En 1983, Martin Szekely, designer français né en 1956, se fait connaître avec sa Chaise Longue Pi, une pièce d’auteur, témoignant d’une vraie signature formelle, ce qui aurait pu devenir le « style Szekely ».  Mais une quinzaine d’années plus tard, en 1996, Martin Szekely impose à son travail un credo nouveau : « Ne plus dessiner ». Formule éminemment paradoxale qui ruine le sens même du mot « design », dessin. « Ne plus dessiner », pour Martin Szekely, c’est mettre entre parenthèses le moi, la subjectivité du créateur. Finie la primauté de l’inspiration, de l’idée, mise en esquisse. Il s’agira désormais de partir des données objectives d’un objet : sa fonction (par exemple supporter, contenir) et les propriétés plastiques de son matériau (résistance au poids, rigidité… calculés par des bureaux d’études spécialisés). Alors, « la forme s’impose »,  selon les mots de Martin Szekely, la hauteur des cases d’une étagère est dictée par la taille des livres, l’espacement des pieds d’une table par le facteur de rigidité de son plateau. Le créateur ne joue plus aucun rôle, si ce n’est peut-être celui de chef d’orchestre.

« Mon intention se porte uniquement sur la raison d’être de l’objet : l’usage. Sans forcément exposer une signature, le talent de l’artisan, la joliesse d’un matériau ou d’un motif. L’objet apparaît dans ce qu’il a de plus sec. En éprouvant les états limites des matériaux et leur mise en œuvre, le dessin s’abolit de lui-même. Il en résulte une dimension esthétique hors de toute volonté. » Martin Szekely, Paris, 2011.

Le travail de Martin Szekely est exposé actuellement à la fois à la Galerie Kreo et au Centre Pompidou. L’occasion d’avoir un bon aperçu de ce « design sans dessin », selon deux parti-pris d’exposition différents.

Le Centre Pompidou propose une rétrospective très complète, de la mythique chaise longue Pi au génial bureau Heroic Carbon. L’exposition a fait le choix de traiter les meubles comme des sculptures, sacralisées par une présentation très épurée, en dialogue immédiat avec les chefs d’œuvre accrochés quelques mètres plus loin au 4e étage de Beaubourg.

Martin Szekely, Chaise longue Pi, acier et aluminium laqué, mousse, cuir, édition Galerie Néotu, 1983 ©
Martin Szekely, Bureau Heroic Carbon, fibres de carbone, h. 115 x 226 x 75 cm, édition Galerie Kreo, 2010 © Photo Fabrice Gousset
Martin Szekely, Etagère T5, des étagères, aluminium, Nextel, h. 259 x 344 x 46 cm, édition Galerie Kreo, 2004 © Photo Fabrice Gousset
Martin Szekely, Table d’appoint Stonewood One, pierre, acier, h. 50 x 66 x 50 cm, édition Galerie Kreo, 2005 © Photo Fabrice Gousset
Martin Szekely, Etagère Tino, aluminium, acier, Nextel, h. 120 x 173 x 43 cm, édition Galerie Kreo, 2009 © Photo Rossana Nencioni
Martin Szekely, des plats, verre, dimensions variables, Galerie Kreo, 1999-2000 © Photo Christoph Kicherer
Martin Szekely, Heroic Shelves, aluminium, nid d’abeilles, aluminium, h. 232,6 x 83,6 x 36,5 cm, édition Galerie Kreo, 2009 © Photo Fabrice Gousset

L’exposition rend également compte des réalisations de Martin Szekely pour des clients industriels : couverts pour Christofle, bijoux pour Hermès, panneaux d’affichage pour JCDecaux… Ce qui permet de se rendre compte que nous sommes plus familiers de Martin Szekely que nous le pensions : il est l’auteur des verres de bistrot Perrier et Heineken ; ou encore du Loveseat, fauteuil de cinéma pour deux, conçu pour les cinéma Mk2.

Martin Szekely, Verre Perrier, verre, 13,5 x 8,5 cm, Perrier,  agent Kreo, 1996 © Photo Alain Beulé
Martin Szekely, Fauteuil Loveseat, acier, contreplaqué et mousse moulée, 103 x 127,5 x 64, MK2, agent Kreo, 2003 © Photo HartlandVilla

La Galerie Kreo présente, elle, les toutes récentes « Units » : Unit Shelves et Unit Towers. Toutes deux basées sur le principe du module empilable et juxtaposable à volonté comme un jeu de construction. La référence à l’architecture est d’ailleurs très claire dans ces étagères que Martin Szekely définit comme des émanation du bâti, en l’occurence des murs immaculés du show room Kreo. Dans le cadre de la galerie, on peut toucher le matériau, un intriguant plâtre mat à ultra haute densité, doux comme de la porcelaine.

D’une manière générale, Martin Szekely utilise pour son mobilier des matériaux high-tech qui épargnent soudure, vis et collage, et privilégient le moulage (c’est le cas des Units ou de Bing One, un tabouret en cristal qui exige trois mois de refroidissement avant d’être démoulé et révéler son éclat transparent), et la découpe franche (comme les étagères T5 en acier alvéolé).

Martin Szekely, Unit Shelf 3, plâtre, édition Galerie Kreo, 2011 ©
Martin Szekely, Unit Shelf 10+, plâtre, édition Galerie Kreo, 2011 ©
Martin Szekely, Unit Tower Multiple, plâtre, édition Galerie Kreo, 2011 ©

Paradoxalement, les objets de Martin Szekely, tout en révélant les constantes formelles qui les définissent (une table a des pieds, une étagère des plateaux, un plat des bords surélevés), sont éminemment discrets. Lorsqu’advient l’usage (lorsque la table effectivement supporte, que la bibliothèque effectivement contient) ils s’effacent. Martin Szekely aime parler de « politesse » pour décrire cette simplicité, qui ne verse jamais dans l’austérité.  Ou quand l’éthique devient esthétique.

Ne plus dessiner au Centre Pompidou jusqu’au 2 janvier 2012
Galerie du Musée, niveau 4
Ouvert tous les jours sauf le mardi de 11h à 21h

Units à la Galerie Kreo jusqu’au 23 décembre 2011
31, rue Dauphine
75006 PARIS
Ouvert du mardi au samedi, de 11h à 19h