« La beauté des formes et des gestes, la beauté naturelle des objets et des paysages, celles des créations artistiques et même scientifiques, ne doivent pas, en ce qui concerne leur effet de plaisir, être distinguées: la coupure établie ordinairement entre les différentes formes de beauté est idéologique et symptomatique d’un certain refoulement, ce qui n’est point étonnant car la beauté dérive du domaine sexuel. » Sarah Kofman, « L’enfance de l’Art ».

En ayant pris pour thème de ses nouvelles créations le passé sulfureux de la ville de Carouge, Nicolas Bernière ne s’est pas seulement donné pour objet un lieu n’existant que dans les limbes de l’histoire officielle (un objet mythique condamné à vivre sous le saut du refoulement), mais, plus encore, peut être, un lieu dont les qualités transgressives le forcèrent à faire de sa propre pratique artistique, et de la maîtrise qu’elle engage, le lieu d’un auto-sacrifice – ou, pour le dire mieux encore, un véritable rituel de purification.

Nicolas Bernière, 36 fillette © Nicolas Bernière, Fillette, encre sur papier, 15×21 cm, 2013
Nicolas Bernière, à l'étage© Nicolas Bernière, À l’étage, 41x31cm, encre sur papier, 2014
Nicolas Bernière, à l'étage © Nicolas Bernière, À l’étage, 20x30cm, encre sur papier, 2013
Nicolas Bernière, banjo© Nicolas Bernière, Banjo, 41x31cm, encre sur papier, 2014
Nicolas Bernière, cadillac© Nicolas Bernière, Cadillac, 15x21cm, encre sur papier, 2013
Nicolas Bernière, caravaning© Nicolas Bernière, Caravaning, 40x32cm, encre sur papier, 2014
Nicolas Bernière, corpus© Nicolas Bernière, Corpus, 41x31cm, encre sur papier, 2014
Nicolas Bernière, couple© Nicolas Bernière, Couple, 15x21cm, encre sur papier, 2013

Combinant, en effet, avec infiniment de délicatesse et de pudeur, le sens historique d’un archéologue passant sa vie à chiner les brocantes (ou les milles et uns recoins sombres d’internet) à la recherche de vieilles photographies, et les forces poétiques d’un alchimiste capable de faire ressortir de tout ce qu’il voit les quelques grammes d’or qu’un oeil non avertit ne saurait percevoir, les oeuvres de Nicolas Bernière possèdent cette qualité rare de n’être ni purement imaginatives, ni de simples reproductions.

« J’ai toujours aimé les vieilles photographies » déclare Nicolas Bernière. « Adolescent, déjà, je ramassais les photographies que je trouvais par terre. J’adorais le potentiel créatif que semblaient contenir les traces, salissures et autres oxydations provoquées par la vie du cliché. Le télescopage entre l’histoire que raconte l’image et celle du support, c’est cela, je crois, qui m’a toujours fasciné dans ces vestiges du passé. »

Or, n’est-ce pas précisément ce recouvrement progressif du passé par la violence du présent (ou bien serait-ce l’inverse?) qui donne aux oeuvres de Nicolas Bernière leur fragilité féconde; en même temps que l’indéniable force qui les emporte? Plongeant leurs spectateurs dans les coulisses de l’histoire (là où l’immonde affleure), elles les invitent, d’abord, à regarder en face l’image d’un monde devenu presque mythique (celui des bordels, des pin up, des saltimbanques ou des poètes illuminés) et à le faire – acte impie! – dans un lieu (l’espace « néo-sacré » d’une galerie) que rien ne destine, normalement, à un tel plaisir coupable.

Nicolas Bernière, hermaphrodite© Nicolas Bernière, Hermaphrodite, 15x21cm, encre sur papier, 2014
Nicolas Bernière, le regardeur© Nicolas Bernière, Le regardeur, 21x30cm, encre sur papier, 2014
Nicolas Bernière, les trois soeurs, 21x30cm, 2013© Nicolas Bernière, Les trois soeurs, 21x30cm, encre sur papier, 2013
Nicolas Bernière, les trois turques© Nicolas Bernière, Les trois turques, 41x31cm, encre sur papier, 2014
Nicolas Bernière, me myself and him 3, 21x30cm, 2014© Nicolas Bernière, Me myself and him, 21x30cm, encre sur papier, 2014
nicolas-berniere-20© Nicolas Bernière, Soul fire, 20x30cm, encre sur papier, 2013

Mais à cet acte « transgressif » montrant l’obscène, Nicolas Bernière en a ajouté un autre, infiniment plus poétique celui-là. Cet acte, qui pourrait passer pour déconstructeur, puisqu’il consiste à effacer partiellement le dessin original en le soumettant à divers « mauvais traitements », n’en est pas moins, aussi, infiniment créateur. Car c’est depuis les manques qui grèvent ses dessins, depuis les blessures infligées à leurs évidences (que ce soit l’évidence érotique des corps, ou l’évidence plus subtile des archétypes sociaux qui les hantent), que le plaisir paradoxal que peuvent y prendre ses spectateurs, s’élance.

Ce plaisir, qui né d’un manque, est le filtre esthétique – ou le voile – qui permet de rendre l’obscène visible et, par-là même, acceptable socialement. Parlant de cette « autre satisfaction » que s’efforcent de provoquer ses oeuvres, Nicolas Bernière affirme: « Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est en « détruisant » partiellement mes images que je le donne authentiquement à voir. Car ce n’est qu’en détruisant qu’on s’éloigne de l’anecdote et « du bien fait », et qu’on se donne la chance d’accéder à  « autre chose ». Et c’est cet « autre chose » que mes oeuvres donnent à voir. Cet autre chose qui est, pour le « regardeur », comme une catapulte pour son imagination. Le « regardeur » se projète d’autant mieux dans une toile qu’il doit lui-même la finir, avec sa mémoire, son vécu, son inconscient. Telle est la vérité sur laquelle roule mon art. »

Nicolas Bernière, minute papillon© Nicolas Bernière, Minute papillon, 44x54cm, encre sur papier, 2012
Nicolas Bernière, pinup black eyes© Nicolas Bernière, Pin-up black eyes, 70x50cm, encre sur papier, 2014
Nicolas Bernière, pinup prison© Nicolas Bernière, Pin-up prison, 50x70cm, encre sur papier, 2014
Nicolas Bernière, pinup quad© Nicolas Bernière, Pin-up quad, 44x64cm, encre sur papier, 2014
Nicolas Bernière, pinup scarlet© Nicolas Bernière, Pin-up scarlet, 50x65cm, encre sur papier,2014
Nicolas Bernière, pinup scarlet© Nicolas Bernière, Pin-up scarlet, 50x65cm, encre sur papier, 2014
Nicolas Bernière, trois graces© Nicolas Bernière, Trois graces, 44x54cm, encre sur papier, 2012
© Nicolas Bernière, western girls, 44x54cm, 2012© Nicolas Bernière, Western girls, 44x54cm, encre sur papier, 2012