Un entretien Boum! Bang!
Un je ne sais quoi d’ambivalence, de force et de fragilité, d’énergie obsessionnelle et de réflexions profondes. Une fascination certaine nous a poussé à aller interviewer l’artiste vidéaste Lydie Jean-Dit-Pannel. Basée à Dijon et prof de vidéo à l’École Nationale Supérieure d’Art de Dijon, l’artiste, si elle n’avait pas consacrée sa vie à son art aurait sans doute été une grande aventurière (à l’instar de Osa Johnson, une de ses idoles à laquelle elle rend hommage dans la photo d’elle attachée à un arbre du voyageur sur l’île de la Réunion), protectrice d’un grand mammifère ou d’un primate peut-être; finalement, ce sera le papillon monarque qui tombera dans ses faveurs et constituera une grande partie de sa démarche artistique.

Lydie Jean-Dit-Pannel
Lydie Jean-Dit-Pannel, portrait © photo: Enguerran Ouvray

B!B!: Comment et pourquoi es-tu arrivée à la pratique de la vidéo? 

Lydie Jean-Dit-Pannel: J’ai été très tôt fascinée et attirée par ce médium qui permettait de fabriquer la télévision, cet outil de communication si puissant (nous parlons d’une période où l’internet n’existait pas). Lorsque je me suis rendue compte que des artistes s’étaient emparés de cet outil pour en faire de la poésie, montrer une autre réalité, plus vraie et plus juste, j’ai voulu participer à cela. La visite à 17 ans d’une exposition de l’artiste allemand Wolf Vostell, pionnier de l’art vidéo et du mouvement Fluxus, m’a marquée à jamais et m’a décidée à entrer dans une école d’art. Je suis devenue ce que l’on appelle une « filmeuse », ma caméra toujours dans mon sac, à l’affût de l’ordinaire extraordinaire.

B!B!: Vois-tu ton corps comme un média d’expression et t’inclues-tu dans la mouvance du Body Art?

Lydie Jean-Dit-Pannel: Mon corps fait partie de mes outils de travail. Je l’utilise pour faire des images. Particulièrement depuis ma rencontre avec le papillon monarque. En effet, lors de chacun de mes voyages, je fais inscrire sous ma peau l’image d’un papillon monarque femelle à échelle 1. Je porte à ce jour 41 paires d’ailes orangées collectionnées aux coins du monde. Mes tatouages et leurs répartitions sur le corps ont été pensés en un ensemble. Les papillons dialoguent avec les mots et les phrases ajoutées « au-dessous ». Ils conversent et m’inspirent des photographies, des vidéos, des performances. Je réalise également beaucoup de pièces sans utiliser mon corps.

Lydie Jean-Dit-Pannel, Ashes to Ashes
Lydie Jean-Dit-Pannel, Ashes to Ashes ©
Lydie Jean-Dit-Pannel, collection de papillons
Lydie Jean-Dit-Pannel, collection de papillons ©

B!B!: Comment abordes-tu ton travail d’enseignante?

Lydie Jean-Dit-Pannel: J’aime transmettre et être en contact avec de jeunes gens. C’est un échange permanent. Mon enseignement passe par l’histoire du médium vidéo, l’histoire des images en mouvement. Il me semble important aujourd’hui dans un environnement saturé d’images de revenir aux origines, de re-contextualiser, de rendre justice aux pionniers, de regarder à nouveau les codes, les sources, les époques, de faire des parallèles, des liens. Pour ensuite pouvoir se permettre de tout éclater dans l’atelier. Produire en connaissance de cause. En connivence avec son temps.

B!B!: Quel est ton rapport au passé et à l’avenir? 

Lydie Jean-Dit-Pannel: Je regarde hier pour apprendre. Je suis fascinée par l’avenir, effrayée aussi, à cause de ce que nous faisons de notre planète. Je me sens très concernée par cela. Après avoir clamé « No Future » dans ma jeunesse aux accents punk, je me suis récemment fait tatouer le mot « Future » sur le lobe de l’oreille gauche!

B!B!: Peux-tu nous parler du « Panlogon »? 

Lydie Jean-Dit-Pannel: « Le Panlogon » est depuis plus de 10 ans le nerf de ma guerre. Ce film journal, à la fois carnet de croquis à la recherche des bruits du monde et journal de bord, est composé d’une collection de plans séquences, haïkus visuels et sonores, numérotés de 0 à l’infini. Il accompagne ma vie de femme et d’artiste dans toutes mes recherches et dans tous mes voyages. Une nouvelle session est réalisée chaque saison depuis 2001. Actuellement le film dure 5h30, il peut se visionner session par session ou dans son intégralité. On y voit arriver le projet « Mes encres », chacune de mes séances de tatouage y a été enregistrée.

Lydie Jean-Dit-Pannel, affiche 10 ans, Le Panlogon
Lydie Jean-Dit-Pannel, affiche 10 ans, Le Panlogon ©
Lydie Jean-Dit-Pannel, tournage Le Panlagon
Lydie Jean-Dit-Pannel, tournage Le Panlogon, Michoacan ©

B!B!: En un mot, on pourrait parler de ton travail comme d’une vanité? 

Lydie Jean-Dit-Pannel: Oui! L’ensemble de mon travail peut être considéré comme une vanité. Chacune de mes pièces au long cours défie la mort.

B!B!: Peux tu nous parler de tes voyages, tes toutes dernières destinations, peut-être nous dire quels ont été tes meilleurs et pires souvenirs? 

Lydie Jean-Dit-Pannel: Le voyage est un élément indispensable à ma survie et au développement de mon travail. De nature curieuse et obstinée, j’ai besoin de vivre et traverser des images vues au cinéma ou imaginées d’après des romans, des documents. Je trouve toujours un prétexte afin d’aller à la rencontre de personnages, de paysages, d’espèces animales, d’architectures ou de curiosités naturelles. Parfois il s’agit d’assouvir un rêve d’enfant. Aller à la NASA, et depuis la salle des communications, téléphoner à tous mes proches et leur dire, comme dans le film de Robert Altman, « Allô? Ici Houston! Est-ce que tout est OK?! », ou escalader la Devils Tower dans le Wyoming, persuadée d’un contact extra-terrestre. Le but est parfois plus profond, comme celui, récurrent d’aller se fondre dans les forêts du Michoacan, au Mexique, sur les sites d’hibernation et de reproduction des papillons monarques aujourd’hui en voie de disparition. Mes dernières destinations étaient le Japon et l’Ukraine cet été, pour un nouveau projet sur les effets du nucléaire dans nos paysages. Je préfère oublier les mauvais souvenirs, ils se trouvent certainement quelque part en Pologne ou en Floride. Le meilleur souvenir, si je mets d’emblée hors jeu les road trip dans l’ouest américain, est sans doute mon séjour dans le Yucatan au Mexique, durant lequel, pour un festival de performances, j’ai organisé le jour de la fête des morts, dans plusieurs villages, un concours de bras de fer. Sur une table de compétition aux couleurs du monarque, les villageois étaient invités à venir se mesurer à la « Chica Mariposa ». Les yeux dans les yeux, la main dans la main. Une façon folle et intense de provoquer la rencontre, prendre le pouls du monde. J’adore cela!

Lydie Jean-Dit-Pannel, Arm in Arm Merida
Lydie Jean-Dit-Pannel, Arm in Arm Merida ©
Lydie Jean-Dit-Pannel, performance téléphonique Space Oddity
Lydie Jean-Dit-Pannel, performance téléphonique Space Oddity ©
Lydie Jean-Dit-Pannel, Tattoo session
Lydie Jean-Dit-Pannel, Tattoo session, Kiev ©
Lydie Jean-Dit-Pannel, tournage So Psyché!
Lydie Jean-Dit-Pannel, tournage So Psyché! ©
Lydie Jean-Dit-Pannel, vidéogramme & A Fade To Grey, Tchernobyl
Lydie Jean-Dit-Pannel, vidéogramme & A Fade To Grey, Tchernobyl ©
Lydie Jean-Dit-Pannel, vidéogramme & A Fade To Grey, Tchernobyl
Lydie Jean-Dit-Pannel, vidéogramme & A Fade To Grey, Tchernobyl ©

B!B!: Comment le papillon monarque s’est il imposé à toi?

Lydie Jean-Dit-Pannel: La rencontre fulgurante remonte à 2004. J’ai une attirance particulière pour les musées d’histoire naturelle. J’aime ces lieux de mémoire d’une nature passée. Je les visite dès que l’un se présente. A Montréal, il n’y en a pas, mais il y a un fabuleux Insectarium. C’est là que j’ai rencontré le seul papillon migrateur de notre planète. Ses mœurs et sa migration si complexe m’ont semblé d’une richesse inépuisable, poétique, géo-politique et métaphorique. Les légendes qui l’accompagnent au Mexique n’ont fait que renforcer l’envie de placer ce lépidoptère au cœur d’un travail de recherches et de réalisations plastiques. Aujourd’hui, l’espèce est sévèrement en voie d’extinction, les spécimens sont de moins en moins nombreux à être observés et à arriver en novembre dans les forêts mexicaines. La pollution et la déforestation petit à petit les digèrent. Les regarder évoluer est mon échelle de l’état du monde. Je suis en alerte.

B!B!: Quel est ton message actuel ou pour la postérité et comment passe t-il par le prisme de l’autoportrait? 

Lydie Jean-Dit-Pannel: J’ai toujours eu le sentiment en pratiquant l’autoportrait, que l’on parle de soi pour mieux parler du monde. La petite Histoire traverse la grande Histoire. Mon message, s’il faut en avoir un, serait d’être vivant quoi qu’il arrive. Garder autant que cela est possible cet état si grisant de se sentir en vie. « ALIVE » Je pourrais bien en faire mon épitaphe!

Lydie Jean-Dit-Pannel, affiche ALIVE
Lydie Jean-Dit-Pannel, affiche ALIVE, 2013 ©
Lydie Jean-Dit-Pannel, vue d'exposition ALIVE
Lydie Jean-Dit-Pannel, vue d’exposition ALIVE ©

B!B!: Quels sont tes projets d’expositions à venir? 

Lydie Jean-Dit-Pannel: Une rétrospective de mon travail se prépare pour l’automne 2014 à Montréal. L’exposition se déroulera dans des lieux très différents en même temps: la Cinémathèque, l’Insectarium, le site du Vidéographe et dans un centre d’art. Une publication devrait accompagner l’événement. Cette rétrospective marquera les dix ans de mon parcours autour du papillon monarque et de sa migration. L’occasion pour moi de faire le point sur ce cycle de travail et de réaliser une toute nouvelle pièce inspirée par le personnage mythologique de Psyché. Avant cela, au printemps, je serai en résidence au L.A.C, sur l’île de la Réunion. Le Lieu d’Art Contemporain est un lieu magique, loufoque et poétique, j’y ai réalisé il y a 2 ans « KONG », une photographie et une vidéo performance avec un immense et magnifique arbre du voyageur. Lors de cette nouvelle résidence, je réaliserai une vidéo retraçant la vie et les voyages de mon personnage de « Madame papillon » au travers de ses tatouages. En ce moment, je suis en phase d’écriture, de recherche et de réalisation. Cette phase a commencé cet été avec des séjours/tournages à Hiroshima, dans la région de Fukushima, à Tchernobyl et à Pripiat en Ukraine. Je conçois et mets en forme une nouvelle installation vidéo sur la question du nucléaire qui me hante. Afin de finaliser cette nouvelle pièce, je dois tourner encore dans le désert du Nevada sur les sites d’essai, aux alentours et dans l’Atomium de Bruxelles, en Côte d’Or autour du site de Valduc, un site de recherche et de production d’armes nucléaires à 45 kilomètres de mon lieu d’habitation, puis à Bure, village de Haute Marne accueillant le laboratoire de recherches sur le stockage des déchets radioactifs en couche géologique profonde. Une folle année arrive donc!

Lydie Jean-Dit-Pannel, Chambre à louer
Lydie Jean-Dit-Pannel, Chambre à louer ©
Lydie Jean-Dit-Pannel, Dersou
Lydie Jean-Dit-Pannel, Dersou ©
Lydie Jean-Dit-Pannel, Home Clom (a tribute to Joel Hubaut)
Lydie Jean-Dit-Pannel, Home Clom (a tribute to Joel Hubaut) ©
Lydie Jean-Dit-Pannel, Kong (LJDP et l'arbre du voyageur)
Lydie Jean-Dit-Pannel, Kong (LJDP et l’arbre du voyageur) ©
Lydie Jean-Dit-Pannel, L'entomologiste
Lydie Jean-Dit-Pannel, L’entomologiste ©

B!B!: L’autofiction que l’on peut lire sur ton site est très touchante. Quelques phrases captent l’attention. Peux-tu nous en dire plus sur le sujet de la religion quand tu parles de « souffle aigre de la bouche du curé » ou encore quand tu parles de « visions »? 

Lydie Jean-Dit-Pannel: J’ai été baptisée. Je suis allée chaque semaine de mon enfance au catéchisme, chez une voisine qui me terrorisait et qui sentait mauvais. En colonie de vacances, la sortie du dimanche était pour moi la messe, l’église humide et les bancs durs, alors que mes camarades allaient à la plage ou en promenade.  À 13 ans, on m’a collé sur le dos une aube blanche, des sandales aux pieds, un cierge dans la main et une permanente sur les cheveux. J’ai du faire ma communion, j’ai eu terriblement honte. J’ai depuis emprunté d’autres chemins moins archaïques et retrogrades. Les « visions » quant à elles sont dues à une prise quotidienne et prolongée de somnifères. Je dors chimiquement depuis une quinzaine d’années, et parfois, avec un peu d’alcool et des conditions favorables, j’ai de sublimes « visions »! Celle à laquelle vous faites référence est arrivée au Nouveau-Mexique en contemplant la pièce de Land Art de Walter de Maria « The Lightning Field ». La pièce est composée de 400 poteaux de métal dressés vers le ciel, attendant la foudre dans le paysage immense. Quelques coupes de champagne, une délicieuse compagnie et l’émotion forte face à cette installation monumentale m’ont fait « voir » une femme au pied de chaque paratonnerre, dansant frénétiquement barre à la main et ventre à la barre. J’ai le lendemain réalisé sur le site la photographie « An Electric Pole Dance ».

Lydie Jean-Dit-Pannel, An Electric Pole Dance
Lydie Jean-Dit-Pannel, An Electric Pole Dance ©

B!B!: Et pour finir, nous avons l’habitude chez Boum! Bang! de terminer une entrevue par une sélection de questions, librement inspirées du questionnaire de Proust.

B!B!: En quoi aimerais-tu te réincarner?

Lydie Jean-Dit-Pannel: En une Mercury Cougar 1968.

B!B!: Crois-tu en un « au-delà »?

Lydie Jean-Dit-Pannel: Je crois en la vie ici, maintenant, demain. Et ce n’est pas facile.

B!B!: Si tu étais un élément naturel?

Lydie Jean-Dit-Pannel: Je serais l’air.

B!B!: Une œuvre d’art?

Lydie Jean-Dit-Pannel: La « Psyché abandonnée » de Jacques Louis David (vers 1795, collection privée).

B!B!: Un pays?

Lydie Jean-Dit-Pannel: Le pays de Cocagne.

B!B!: Une femme célèbre?

Lydie Jean-Dit-Pannel: Gena Rowlands.

B!B!: Un personnage de l’histoire?

Lydie Jean-Dit-Pannel: Sitting Bull.

B!B!: Une maladie?

Lydie Jean-Dit-Pannel: La schizophrénie.

B!B!: Une chanson?

Lydie Jean-Dit-Pannel: «Space Oddity » de David Bowie.

B!B!: Un bonheur?

Lydie Jean-Dit-Pannel: Une marche dans le Yellowstone.

B!B!: Un héros?

Lydie Jean-Dit-Pannel: Harry Houdini.

B!B!: Un cauchemar?

Lydie Jean-Dit-Pannel: Le nucléaire.

B!B!: Une façon de mourir?

Lydie Jean-Dit-Pannel: L’orgasme.

B!B!: Un livre?

Lydie Jean-Dit-Pannel: Une anthologie d’Emily Dickinson.

B!B!: Un auteur?

Lydie Jean-Dit-Pannel: Richard Brautigan.

B!B!: Si je te dis Boum! Bang!, que réponds-tu?

Lydie Jean-Dit-Pannel: Wizz!!! (sur le ton « Comic Strip »)

B!B!: Si tu pouvais inviter 10 personnes (mortes ou vivantes) à un diner, qui seraient-elles?

Lydie Jean-Dit-Pannel: C’est drôle, votre question est quasiment le synopsis d’une vidéo que j’ai réalisée il y a quelques années pour les bonus d’une édition DVD de mon travail: « A diner party with…»! Par ordre alphabétique (obtenu grâce au montage), j’énonçais les noms et prénoms de mes héros du moment et de toujours! C’est un exercice difficile que celui de composer un tour de table savoureux. Aujourd’hui, je me permets de faire 2 propositions.
La première, pour un débat houleux et très ciblé sur mes questionnements du moment:

– Albert Einstein (il a 74 ans, je m’assieds à côté de lui, il me parle à l’oreille)

– Svetlana Alexievitch (écrivain et journaliste biélorusse, auteure de « La supplication: Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse »)

– Masao Yoshida (ex-directeur de la centrale Fukushima Daiichi)

– Paul Tibbets (pilote de Enola Gay)

– Valérie Renauld (directrice de la communication de l’ANDRA – Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs)

– Sankichi Töge (poète japonais)

– Kumi Naidoo (directeur exécutif international Greenpeace)

– D.M. (habitant de Salives, commune de Côte-d’Or accueillant Valduc, site de recherche et de production d’armes nucléaires dépendant de la Direction des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique)

– Philippe Martin (ministre de l’écologie, du développement et de l’énergie)

– Lee Merlin (Miss Atomic Bomb 1957)

L’autre table, pour me détendre, faire quelques étincelles, et rire avec quelques bons verres de vin:
Charles Henri Bukowski, Harry Houdini, Werner Herzog, John Cassavetes, Gena Rowlands, Jim Harrison, Youri Gagarine, Osa Johnson, Viggo Morstensen et Andy Kaufman.