Il est des artistes dont nous avons parfois du mal à esquisser les contours. Des artistes dont il est difficile de cerner l’œuvre tant ils ou elles multiplient les sujets, les supports et les références.

L’univers de Valérie Belin, photographe née à Boulogne-Billancourt en 1964 et travaillant aujourd’hui à Paris, semble plus simple à appréhender, plus familier; et pourtant…

En effet, si sa photographie est figurative, concrète, précise et si ses clichés sont organisés en séries, quantifiés, presque classés, tout y est cependant question d’ambiguïté, de flou et de mystère. En parcourant ses travaux on se rend rapidement à l’évidence: Valérie Belin aime nous entraîner dans un voyage sans frontière entre réel et imaginaire, entre vivant et inanimé, entre original et copie. Un voyage dont on ne sort pas indemne, tant il y est question du corps, de l’âme et parfois de la douleur qu’on peut volontairement ou involontairement leur infliger.

À ce jeu du vrai ou faux, cette artiste excelle. Tout dans l’œuvre de Valérie Belin est un appel à se glisser dans la peau d’un détective et à poser une loupe sur ses images. Sa parfaite connaissance des techniques photographiques lui permet de manipuler avec précision la réalité, de nous montrer ce qu’elle veut exactement comme elle le veut. Aucune place n’est accordée au hasard. Ses formats spectaculaires ne nous laissent pas non plus de choix: la concentration, l’observation, la confrontation, le face à face sont obligatoires. Ils éveillent en nous une sorte de curiosité enfantine ou malsaine qui nous pousse à observer les détails de ses sujets comme si on épiait le faux-pas d’un collègue de bureau, ou qu’on ne pouvait s’empêcher de fixer le défaut physique d’un voisin de bus. La netteté de ses photographies nous invite à une observation minutieuse, quasi scientifique à la recherche d’une faille révélant la vraie nature de ses sujets. Ses mises en scène sans contexte sont elles aussi un pousse-au-crime: pas de décor, pas d’information, des fonds blancs ou noirs qui mettent encore plus en avant ses sujets et nous empêchent de détourner le regard ou de nous perdre dans un paysage. Telles sont les règles que l’artiste a définies. Alors, prêtez-vous au jeu. Essayez d’identifier la nature exacte des fruits contenus dans ses corbeilles. Que vous indiquent leur brillance suspecte et leur mise en place trop parfaite?

Observez la surface de ces masques de clowns dont la peau est tellement réaliste qu’ils ressemblent à des scalps, à la surface d’un visage prélevé à même le corps. Demandez-vous ce qu’il se passe dans la tête de ses mariées marocaines croulant sous les vêtements d’apparat et qui finissent par disparaître sous ces couches étouffantes de tissus brodés. Comparez ses sosies de Michael Jackson. Au premier regard, aviez-vous remarqué ce nez tordu, scotché puis couvert de maquillage? Cherchez ce qu’il reste d’authentique chez ses culturistes dont les muscles bombés prêts à imploser deviennent de véritables armures métallisées. Tentez de déceler la supercherie: les pores, les poils ou les éraflures qui sur les peaux révèleraient l’identité du sujet et vous permettraient de différencier un homme d’une femme, un mannequin de magasins d’un mannequin d’agence.

La différence entre ces hommes-objets et ces objets-humanisés est fine et dérangeante, ces êtres vivants à la plastique parfaite et ces êtres de plastique sont étonnamment proches.

Et en attendant la réponse, d’autres questions seront certainement venues jusqu’à vous: jusqu’où sommes-nous prêts à nous faire mal pour atteindre nos buts et nos fantasmes? Qu’est-ce que la beauté aujourd’hui? Pourquoi avons-nous tendance à nous imiter les uns les autres? Se déguise-t-on pour être vu ou pour se camoufler? Et nous reste-t-il quelques grammes de sens critique face aux avalanches d’images que l’on nous montre?

Dans tous les cas le vrai fait peur tant il semble faux, et le faux met mal à l’aise tant il semble vrai. Et s’il est un mot qui pourrait servir de fil rouge à tout le travail de Valérie Belin c’est peut-être le mot « faux-semblant » car derrière les apparences, le matériel, le fabriqué, ce que la photographe nous montre n’est qu’émotions. En bousculant nos sens, en les trompant, elle nous amène à sa manière à des réflexions beaucoup plus « immatérielles ».

Valérie Belin est représentée par la Galerie Jérôme de Noirmont. Sur le site de l’artiste vous pouvez consulter toutes ses séries de photos et découvrir ains tout son univers. Une très belle initiative.