À mi-chemin entre l’art politique et la réalité quotidienne, l’oeuvre de Kader Attia se fonde sur un leitmotiv dénonciateur. Vulgarisant la pratique religieuse au moyen de papier d’aluminium alimentaire, l’artiste rend compte d’un déisme désacralisé, uniformisé et aliénateur de l’individu. « Ghost » (2007) soulève la question de l’identité culturelle, et de son rapport antonymique liant force et vulnérabilité.

Dans un schéma semblable à celui de la production industrielle – inférant mécaniquement la notion de « reproduction » – Kader Attia reproduit des moulages de femmes musulmanes en position de prière. Tous les corps sont identiques par le matériau commun qui les façonne. Le papier d’aluminium unit cette pluralité d’entités fantomatiques, les fige dans un cadre spatio-temporel dépourvu de contexte. Émane de cette assemblée un caractère prégnant qui fédère entre chacune des fidèles une force de dévotion et de conviction religieuse.

Kader Attia, GhostKader Attia, Ghost, vue de l’installation ©
Kader Attia, GhostKader Attia, Ghost, vue de l’installation ©
Kader Attia, GhostKader Attia, Ghost, vue de l’installation ©
Kader Attia, GhostKader Attia, Ghost, vue de l’installation ©

Étroitement proche d’un travail de série, de collection et d’accumulation, le procédé de dénonciation saisi par Kader Attia s’apparente à celui d’Arman. Le plasticien, membre du groupe des Nouveaux Réalistes dès 1960, s’empare alors d’« objets sans valeur souvent trouvés dans des décharges » pour en faire des accumulations « constituées d’objets identiques ou similaires, puis de modèles différents d’objets ayant la même fonction », à la recherche d’une nouvelle issue au consumérisme en plein essor. « Ghost » transpose cette volonté dénonciatrice à une critique du multiculturalisme, par l’accumulation de ces corps privés d’identité.

Sans signe religieux, ethnique ou politique manifeste, les formes anthropomorphiques dévoilent quelques plissés de soutane. Les corps sont caverneux, les colonnes vertébrales osseuses, disposés comme seuls attributs de vacuité identitaire. Une négation de l’individu est interrogée à travers ces moulages de pleureuses musulmanes, qui font écho aux origines algériennes de Kader Attia. Empreint de diverses appartenances culturelles, l’artiste entretient avec l’identité physique et spirituelle un rapport conflictuel et parfois même destructeur, comme dans « The Repair from Occident to Extra-Occidental Cultures » (2012) présenté à la Documenta 13.

Kader Attia, The Repair from Occident to Extra-Occidental CulturesKader Attia, The Repair from Occident to Extra-Occidental Cultures, vue de l’installation © Documenta 13
Kader Attia, The Repair from Occident to Extra-Occidental CulturesKader Attia, The Repair from Occident to Extra-Occidental Cultures, vue de l’installation © Documenta 13

« Ghost » révèle un jeu entre la présence évidente du corps humain et l’absence d’identité, mise en scène dans une installation alignée face à une divinité invisible. Les corps astreints témoignent d’une fragilité d’esprit malgré cette force de dévotion et de conviction. Un conflit antinomique que le philosophe Blaise Pascal rapporte à travers son axiome « L’homme est un roseau pensant » (Pensées, 1669): la dualité de l’être humain s’oppose dans son extrême faiblesse et sa particularité d’être capable de penser, de croire et de vénérer.

Kader Attia, GhostKader Attia, Ghost, vues de l’installation ©