baraques en tôle ondulée dans mon enfance. J’ai moi-même commencé à déchirer des magazines et des journaux, sans sens, suivie par cette envie de ne pas perdre des images que j’aimais. Après avoir recouvert des objets, j’ai eu envie d’essayer ce mixage d’images sur du plat, des petits formats au départ. J’en ai créé plein mais je les cachais car je n’étais pas contente du résultat et surtout être jugée me faisait peur. Au fil des années, je me suis affirmée. Huit de mes créations ont été achetées simultanément par un homme que je ne connaissais pas sur un salon. Il est devenu comme un mécène et m’a donné un espoir. S’il n’avait pas été là, j’aurais sûrement fait autre chose.

Catherine Lupis Thomas
© Catherine Lupis Thomas
Catherine Lupis Thomas
© Catherine Lupis Thomas

B!B!: D’où viennent les images que tu utilises?

Catherine Lupis Thomas: Elles viennent d’arrachages dans des rues, un peu partout dans le monde, mais aussi de magazines. C’est une activité qui ne me quitte pas. Je suis une voleuse d’images, qu’il s’agisse de déchirer la page d’une revue dans une salle d’attente ou d’acheter un magazine à 10 euros juste parce qu’il contient une image qui me plaît.

B!B!: Comment les classes-tu?

Catherine Lupis Thomas: Je ne classe rien. Je sais que je les ai, c’est tout.  Mes images sont rangées dans des boîtes. Quand j’en cherche une en particulier, il me faut du temps pour remettre la main dessus. Mais cela me plaît de faire comme ça car pendant cette recherche je vais croiser d’autres images et petit à petit des idées d’associations vont naître dans mon esprit.

B!B!: Transformes-tu les images avant de les utiliser?

Catherine Lupis Thomas: Les images qui composent mes œuvres sont brutes car je souhaite suivre ce principe de récupération. J’aime aussi cette idée, qui me vient de mes grands-parents, qu’on peut toujours faire quelque chose avec ce qu’on a sous la main. En plus, les images me séduisent pour ce qu’elles sont, pas pour ce que je pourrais en faire. Quand j’utilise une image d’un magazine des années 60, je n’ai pas envie de perdre le grain du papier et les effets de son vieillissement, ni d’altérer ses couleurs qui peut-être n’existent plus. Donc, pas de reproduction, pas de transformation.

Catherine Lupis Thomas
© Catherine Lupis Thomas

B!B!: Peux-tu nous parler des différents supports que tu utilises?

Catherine Lupis Thomas: J’ai débuté par des petits formats car au départ, je n’arrivais pas à remplir l’espace. Ensuite, une expérience en entraîne une autre. C’est par exemple un premier essai de collage sous verre ayant mal tourné qui m’a donné envie d’essayer de travailler avec du Plexi. Dans tous les cas, je cherche à être à la fois dans la spontanéité mais également à être la plus précise possible dans le positionnement des éléments afin que ce que j’ai en tête soit restitué fidèlement sur le support. Et aujourd’hui, en travaillant à partir de mes propres photographies et en les mélangeant avec de la peinture et des images, j’ai l’impression d’avoir franchi un cap. Le vide ne me fait plus peur.

B!B!: Ton travail est-il articulé autour d’histoires, de séries ou de thèmes particuliers?

Catherine Lupis Thomas: Je ne cherche pas à créer des séries ou une histoire. L’image, elle, me mène à une histoire, qui grandit au fur et à mesure que s’enrichit ma composition avec d’autres images. Beaucoup de mes œuvres ont par contre débuté par une image représentant une femme, son visage ou juste son regard. À partir de cette image, je me suis interrogée et j’essaye de vous faire vous interroger sur l’image de la femme dans notre société, la manière dont son corps est utilisé. Dans mes œuvres, je la transforme. J’en fais une femme que j’imagine libre de faire ce qu’elle veut. Cette femme me représente en quelque sorte, c’est un peu moi ou ma mère. Dans mes travaux plus récents, il se dégage également un autre thème, c’est l’urbain, la rue, la rue comme lieu de liberté d’expression, le lieu de toutes les libertés. Mon art est une sorte de street art à ma manière. Ma démarche n’a rien à voir avec le street art mais ce qui nous lie avec les artistes de ce mouvement c’est notre passion commune pour le milieu urbain que j’utilise et intègre de plus en plus à mes créations.

Catherine Lupis Thomas
© Catherine Lupis Thomas
Catherine Lupis Thomas
© Catherine Lupis Thomas
Catherine Lupis Thomas
© Catherine Lupis Thomas

B!B!: Quel regard portes-tu sur ton travail aujourd’hui?

Catherine Lupis Thomas: Mon travail a beaucoup évolué. Après dix années de tâtonnement, d’expérimentation, de recherche, j’ai décidé de suivre une nouvelle méthode. Tout commence par des photographies personnelles de rues ou d’architectures. Je sélectionne la photo qui m’inspire et je crée ensuite une composition dans laquelle j’ajoute des collages et de la peinture. Là-dedans, j’ai l’impression d’avoir trouvé mon langage et la meilleure façon d’exprimer ma vision de la vie. Ce principe me permet de détourner un lieu avec humour. J’y ajoute d’autres éléments pour surprendre et offrir l’opportunité d’une réflexion positive sur notre environnement. Le tout, avec beaucoup de liberté et de dérision. Tout est au troisième degré, sans douleur et sans agressivité.

 B!B!: Qu’est-ce que tout cela t’apporte?

Catherine Lupis Thomas: Quand je crée, je ressens beaucoup d’émotions. Tomber nez à nez avec une image qui me plaît dans un magazine me donne l’impression d’être une scientifique qui viendrait de faire une grande découverte. Ensuite, la découpe me fait vibrer. Et puis, il y a ce plaisir de créer quelque chose de nouveau à partir de ces images, de donner naissance à une certaine forme de beauté à partir d’une autre forme de beauté.

Catherine Lupis Thomas
© Catherine Lupis Thomas
Catherine Lupis Thomas
© Catherine Lupis Thomas

B!B!: Et qu’est-ce que tout cela apporte aux personnes qui regardent ton travail?

Catherine Lupis Thomas: Ils aiment ma lumière et ma gaieté. C’est ça que j’ai envie de transmettre: un œil optimiste sur des rues standardisées, des rues dans lesquelles nous ne sommes plus libres, où on nous impose des signes, où l’on nous dirige tout droit vers des marques. Dans mon univers, je fais abstraction de tout ça. Mon regard est sain, débarrassé de tout ce qui est mercantile et superflu. Et les gens apprécient cette sorte de retour aux bases.

B!B!: Quels artistes t’inspirent?

Catherine Lupis Thomas: Helmut Newton, pour sa vision des femmes. Son regard était juste. C’était, selon moi, la bonne façon de montrer des femmes. Aujourd’hui, je me sens totalement déconnectée de la manière dont on utilise le corps de la femme pour vendre, je respecte trop la femme pour accepter ça. Helmut Newton, malgré ses nus, ne m’a jamais choquée. Je sens un respect inouï chez lui. J’aime aussi beaucoup Marcel Raysse. Ce qui me touche dans ses odalisques, c‘est la modernité de son œil et ses associations de couleurs.

Catherine Lupis Thomas
© Catherine Lupis Thomas
Catherine Lupis Thomas
© Catherine Lupis Thomas
Catherine Lupis Thomas
© Catherine Lupis Thomas

B!B!: C’est une habitude, une interview Boum! Bang! termine toujours pas un portrait inspiré par le questionnaire de Proust. Première question:  si tu étais un type de papier, lequel serais-tu?

Catherine Lupis Thomas: Le papier journal.

B!B!: Si tu étais un journal ou un magazine, lequel serais-tu?

Catherine Lupis Thomas: Le magazine Jardin des Modes.

B!B!: Si tu étais un livre, lequel serais-tu?

Catherine Lupis Thomas: « L’abandonnée » de Ivan Sergueïevitch Tourgueniev.

B!B!: Si tu étais une image ou une photographie célèbre, laquelle serais-tu?

Catherine Lupis Thomas: Marilyn Monroe au dessus de la grille d’aération… tellement touchant et provoquant à la fois.

B!B!: Si tu étais une matière collante, laquelle serais-tu?

Catherine Lupis Thomas: Un chewing-gum

B !B !: Si tu étais une typographie, laquelle serais-tu?

Catherine Lupis Thomas: American Typewritter

B !B !: Si tu étais un tube, lequel serais-tu?

Catherine Lupis Thomas: « Sugar baby love » des Rubettes.

B!B!: Est-ce que tu te froisses facilement?

Catherine Lupis Thomas: Non.

B!B!: Est-ce que tu es souvent déchirée?

Catherine Lupis Thomas: Oui.

B!B!: Quel mot ou quelle phrase te résume le mieux?

Catherine Lupis Thomas: Tourne ta langue 3 fois, 10 fois ou 15 fois dans ta bouche avant de parler.

B!B!: Les femmes sont très présentes dans ton œuvre. Quelle femme célèbre aurais-tu voulu rencontrer?

Catherine Lupis Thomas: Katharine Hepburn.

B!B!: Beaucoup d’époques s’entrechoquent dans tes collages. À quelle époque aurais-tu voulu vivre?

Catherine Lupis Thomas: L’époque napoléonienne.

B!B!: Une partie du corps que tu aimes particulièrement coller sur tes toiles?

Catherine Lupis Thomas: Les jambes.

B!B!: Et pour conclure, si je te dis Boum! Bang!, tu me réponds?

Catherine Lupis Thomas: Bing!

Catherine Lupis Thomas
© Catherine Lupis Thomas