Un entretien Boum! Bang!

Née en 1984, l’artiste suédoise Moa Karlberg vit et travaille à Stockholm. Elle partage son temps entre des missions de courte durée pour des magazines, journaux ou entreprises et ses projets personnels sur un temps plus long en Suède comme à l’étranger. Elle tient également de temps en temps des conférences sur le photojournalisme face à des étudiants. En 2010, elle remporte le 1er Prix de la Swedish Picture of the Year Award dans la catégorie « Portrait series » et, en 2012, le 1er Prix au même événement, dans la catégorie « Arts and Entertainment » cette fois-ci.

Alexander Mahmoud, Portrait© Alexander Mahmoud, Portrait

B!B!: Comment êtes-vous parvenue à la photographie et quel est votre parcours artistique?

Moa Karlberg: Je me suis intéressée à la photographie lorsque j’avais 15 ans. J’ai rejoint le club photo local et ai passé la plupart de mon temps libre dans la chambre noire. J’ai découvert la photographie documentaire quand j’ai commencé à travailler à la section des jeunes à Göteborgs-Posten. Puis je suis allée étudier le photojournalisme à Nordens Fotoskola (école nordique de photographie) à l’extérieur de Stockholm.

B!B!: Quelles sont vos influences?

Moa Karlberg: Issue d’un milieu photojournalistique traditionnel, je suis aujourd’hui plus inspirée par la photographie documentaire que je trouve plus proche de l’art puisqu’elle utilise souvent des idées conceptuelles pour raconter des histoires journalistiques. Les travaux de photographes que j’apprécie sont ceux de Tina Enghoff, de Taryn Simon ainsi que le livre « L’Autre » de Luc Delahaye. Je trouve également que « Purity » de David Magnusson et « Comfort Zone » de Tadao Cern sont des projets brillants.

B!B!: Comment décririez-vous votre travail?

Moa Karlberg: J’utilise toujours les moyens photojournalistiques classiques pour raconter une histoire mais, comme je l’ai dit, je suis aussi attirée par le fait de travailler davantage sur des idées conceptuelles par la suite. Je pense qu’il est intéressant de d’abord choisir un sujet et de savoir comment le visualiser, plutôt que de choisir quelque chose qui, à la base, pourrait être photogénique. Il est difficile de trouver complètement de nouveaux sujets, et je pense que nous devrions continuer à travailler sur les sujets importants existants, mais il faut tâcher de trouver de nouveaux moyens visuels.

B!B!: Vous faites de la photographie pour des journaux, des magazines et des compagnies. Votre travail est engagé, je pense notamment à vos séries « Garde-à-vous », « Colombia’s New Face » ou encore « Trafficking ». Êtes-vous totalement libre lorsque vous illustrez des sujets d’actualité?

Moa Karlberg: Je suis libre puisque c’est à moi de réaliser les projets que je veux faire – en tant que freelance, c’est ma propre responsabilité de les réaliser. Je reçois très rarement des missions pour de grands projets (j’aimerais en obtenir plus!). Il peut être difficile d’investir du temps et de l’argent dans des projets qui ne paient pas directement, mais ils paient souvent par le fait d’être lus sur différents supports durant une période plus longue. La plupart des séries sur mon site sont des projets auto initiés par mes soins, comme « Colombia’s New Face » et « Trafficking ». Ceux-là, je les ai fait sans assignation, et ils ont été vendus à des magazines par la suite. « Trafficking » était mon projet de fin d’études à Nordens Fotoskola. « Garde-à-vous » a commencé suite à une affectation pour prendre des portraits de la société française artistique Collectif Petit Travers, mais les portraits sur mon site ne sont pas ceux que l’entreprise a utilisé pour les images de presse. La société a choisi de prendre les portraits plus traditionnels que j’avais également pris. Mon travail quotidien s’effectue plus sur de courtes missions, comme des portraits et des histoires brèves, souvent au sein de Stockholm. Je tiens à avoir un mélange de projets courts et longs.

Moa Karlberg, Garde-à-vous© Moa Karlberg, Garde-à-vous, 2012
Moa Karlberg, Garde-à-vous© Moa Karlberg, Garde-à-vous, 2012
Moa Karlberg, Garde-à-vous© Moa Karlberg, Garde-à-vous, 2012
Moa Karlberg, Garde-à-vous© Moa Karlberg, Garde-à-vous, 2012
Moa Karlberg, Colombia’s New Face© Moa Karlberg, Colombia’s New Face, 2012
Moa Karlberg, Colombia’s New Face© Moa Karlberg, Colombia’s New Face, 2012
Moa Karlberg, Trafficking© Moa Karlberg, Trafficking, « Boras 2005: Une jeune fille de 17 ans est enlevée au Kosovo. Elle est vendue à plusieurs hommes en Suède, dans les villes de Gislaved, Tranemo et Kinna notamment. Son proxénète gagne sa vie grâce à elle depuis de nombreuses années et il a ramené en territoire suédois pas moins de 2000 personnes, en majorité des esclaves sexuels ainsi que des immigrants illégaux », 2006
© Moa Karlberg, Trafficking© Moa Karlberg, Trafficking, « Högdalen, Stockholm 2004: Une femme roumaine s’échappe d’une maison de prostitution installée dans un appartement. Nue, elle descend chez son voisin du dessous par le balcon du dixième étage », 2006
© Moa Karlberg, Trafficking© Moa Karlberg, Trafficking, « Racksta, Stockholm 2004: Deux hommes et une femme sont arrêtés et mis en garde à vue pour proxénétisme grave. Dans leur appartement, sept femmes polonaises ont été vendues comme prostituées. Ils ont été repérés par le biais d’Internet et ceux-ci prenaient 70% des revenus des femmes », 2006
Moa Karlberg, Trafficking© Moa Karlberg, Trafficking, « Bergsjön, Göteborg 2004: Deux jeunes filles, venues de Pologne, se sont vues promettre beaucoup d’argent pour le commerce du sexe à Göteborg. En moyenne, elles acceptent de sept à dix clients par nuit. Lorsque l’une d’elles tombe enceinte et avorte, l’autre est forcée d’accepter deux fois plus de clients. Le proxénète prend tout l’argent qu’elles gagnent », 2006
© Moa Karlberg, Trafficking© Moa Karlberg, Trafficking, « Södermalm, Stockholm 2002: Un homme gagne plus d’un million de couronnes suédoises en se servant d’au moins 20 femmes, en provenance d’Estonie, de Lituanie et de Russie, pour la prostitution. Deux de ces femmes affirment qu’elles ont été ramenées en Suède un certain nombre de fois, alors qu’elles essayaient de retourner dans leur pays d’origine », 2006
© Moa Karlberg, Trafficking© Moa Karlberg, Trafficking, « Norsborg, Stockholm 2005: Les clients des prostituées font la queue dans l’escalier et dans la rue devant l’appartement. Une altercation a lieu et la police découvre le bordel. Au cours des cinq semaines qui ont suivies, la police a été en mesure d’identifier les 510 clients », 2006

B!B!: Votre série « Brandy » me fait penser à « The Julie Project » de Darcy Padilla. Parlez-moi de ce photo documentaire. 

Moa Karlberg: Merci pour ce lien, je n’avais auparavant jamais vu le travail de Darcy Padilla que je trouve vraiment fort. Aujourd’hui, le projet sur ​​« Brandy » n’est pas aussi tragique. Il a commencé en 2004 quand je suis allée au Missouri pour un projet d’école. Je voulais suivre une jeune mère, puisque les lois sur l’avortement dans le Missouri sont très strictes et le nombre de mères adolescentes est beaucoup plus élevé là-bas qu’en Suède. Grâce à une infirmière, j’ai rencontré Brandy et elle m’a permis de rester avec elle pendant deux semaines. Nous sommes devenues amies et Brandy était une personne très ouverte à photographier. Ce projet signifie beaucoup pour moi car il est le premier que j’ai fait en étant près de quelqu’un en particulier. Je suis retournée la voir cinq ans plus tard, en 2009, puis à nouveau cette année. Brandy a quatre enfants et je n’en ai pas. Un grand nombre de circonstances dans sa vie sont liées au fait qu’elle est une citoyenne américaine. Nos vies sont totalement différentes, mais nous avons à peu près le même âge. J’espère que je pourrai retourner la voir à l’avenir.

Moa Karlberg, Brandy© Moa Karlberg, Brandy, 2014
Moa Karlberg, Brandy© Moa Karlberg, Brandy, 2009
Moa Karlberg, Brandy© Moa Karlberg, Brandy, 2004
Moa Karlberg, Brandy© Moa Karlberg, Brandy, 2014
Moa Karlberg, Brandy© Moa Karlberg, Brandy, 2014
Moa Karlberg, Brandy© Moa Karlberg, Brandy, 2004
Moa Karlberg, Brandy© Moa Karlberg, Brandy, 2014

B!B!: Parlez-moi de votre série « Watching you watch me ». Le but était-il de prendre des personnes – qui deviennent modèles sans le savoir – le plus naturellement possible?

Moa Karlberg: Cela a commencé par une curiosité au sujet de l’apparence que se donnent les gens dans un miroir. C’est un aspect que personne d’autre ne voit, et il est difficile de le capturer avec un appareil photo. Lorsque vous apportez un appareil photo dans une salle, les gens en sont conscients et modifient leur comportement. Je voulais voir les vraies expressions des personnes, en plaçant un miroir sans tain dans une vitrine. Dès lors, les gens qui marchent dans la rue ont vu leur propre reflet, mais ils ne savaient pas ici qu’un appareil photo se cachait derrière. Quand je prenais ces photos, j’avais l’impression de voler une part de leur intégrité. Cela m’a plus intéressé par les aspects juridiques du projet. Où et comment ai-je le droit de publier ce projet, et comment réagirait-on?

Moa Karlberg, Watching you watch me© Moa Karlberg, Watching you watch me, 2009
Moa Karlberg, Watching you watch me© Moa Karlberg, Watching you watch me, 2009
Moa Karlberg, Watching you watch me© Moa Karlberg, Watching you watch me, 2009
Moa Karlberg, Watching you watch me© Moa Karlberg, Watching you watch me, 2009
Moa Karlberg, Watching you watch me© Moa Karlberg, Watching you watch me, 2009

B!B!: Quels sont vos futurs projets?

Moa Karlberg: Je travaille lentement sur ​​un projet personnel, et je ne peux pas dire quand celui-ci sera terminé. Je suis également en train de réaliser un documentaire pour le magazine Re:public avec d’autres journalistes et photographes. Je suis éditrice de photos sur ce projet, donc mon travail est plus axé sur la recherche et la collaboration avec d’autres photographes.

B!B!: Donnez-moi votre vision du monde.

Moa Karlberg: Je me sens un peu faible aujourd’hui, car nous avons récemment eu les élections en Suède et l’aile droite, le parti populiste xénophobe, a récolté beaucoup trop de votes. Je souhaite que les gens soient moins égoïstes et pensent à notre avenir commun. Nous devons sauver l’environnement et aider les victimes du changement climatique et des conflits armés. Beaucoup de gens ne semblent pas se soucier de cela.

B!B!: Décrivez-moi une journée type.

Moa Karlberg: Je me lève plus tard que bon nombre d’employés, je vais à mon bureau que je partage avec un groupe de photographes et de designers impressionnants où je répands habituellement mon objectif sur beaucoup de choses en même temps – administration, photoshopping, le futur planning, tout en discutant avec mes collègues. Peut-être que je pars ensuite à la chasse d’un portrait attribué pour un auteur ou un acteur. Je rentre à la maison plus tard que la plupart des personnes ayant un emploi. J’ai habituellement un plan pour la soirée, comme aujourd’hui, je vais à un cours de danse.

B!B!: Que vous vient-il en tête si je vous dis « Boum! Bang! »?

Moa Karlberg: J’aime la façon dont vous prononcez cela en français. Je pense aussi à la chanson « Crash! Boom! Bang! » du groupe Roxette. C’étaient mes idoles quand j’avais 10 ans.