Un entretien Boum! Bang!

Né en 1968 à Fürth, en Allemagne, Jürgen Nefzger enseigne à l’École Supérieure d’Art de Clermont Métropole et vit entre Paris et Nice. Il déménage en France en 1990, pour ses études à l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles. Ce photographe explore, dans un style documentaire, l’impact de la société sur l’environnement et photographie des paysages façonnés par la crise financière et économique. Jürgen Nefzger expose ses travaux du 24 janvier au 14 mars 2015 à la Galerie Françoise Paviot, à Paris.

Jürgen Nefzger, Autoportrait
© Jürgen Nefzger, Autoportrait, 2012

B!B!: D’où vous vient cette passion pour la photographie et quel est votre parcours artistique?

Jürgen Nefzger: J’ai commencé à l’âge de dix ans en réalisant des films Super 8 lors de mes voyages avec ma mère. Nous partions très loin et je projetais à notre retour devant notre petit cercle familial des petits films (qui bougeaient beaucoup) sur la Tour Eiffel, les écureuils, les kangourous… Selon les destinations. À quinze, seize ans j’ai appris à utiliser un agrandisseur  et à développer mes images moi-même dans une petite pièce à la maison. Je trouvais le résultat plus convainquant…

B!B!: Quels artistes vous inspirent?

Jürgen Nefzger: Il y en a beaucoup – difficile d’en nommer sans se sentir en porte-à-faux avec la grande majorité non citée! Mais bon, en photo je peux citer sans grande surprise Eugène Atget, Walker Evans, ainsi que  les photographes réunis dans l’exposition « New Topographics » de 1975 à Rochester. J’apprécie beaucoup la clarté de leur vision, leur distance face au monde. Mais il y bien évidemment aussi les films de Michelangelo Antonioni ou de Jean-Luc Godard, les romans de Thomas Bernhard et la musique de Johann Sebastian Bach à Bob Dylan

B!B!: Vous explorez, de façon documentaire, l’impact de la société sur l’environnement. Parlez-moi de ce leitmotiv dans votre travail.

Jürgen Nefzger: Ce que j’essaie de représenter est cette rupture, cette fissure qui s’installe de plus en plus profondément dans notre société depuis qu’elle a basculé dans un mode de consommation postindustriel. Le contrôle des marchés n’appartient plus vraiment aux politiques mais à un maillage  de fonds d’investissement globalisés, de multinationales sans état d’âme. Mon exposition actuelle à Paris nous montre des terrains abandonnés suite à l’éclatement de la bulle immobilière en Espagne. La dernière série faite en juillet 2014, « Villaflores », ne montre que des  vues en noir et blanc et en petit format (20x25cm) des espèces pionnières comme le chardon, le fenouil, l’oseille qui repeuplent ces friches immobilières. J’aime beaucoup ce côté extrêmement réduit – où nous sommes loin des images des centrales nucléaires faites au grand angle, nous offrant des vues plongeantes sur de larges paysages.

Jürgen Nefzger, Villaflores
© Jürgen Nefzger, Série « Villaflores », 2014
Jürgen Nefzger, Villaflores
© Jürgen Nefzger, Série « Villaflores », 2014

B!B!: La pollution, l’énergie nucléaire, l’urbanisme et les paysages façonnés par la société sont des éléments fréquents dans vos photographies. Votre travail est engagé. Quel est véritablement le message que vous souhaitez faire passer?

Jürgen Nefzger: Je ne suis pas un militant pour la bonne cause écologique. Je trouve même une grande poésie dans ces paysages à l’abandon. Je crois qu’il est plus intéressant de produire un travail qui fait réfléchir que d’essayer de convaincre. J’aime laisser un espace au spectateur, qu’il doit investir. C’est une proposition qui demande à chacun de se laisser imprégner par les images. Je ne connais aucun cas où une œuvre d’art aurait changé le cours des choses. Par contre, on peut, à travers sa pratique, participer à une réflexion menée par de nombreux artistes et penseurs autour des problématiques actuelles. Je vois ma photographie comme une petite contribution à cet ensemble. Si mon travail fait qu’on se pose une ou deux questions sur nos modes de vie, c’est réussi !

B!B!: Parlez-moi de votre série « Nocturnes », réalisée à Clermont-Ferrand.

Jürgen Nefzger: Cette série est issue d’une résidence artistique offerte par la ville que j’ai obtenu avant même d’être enseignant. Clermont-Ferrand m’a intéressé en tant qu’archétype d’une ville  européenne de  taille moyenne avec un passé ouvrier (Michelin) qui s’estompe. Je  traverse la ville de part et d’autre en commençant par un espace naturel protégé (la chaîne des Puys) pour ensuite descendre dans la ville en traversant la périphérie, les quartiers d’habitation et  les zones commerciales, avant de déboucher dans le centre historique où on se trouve face à la façade mal éclairée de la  cathédrale après le stade de sport. Cette découpe se fait pendant les heures les plus noires de la nuit avec de longues pauses de plusieurs minutes jusqu’à parfois presque une heure. Autant dire que c’était un travail très méditatif. Les espaces qui peuvent être très durs en journée se remplissent d’une poésie inattendue qui provient de ces moments de silence et d’un éclairage enveloppant sous un ciel (parfois) étoilé.

Jürgen Nefzger, Série Nocturnes
© Jürgen Nefzger, Série « Nocturnes », 2008
Jürgen Nefzger, Série Nocturnes
© Jürgen Nefzger, Série « Nocturnes », 2008
Jürgen Nefzger, Nocturnes
© Jürgen Nefzger, Série « Nocturnes », 2008
Jürgen Nefzger, Nocturnes
© Jürgen Nefzger, Série « Nocturnes », 2008

B!B!: Dans votre série « Fluffy Clouds », un réacteur de centrale apparaît sur chaque photographie, plus ou moins visiblement. Parlez-moi de ce projet.

Jürgen Nefzger: Il s’agit de tours de refroidissement et non de réacteurs. Je trouvais intéressant de faire un tour de l’Europe en suivant les emplacements des centrales nucléaires. Comme je m’intéresse à la fissure – pas celle du réacteur – mais celle qui se formule à l’intérieur d’une image par la composition: entre un premier plan bucolique et un arrière plan perturbant cette première impression. Peut-être connaissez vous la pochette d’un album de Supertramp, « Crisis? What crisis? », sorti en 1975. On y voit un homme en maillot de bain sous un parasol orange, dans une chaise longue avec un cocktail posé à côté, tout ça sur fond de paysage apocalyptique en noir et blanc ou la pluie ne cesse de tomber. C’est une traduction parfaite de la condition humaine aujourd’hui et des angoisses, des luttes et des enjeux sociétaux à ce moment là dans l’histoire. Trente ans après, on voit que nous nous accommodons fort bien d’un environnent  en crise et on retrouve des chaises longues à l’ombre de tours de refroidissement un peu partout…

Jürgen Nefzger, Fluffy Clouds
© Jürgen Nefzger, Série « Fluffy Clouds », Paluel, France, 2003
Jürgen Nefzger, Fluffy Clouds
© Jürgen Nefzger, Série « Fluffy Clouds », Trawsfynydd, North Wales, 2005
Jürgen Nefzger, Fluffy Clouds
© Jürgen Nefzger, Série « Fluffy Clouds », Valdecaballeros, Espagne, 2006
Jürgen Nefzger, Fluffy Clouds
© Jürgen Nefzger, Série « Fluffy Clouds », Asco, Espagne, 2005
Jürgen Nefzger, Fluffy Clouds
© Jürgen Nefzger, Série « Fluffy Clouds », Nogent-sur-Seine, France, 2003
Jürgen Nefzger, Fluffy Clouds
© Jürgen Nefzger, Série « Fluffy Clouds », Isar, Allemagne, 2004

B!B!: Quel est votre vision du monde?

Jürgen Nefzger: Espérer que ça continuera encore un peu…

B!B!: Décrivez-moi une journée type.

Jürgen Nefzger: Si j’en avais une je m’ennuierais beaucoup!

B!B!: Si vous n’aviez pas été photographe, quel métier auriez-vous aimé exercer?

Jürgen Nefzger: Ecrivain sans doute. Je sens une grande proximité entre l’écriture et le pouvoir descriptif d’une image, entre le récit et la construction d’une série photographique dans sa linéarité.

B!B!: Si vous étiez une œuvre d’art, laquelle seriez-vous?

Jürgen Nefzger: La performance de John Cage, « 4’33 » de silence, c’est radical et extrêmement intelligent.

B!B!: Si vous étiez un animal, que seriez-vous?

Jürgen Nefzger: J’aime bien l’ours polaire, une espèce en voie de disparition.

B!B!: Un paysage idyllique?

Jürgen Nefzger: Un souvenir de l’Allemagne dans les années de mon enfance où tout semblait encore beau.

B!B!: Une chanson?

Jürgen Nefzger: « Wish you were here » de Pink Floyd.

B!B!: Un film?

Jürgen Nefzger: « Le désert rouge » de Michelangelo Antonioni.

B!B!: Un livre?

Jürgen Nefzger: « L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche » de Miguel de Cervantes. Mon travail actuel m’amène souvent en Castille-La Manche et les friches immobilières abandonnées parsemant le pays auraient bien intrigué notre vaillant chevalier!

B!B!: Si vous pouviez organiser un banquet avec dix personnalités, décédées ou vivantes, qui seraient-elles?

Jürgen Nefzger: Dix personnes à une table c’est beaucoup trop! Je préférerais un déjeuner avec Lewis Baltz qui vient de nous quitter il a y juste quelques mois, et que je n’ai jamais rencontré à mon grand regret.

B!B!: Et si je vous dis « Boum! Bang! »?

Jürgen Nefzger: Ça me fait penser à Fessenheim!

Jürgen Nefzger, spain
© Jürgen Nefzger, Série « Spain », 2011
Jürgen Nefzge, spain
© Jürgen Nefzger, Série « Spain », 2011
Jürgen Nefzger, The manufactured landscape

© Jürgen Nefzger, Série « Hexagone 1 – The manufactured landscape », Val d’Oise, France, 2000

Jürgen Nefzger, The manufactured landscape
© Jürgen Nefzger, Série « Hexagone 1 – The manufactured landscape », Cergy St Christophe, France, 2001
Jürgen Nefzger, The manufactured landscape
© Jürgen Nefzger, Série « Hexagone 1 – The manufactured landscape », Implosion of a social housing block, Meaux, France, 2000
Jürgen Nefzger, The landscape consumed
© Jürgen Nefzger, Série « Hexagone 2 – The landscape consumed », Abandoned farm house, Charente, France, 2005
Jürgen Nefzger, The landscape consumed
© Jürgen Nefzger, Série « Hexagone 2 – The landscape consumed », Signpost used as a target by hunters, Gers, France, 2003
Jürgen Nefzger, The landscape consumed
© Jürgen Nefzger, Série « Hexagone 2 – The landscape consumed », Urpar – Near the Gadoues landfrill, France, 2001
Jürgen Nefzger, Panta Rhei
© Jürgen Nefzger, Série « Panta Rhei », Aletsch Glacier, Suisse, 2006
Jürgen Nefzger, Panta Rhei
© Jürgen Nefzger, Série « Panta Rhei », Pasterze Glacier, Autriche, 2006
Jürgen Nefzger, Panta Rhei
© Jürgen Nefzger, Série « Panta Rhei », Sulden Glacier, Italie, 2008